« La lutte contre la radicalisation et le séparatisme a pris le dessus sur l’égalité des chances. C’est le rendez-vous manqué entre Macron et les banlieues », analyse avec un ton lucide Renaud Epstein, maître de conférence à Sciences Po et spécialiste de la question des politiques publiques, quand on l’interroge sur le plan présenté par Jean Castex à Grigny le 29 janvier dernier.

«L’été 2017 a été meurtrier, avec les coupes dans les budgets des HLM, des emplois aidés et de la politique de la ville. Il y a eu ensuite l’enterrement du rapport Borloo », poursuit le chercheur qui ne voit pas d’amélioration sociale tangible dans les annonces successives du gouvernement passées presque inaperçues dans le rouleau compresseur médiatique de la séquence séparatiste.

Entre égalité des chances et séparatisme, un déséquilibre dans les priorités

Lors de sa visite à Grigny (Essonne), le Premier ministre a égrené un large éventail de décisions qui englobent plusieurs thématiques concernant notamment l’éducation, la sécurité et l’emploi.

L’État, par la voix du chef du gouvernement, s’est ainsi à nouveau engagé à octroyer 1% du plan de relance, soit 1 milliard d’euros aux quartiers prioritaires. Avec une enveloppe totale de 3,3 milliards d’euros, Jean Castex mise notamment sur la rénovation urbaine.

Le chef du gouvernement a affiché sa volonté de mettre l’égalité des chances au cœur des préoccupations du gouvernement, en particulier à travers l’éducation: « Cela commence par des actions fortes dès les premiers jours de la vie pour contrecarrer les inégalités hélas bien ancrées. »

« 1% du plan de relance, alors que les quartiers représentent 8% de la population française. L’ambition est vraiment limitée ! D’autant plus que rien n’est prévu pour s’assurer que les 99% restants du plan de relance bénéficieront aussi aux quartiers. » Comme beaucoup d’élus, Renaud Epstein met en garde sur l’efficacité de l’utilisation des moyens alloués aux quartiers populaires.

Si on veut prendre au sérieux l’égalité des chances, ce n’est pas en ajoutant un ou deux milliards aux programmes existants.

Pour la sécurité, sept quartiers de “reconquête républicaine” seront créés. Un dispositif initié par Gérard Collomb en 2018, pour augmenter le dispositif policier dans des zones ciblées. Une initiative au bilan mitigé pour certains acteurs de terrain. Jean Castex a ainsi déclaré que depuis 2017, 1200 policiers et gendarmes supplémentaires ont été déployés dans 62 quartiers dits prioritaires. 600 postes d’éducateurs et médiateurs ont aussi été annoncés.

 Les quartiers et leurs habitants n’ont pas besoin d’un énième plan, mais d’être traités équitablement par les politiques publiques. 

Du côté de l’éducation, on attend un renforcement au niveau des aides à la création de places en crèches , avec 10 000 nouvelles places d’ici la fin du quinquennat. 46 nouvelles cités éducatives verront le jour en 2021, en plus des 80 déjà existantes, pour en atteindre 200 en 2022. L’ouverture d’internats d’excellence (45 actuellement) aura également lieu avec au moins un établissement par département l’année prochaine.

Plus de 700 millions d’euros seront consacrés à l’emploi, la formation et l’insertion des jeunes, ainsi qu’à la création de contrats aidés dans le secteur non marchand, pris en charge par l’Etat à hauteur de 80 % du Smic.

Malgré ces bonnes intentions répétées pour améliorer les conditions d’accès à l’emploi pour les jeunes, Renaud Epstein estime que le gouvernement n’adopte pas la bonne méthode pour parvenir à l’égalité des chances. « Si on veut prendre au sérieux l’égalité des chances, ce n’est pas en ajoutant un ou deux milliards aux programmes existants, mais en menant une politique de lutte contre les discriminations. Ce volet-là est le grand absent des annonces gouvernementales », ajoute l’universitaire concernant les annonces du Premier ministre.  

