Fin 2018, le mouvement des Gilets Noirs se répand comme une traînée de poudre dans les foyers de travailleurs de région parisienne. Des groupes se forment, des réunions d’informations et de débats ont lieu dans les foyers où sont nommés des référents chargés de se coordonner avec les autres groupes. Depuis, les Gilets Noirs s’organisent en mouvement autonome et luttent « pour des papiers pour tous et toutes, pour la dignité et l’autodéfense immigrée face au racisme et à l’exploitation. »

Pour institutionnaliser leurs luttes et se donner un levier plus puissant face aux employeurs et aux administrations, les Gilets Noirs actent un partenariat avec le syndicat de travailleurs CNT-SO (Confédération Nationale des Travailleurs – Solidarité Ouvrière). Pour comprendre les enjeux et revenir sur l’histoire du mouvement, le Bondy Blog a rencontré Yero Thiam un travailleur sénégalais en France depuis 2012, membre du mouvement. Interview.

Pouvez-vous expliquer en quelques mots qu’est-ce que les Gilets Noirs ? Comment le mouvement a vu le jour ?

Les Gilets Noirs, ce sont des travailleurs immigrés qui vivent pour la plupart dans des foyers. Le mouvement s’est formé en novembre 2018. À l’époque, les camarades ont vu les gilets jaunes et se sont dit : « Pourquoi, dans le pays des droits de l’homme, nous les travailleurs migrants, nous n’aurions pas le droit de lutter aussi pour nos droits et notre dignité en dehors des associations et des partis politiques. » Alors, ils se sont lancés. Dès le début, l’idée des Gilets Noirs, c’était de faire des actions pacifiques.

Les Gilets Noirs, ce n’est pas que des sans papiers. Ce sont des gens des foyers, mais qui ont des frères, des fils qui sont restés au pays et qui n’ont pas le droit de les rejoindre. La plus grosse partie de nos actions, c’est d’aller à la rencontre de toutes ces personnes dans les foyers. On organise des réunions d’informations et des discussions, on distribue des tracts, on colle des affiches…

On informe les gens qu’ils ont des droits et qu’on peut imposer un rapport de force pour les faire respecter et en obtenir davantage

Le but est de s’organiser collectivement contre ceux qui nous exploitent. On informe les gens qu’ils ont des droits et qu’on peut imposer un rapport de force pour les faire respecter et en obtenir davantage. Il y a beaucoup d’associations, de syndicats, de collectifs qui viennent en aide aux personnes migrantes. Mais les Gilets Noirs sont des migrants et sont présents directement dans les foyers.

Ce qu’on veut, c’est obtenir des papiers pour tout le monde. Être libre de vivre normalement, dans les foyers, avec qui on veut, d’avoir le droit de se loger et de travailler comme tout le monde et avoir le droit de retrouver nos familles. On s’organise aussi pour aider les camarades qui se retrouvent enfermés dans des CRA (Centres de rétention administratives, ndlr), où ceux qui sont sous OQTF (obligation de quitter le territoire français).

Aux débuts du mouvement, quelle a été la stratégie pour se faire connaître et mettre en avant vos revendications ?

En 2019, après la création du mouvement, il y a eu des actions marquantes. Les Gilets Noirs ont d’abord essayé sans succès d’occuper la Comédie Française. Ensuite, ils ont réussi à bloquer un terminal de l’aéroport de Roissy pour dénoncer la politique d’expulsion de l’État avec Air France.

Il y a aussi eu l’occupation du Panthéon, ça avait fait beaucoup parler. Et un blocage de la tour Elior à la Défense. C’est une entreprise qui emploie beaucoup de travailleurs sans papiers, qui travaillent sous alias. On avait appelé toutes ces actions « Gilets Noirs cherchent Premier ministre ». On voulait que le gouvernement entende nos revendications. D’une certaine manière, ça a fonctionné, Édouard Philippe en a parlé à l’Assemblée nationale. Mais bien sûr, il n’a jamais discuté avec nous.

Ces actions nous ont tout de même permis de nous faire connaitre. Beaucoup de gens ont adhéré au mouvement à cette période.

