Incarcéré au sein d’une maison d’arrêt d’Île-de-France, Georges*, 36 ans, pratique le Ramadan derrière les barreaux. Ce dernier entame sa 14ᵉ année de prison. Il fait partie de ces prisonniers qui achètent en « cantine », ce catalogue qui leur permet de commander de quoi manger, se laver ou autre.
Pour le mois de ramadan, la liste est exceptionnellement variée dans le choix des aliments. « Cette année, c’est cool, ils nous ont respectés. Ils nous ont mis pleins de bonnes choses à acheter comme du poulet rôti, des tenders, du filet de poulet ou même des pâtisseries comme des qalb el louz », salue Georges.
Les familles de détenus en soutien
Cantiner au sein des prisons peut s’avérer difficile pour les prisonniers musulmans en cette période si particulière. En effet, entre la commande et l’arrivée du colis alimentaire, il peut s’écouler plusieurs jours. Ce temps d’attente assez long peut mettre en péril la pratique du jeûne des prisonniers. C’est le cas du frère de Lyna*, actuellement enfermé au sein d’une maison d’arrêt dans le Grand Est.
La seule fois où il a été autorisé de ramener de la nourriture, c’était pour le colis de Noël
« Le problème, c’est qu’il peut se retrouver à court de nourriture et ne rien avoir à manger pendant 10 jours en attendant l’arrivée du colis », explique-t-elle. Face à l’interdiction d’apporter à manger aux détenus, les familles se retrouvent démunies et sans solution. « La seule fois où il a été autorisé de ramener de la nourriture, c’était pour le colis de Noël. On avait le droit à 5 kg. On aurait aimé pouvoir le faire aussi pour le ramadan, c’est important pour nous », regrette Lyna.
Cette interdiction pousse certaines familles à franchir les limites de l’interdit pour offrir du confort à leur proche au risque de perdre les visites au parloir. Il y a trois ans, le frère de Louisa* était enfermé au sein de la maison d’arrêt d’Osny. Ayant eu écho de la difficulté de son frère à se nourrir correctement en viande, elle a alors trouvé un stratagème. « Étant donné que la viande n’était pas au top, je lui faisais passer de la viande congelée sous les piles de vêtements pendant la visite au parloir. Ce sont les mamans dans les salles d’attente qui m’avaient appris ce petit tour », en rigole-t-elle aujourd’hui.
Les difficultés des détenus les plus précaires
Il y a également l’explosion des prix des produits qui posent problème dans leur pratique du Ramadan. Les produits sont excessivement chers et affichent des prix multipliés par trois voire quatre comparés à ceux des grandes surfaces. Selon l’Observatoire International des Prisons (OIP), un quart des prisonniers se trouve en situation de précarité carcérale. Ce sont donc 16 % des prisonniers qui vivent uniquement de l’aide octroyée aux indigents à hauteur de 20 euros par mois, selon le journal La Croix.
Le codétenu de mon frère ne perçoit pas de virements parce qu’il n’a pas de famille ni personne à l’extérieur
Ces détenus dépendent principalement des repas des centres pénitenciers, souvent jugés de mauvaise qualité et aux quantités insuffisantes. Avec l’arrivée du ramadan, les prisonniers qui peuvent se permettre de cantiner, cuisinent et partagent leur repas avec leurs codétenus indigents, encore plus durant ce mois où la solidarité est prônée. « Le codétenu de mon frère ne perçoit pas de virements parce qu’il n’a pas de famille ni personne à l’extérieur. Mon frère cuisine donc en double pour pouvoir le nourrir », témoigne Lyna.
La solidarité des détenus lors du ramadan
Mohamed Loueslati, 75 ans, est aumônier musulman depuis 25 ans dans les prisons. Son rôle est d’assurer la pratique religieuse et d’apporter un soutien spirituel aux détenus. Durant son expérience, il a été témoin de cette générosité qui règne entre les prisonniers durant le ramadan. « Ce qui m’a vraiment marqué, c’est l’atmosphère de partage. Les prisonniers s’échangent des plats ou des ingrédients. Pendant ce mois en particulier, ils aiment cuisiner », relate l’aumonier.
