« Ça va mal, il n’y a plus de respect et c’est devenu presque à la mode. La France c’est la police, sans police on n’est rien. Les délinquants ont plus de moyens que nous. La justice est mal faite », lâche Miloud, 48 ans, dont 20 de service au sein de la police, et qui a tenu à être présent dans un rassemblement policier hautement politique. Le ton est donné.

Revendications syndicales sur un fond de malaise policier, ou bras de fer politique à tendance réactionnaire contre la justice ? Le rassemblement policier du 19 mai devant l’Assemblée Nationale continue de susciter la polémique, dans un débat politique où la crise sociale et sanitaire a été dépassée sur la droite par la thématique sécuritaire.

L’intersyndicale policière, à l’origine du rassemblement, a placé la manifestation sous le signe du soutien aux agents, avec notamment un hommage à Eric Masson (policier tué à Avignon le 5 mai lors d’une intervention face à un trafic de stupéfiants). Un hommage, mais aussi un coup de pression politique très à droite, avec une revendication en point d’orgue : « la mise en œuvre de peines minimales pour les agresseurs de Forces de l’Ordre », pouvait-on lire sur le communiqué.

La gauche sans idées, et derrière l’extrême-droite

À cet appel, jugé par Jean-Luc Mélenchon (absent revendiqué) comme « factieux », de nombreuses têtes d’affiches de la gauche ont répondu présent comme Yannick Jadot, candidat EELV à la présidentielle, Fabien Roussel numéro 1 du PCF, Anne Hidalgo, la maire de Paris, ou encore Olivier Faure, le Premier Secrétaire du PS, absent de la manifestation contre les violences policières en juin 2020. Le leader du PS a même emboîté le pas aux syndicats policiers en proposant « un droit de regard » des policiers aux décisions de justice, quitte à piétiner la séparation des pouvoirs et le rôle des magistrats.

Une surenchère idéologique finalement regrettée par le Premier Secrétaire du Parti Socialiste, qui trahit une position idéologique fébrile à gauche, entre un soutien aux forces de l’ordre sans idées concrètes, et une stratégie électoraliste qui se résume à occuper le terrain sécuritaire comme on peut.

Quitte à croiser les visages de l’extrême-droite, présents en rock-stars sans masque, comme Eric Zemmour, Jean Messiha, ou encore Jordan Bardella, numéro 2 du Rassemblement National et Philippe de Villiers. Aperçus aussi, Xavier Bertrand, Président de la région Hauts-de-France, et Valérie Pécresse, Présidente de la Région Île-de-France.

La présence du ministre de l’Intérieur est complètement inopportune.

Et au milieu d’une foule massive (près de 35 000 selon les syndicats) composée en grande majorité de policiers, les représentants de la gauche et du gouvernement avec Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur. « La présence du ministre de l’Intérieur est complètement inopportune parce que c’était une manif organisée par les syndicats. Ils viennent exprimer quelque chose. Ça m’a un peu dérangée, comme s’ il allait un peu troubler la fête », regrette Anne, 25 ans, en préparation du concours de commissaire.

De son côté le ministre de l’Intérieur a pu apprécier les huées qui lui étaient réservées ainsi que les slogans, qui ont beaucoup choqué, appelant à une réforme législative. « Il est temps de frapper les petites frappes. Il est temps de les frapper pénalement et lourdement », clame Olivier Varlet, secrétaire général UNSA-Police à la tribune. Le garde des Sceaux, absent du rassemblement, a répondu en jugeant « dangereux », l’opposition « avec un certain cynisme de la justice et la police ».

Ce n’est pas un métier facile. Dans certaines cités à une certaine heure il n’y a plus que la police et les pompiers.

Loin des joutes politiciennes et électoralistes, dans la foule, les langues de la base se délient. « Ce n’est pas un métier facile. Dans certaines cités à une certaine heure, il n’y a plus que la police et les pompiers. Vous êtes moins formé sur ce que vous allez faire réellement, du social souvent. On fait le tampon entre la société et les directives politiques et les conséquences qui s’en suivent », confie Laurent venu du Sud de la France, non loin d’Avignon, pour assister au mouvement.

Marcel, 78 ans, ne fait pas partie des forces de l’ordre. Pourtant, il a tenu à être présent ce 19 mai. « Les pauvres. Je plains les policiers. C’est un métier difficile, c’est notre protection. Ils sont des citoyens comme les autres. Le gouvernement doit agir et revoir tout ce qui dysfonctionne car ils ne sont ni aidés ni soutenus », déplore-t-il. Le retraité finit par ajouter que « comme dans toutes les professions, certains font mal leur travail, d’autres le font bien. »

Aux questions sur les violences policières ou au scandale des faux procès-verbaux de Viry-Châtillon, nombre des intéressés bottent en touche face à des mots qui restent tabous. « Le terme de violence policière est un peu déplacé chez nous », réagit Laurent. « Il y a eu certainement des violences exercées par des policiers à un certain moment. Après c’est au tribunal de juger de leur légitimité », ajoute l’agent qui préfère parler des conditions de travail et notamment salariales des policiers (à propos desquelles le ministre de l’Intérieur a annoncé une augmentation en octobre dernier).

Violences policières et malaise social

« Nous on est les ouvriers de la police, les petites mains. On est en bas. Qui dit petites mains dit petits salaires, c’est la même chose, avec plus de responsabilités accrochées. Au quotidien, on doit prendre des décisions qui sont instantanées. Les points de vue de la justice ou des médias, sans vouloir vous dénigrer, c’est vu en position assise, derrière un bureau. Sur le flot, souvent c’est une bonne décision mais il arrive de temps en temps qu’elles soient mauvaises. Ça arrive, souvent indépendamment de la volonté ou alors dépassé par les évènements, et il faut l’accepter. La formation et le recrutement y sont pour beaucoup », tranche Laurent.

Mais dans les rangs de policiers masqués, la mesure de l’agent tranche aussi avec une colère sourde chez beaucoup, et une fracture ouverte entre eux et certains jeunes des quartiers populaires. « Ça fait 25 ans que je suis dans la police. Avant, même les voyous étaient respectueux. Aujourd’hui on a le droit à une vague de violence gratuite, même pour un simple tapage », dénonce Massimo, agent venu accompagner son collègue Laurent. « Si on respecte la loi et la police, il ne se passera rien du tout, mais la plupart des gens sont dans la provocation », tonne Miloud pour qui les violences policières ne représentent pas la réalité.

Malheureusement, quelques cas nuisent à la réputation de la police nationale, mais je pense qu’il faut sanctionner les effectifs qui agissent mal. 

Anne, 25 ans, rêve de s’engager dans les forces de l’ordre depuis ses 13 ans. Elle est venue voir comment se déroulait le rassemblement. La jeune femme passe ses oraux ce jeudi 20 mai afin de réaliser son but ultime : devenir commissaire. « Il faut avoir conscience que c’est une institution qui est assez décriée. Je comprends, en terme d’image, le métier de la police est foncièrement violent, sans langue de bois c’est quand même l’armée de l’Etat. Malheureusement, quelques cas nuisent à la réputation de la police nationale, mais je pense qu’il faut sanctionner les effectifs qui agissent mal ».

L’étudiante ajoute : « Être policier, pour moi ça a un sens pour moi. La protection de la population, des victimes, de l’Etat et de l’Etat de droit, la protection des libertés, la recherche de la justice. C’est un peu toutes ces valeurs qui me sont chères et j’ai envie de les défendre ». Les syndicats droitiers de police auraient pu s’en inspirer. Leur ministre aussi.

Amina Lahmar, Jalal Kahlioui

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