Globalement, les annonces que Jean Castex a déployé ressemblent à s’y méprendre à un nouveau plan banlieue, initiative finalement reniée par Emmanuel Macron (“Pas de plan banlieue” avait déclaré le Président en mai 2018), lorsqu’il a enterré le plan Borloo. «Ça fait dix ans que je propose la même chose et l’idée avait été reprise par Borloo dans son rapport : commençons par mesurer où vont les budgets de l’Etat et des collectivités. Les quartiers et leurs habitants n’ont pas besoin d’un énième plan, mais d’être traités équitablement par les politiques publiques. » 

L’égalité des chances sacrifiée

Malgré l’importance relative des annonces du Premier ministre, force est de constater le déséquilibre entre la thématique sociale et la séquence du séparatisme proposée et défendue par l’exécutif sur les dernières semaines. «Il fallait que Macron tienne son ‘en même temps’ du discours des Mureaux, dans lequel il annonçait à la fois une loi contre le séparatisme et un plan pour l’égalité des chances. Or rien n’a avancé sur ce deuxième volet. Il fallait que le gouvernement ne soit pas que du côté de Darmanin . »

Pourtant au cours de son intervention au Conseil interministériel des villes, Jean Castex a assuré que : « Le rôle de l’Etat, plus que jamais, en période de crise, est d’être aux côtés de ceux qui souffrent, de ceux qui se sentent exclus, de ceux qui se sentent victimes d’inégalités de tous ordres. »

Quelques jours après la venue de son Premier ministre à Grigny pour évoquer la politique de la ville du gouvernement, le Président de la République se déplaçait à Nantes pour annoncer des mesures en faveur de l’égalité des chances le 11 février dernier.

Au programme : des nouvelles places sur critères sociaux en classes préparatoires aux grandes écoles, une nouvelle voie dédiée pour les concours de la haute fonction publique, le développement du tutorat pour attirer plus d’étudiants vers le service public.

Il y a toujours eu des modèles. C’est peut-être motivant mais c’est aussi souvent l’arbre qui cache la forêt.

« Il y a un effet de vitrine dans les grandes écoles. On s’intéresse toujours au recrutement, mais pas vraiment à ce qui se passe après. Pour les jeunes issus des classes populaires, les problèmes commencent à cet instant-là », répond Fabien Truong, sociologue, au Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris, lorsqu’on l’interroge sur les mesures annoncées par Emmanuel Macron à l’IRA de Nantes, sur l’ouverture de la fonction publique aux classes populaires.

On reste dans une conception très individualiste, alors qu’il s’agit d’un problème structurel. Ce mode de pensée empêche de réfléchir au système qu’il faut changer.

Pour lui, il faut changer de paradigme : « La réflexion doit aussi dépasser la question du recrutement qui ne doit pas se limiter à faire du nombre car laisser de la place à des trajectoires différentes, c’est aussi pour changer les modes de raisonnement et les conceptions des problèmes qui se posent. Or si ces jeunes ne peuvent pas exprimer ces différences, on passe forcément à côté de quelque chose . »

Par ailleurs, il estime que l’université se révèle fondamentale pour que l’égalité des chances fonctionne : « On n’a jamais eu autant de jeunes des classes populaires qui s’engagent dans les études supérieures, mais l’université ne peut pas absorber toute cette diversité sociologique sans moyen supplémentaire ni redéploiement de ses missions »

Au cours de son échange avec les jeunes à Nantes, le président expliquait que « l’égalité des chances ne marche que par des modèles », mais d’après Fabien Truong, la question s’avère beaucoup plus complexe que cela : « On reste dans une conception très individualiste, alors qu’il s’agit d’un problème structurel. Ce mode de pensée empêche de réfléchir au système qu’il faut changer. Il y a toujours eu des modèles, comme par exemple la fameuse lettre de Camus lorsqu’il a reçu le prix Nobel de littérature. C’est peut-être motivant mais c’est aussi souvent l’arbre qui cache la forêt. »

Hervé Hinopay

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