Le mois du Ramadan est synonyme de partage et de convivialité. Un mois où les familles et les amis se rendent visite et se retrouvent pour partager l’iftar. À défaut de ne pas pouvoir partager un moment convivial autour d’une table, les détenus se contentent des visites au parloir.
Des visites d’autant plus précieuses
Habituellement, Lyna et sa famille viennent au parloir toutes les semaines pour rendre visite à son frère. Depuis que le ramadan a commencé, ils ne sont venus que deux fois. Le manque de visite se justifie par les horaires de parloirs mal synchronisés avec les heures de rupture du jeûne et un trajet conséquent entre le domicile et la maison d’arrêt.
C’est un peu compliqué avec le jeûne, mais on s’organise pour faire au mieux
« C’est un peu compliqué avec le jeûne, mais on s’organise pour faire au mieux », confie la jeune femme. Essentielles, les visites des familles permettent de garder le lien familial, surtout en cette période où les détenus sont loin de leurs proches, nostalgiques des moments familiaux. « Pour mon frère et les autres détenus, c’était une petite parenthèse dans leur vie difficile », explique Louisa.
Jeûner seul est une épreuve pour les détenus. Par ailleurs, certains d’entre eux cohabitent avec des co-détenus non-musulmans, renforçant ce sentiment de solitude et de frustration de ne pas pouvoir partager son repas de rupture avec d’autres fidèles. C’est le cas de Georges. « Je suis habitué maintenant, mais c’est toujours plus agréable et sympa de couper avec du monde. Ceux qui me manquent le plus, ce sont mes parents », souligne-t-il.
Une épreuve également difficile pour les familles qui ressentent un vide laissé par l’absence de leur proche. « Durant le ramadan, on sent qu’il manque quelqu’un à table et ça fait bizarre, car on a toujours fait le ramadan en sa compagnie », ajoute Lyna. En attendant le jugement de son frère, Lyna ignore combien de ramadan, elle devra attendre avant de revoir son frère autour de la table.
La foi pour combler la solitude
Face à cet isolement, les prisonniers musulmans trouvent refuge dans leur pratique religieuse. La traditionnelle prière du vendredi est l’un des seuls moments où les fidèles musulmans peuvent se réunir et se retrouver. En tant que soutien moral et spirituel, les aumôniers ont un rôle central dans l’entretien de l’esprit du ramadan dans les centres pénitenciers.
S’il y avait plus de moyens, nous pourrions recruter plus de personnes et nous pourrions faire plus de choses pour les détenus
« C’est une période spirituelle forte. Il y a un retour au repentir et nous sommes davantage réclamés par les détenus pour les aider dans ce cheminement », raconte Mohamed Loueslati. Un soutien moral qui est surtout une étape pour aider à la réinsertion des détenus. Cependant, l’aumônier de 75 ans souligne le manque de moyens accordés aux aumôneries musulmanes. « S’il y avait plus de moyens, nous pourrions recruter plus de personnes et nous pourrions faire plus de choses pour les détenus. »
Les prisonniers musulmans attendent avec impatience l’Aïd El Fitr, la fête qui célèbre la fin du ramadan après un mois d’effort. Un moment de convivialité qu’attendent tous les fidèles. Au sein des centres pénitenciers, la journée commencera par la prière de l’Aïd au sein de la salle de culte, suivie d’un moment de partage autour d’un repas préparé par des associations et des mosquées avec tous les détenus.
« Ceux qui le souhaitent pourront ramener ce qu’ils ont cuisiné depuis leur cellule », précise Georges. « La veille, nous préparons le repas à la mosquée. Nous sommes contents, car les prisonniers mangent bien. Cela change du reste de l’année », salue l’aumônier. Un dernier repas partagé avant que chacun ne retourne à son quotidien.
Sélim Krouchi
*Les prénoms ont été modifiés