Aujourd’hui, vous avez changé d’approche. Vous avez en quelque sorte arrêté les actions pour attirer l’œil des médias et des politiques. Quel est le quotidien des Gilets Noirs et comment s’articulent leurs luttes ?

Comme je le disais, on s’organise contre ceux qui nous exploitent. Ça commence avec les gestionnaires des foyers de travailleurs. Dans les chambres, on ne peut pas ramener sa famille, ses enfants, on ne peut loger personne dans sa chambre. À Chilly-Mazarin par exemple, un père n’avait pas le droit de faire vivre son fils dans le foyer. Pourtant, c’est son logement, il paie pour ça. On a manifesté et on est allés voir la mairie. De cette manière, on a réussi à obtenir gain de cause pour ce père de famille.

Pendant le confinement, les gens étaient enfermés dans les foyers. On n’avait plus de travail, plus de droits, on était abandonnés par les gestionnaires. Ils avaient fermé tous les espaces communs, on était contraints de rester dans nos chambres. Les Gilets Noirs ont fait le tour des foyers et ont amené des médicaments, de la nourriture, ils sont venus prendre des nouvelles et expliquer à tout le monde les protocoles sanitaires.

Et sinon, ceux qui nous exploitent, ce sont aussi les patrons. Si quelqu’un vient voir les Gilets Noirs et dit qu’il a un problème avec son employeur, on va essayer de faire pression. On va d’abord appeler le patron et si ça ne suffit pas, on ira le voir. Souvent ce qu’on veut, c’est qu’il signe une concordance. Qu’il reconnaisse que c’est bien telle personne qui travaille pour lui depuis plusieurs années sous alias afin qu’il puisse déposer une demande à la préfecture pour obtenir les papiers.

Et c’est pour cette raison, pour avoir plus de force face aux patrons, que vous avez acté une alliance avec le syndicat CNT-SO ? Qu’est-ce que ça apporte au mouvement d’avoir cet appui institutionnel ?

Pour les problèmes avec les patrons, il fallait toujours l’aide des syndicats, l’association n’a pas beaucoup de force contre eux. Surtout quand des camarades sont obligés d’aller aux Prud’hommes.

Les adhérents paient une petite cotisation mensuelle et on a une carte de syndicat « Gilets Noirs CNT SO » 

Avec la CNT-SO ça fait un petit moment qu’on travaille et qu’on manifeste ensemble. Mais maintenant, on a rendu ça officiel. On a créé une section commune. Les adhérents paient une petite cotisation mensuelle et on a une carte de syndicat « Gilets Noirs CNT SO ». Ça nous permet surtout d’avoir une permanence. Maintenant, quand on va tracter à la sortie de certains chantiers, on peut dire aux travailleurs que s’ils ont besoin, ils peuvent venir nous rencontrer à telle adresse, à telle heure. Ce n’est plus que dans les foyers.

On peut aussi ramener directement nos dossiers administratifs pour les demandes de papiers à la CNT-SO, ils les traitent, ils les trient. Ils ont un salarié pour ça. Tu as de grandes chances que ça fonctionne, 90 % de chances. On n’a plus besoin de dépenser des milliers d’euros en frais d’avocats pour s’assurer que notre dossier est complet.

Aux Gilets Noirs, comment avez-vous pris l’annonce du projet de loi Asile Immigration de Gérald Darmanin ? Est-ce que c’est un sujet qui vous inquiète et dont vous parlez beaucoup ?

Bien sûr que ça nous inquiète. Pour la loi Darmanin, on a dû faire beaucoup d’information dans les foyers. Au début, les gens se sont dits que c’était bien, qu’ils allaient nous donner des papiers. On a dû expliquer qu’ils allaient juste donner des papiers temporairement pour qu’on puisse travailler dans des métiers en tension, que personne ne veut faire. Mais que dès que l’employeur n’aurait plus besoin de nous, ce serait terminé. On a vraiment dû enquêter et aller partout, expliquer aux gens qu’il ne fallait pas croire les promesses du gouvernement.

On continue à se mobiliser. Les Gilets Noirs sont avec la CNT-SO dans toutes les manifestations contre cette loi. Et on continuera à se battre collectivement pour qu’elle ne passe pas.

Propos recueillis par Névil Gagnepain

Crédits photos : Gilets noirs 

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