Son nom ne vous dit sûrement rien mais Adrien Dinh, c’est quelqu’un. Si vous voulez vous en convaincre, tapez « le CM des produits laitiers » dans la barre de recherches.

Certains rendent hommage à son génie :

D’autres un peu moins :

Adrien Dinh a presque la trentaine, il est père de deux enfants et précise qu’il « aime beaucoup ce nouveau rôle. » Et la manière dont il en parle est sûrement la meilleure publicité possible pour la paternité. Adrien est né et a grandi à Paris, dans le 20e plus précisément, quartier de la Banane. Celui qu’a popularisé le rappeur Moha la Squale dans ses sons. Adrien reprend et sourit : « Comme on a dix ans d’écart, Moha, c’était un petit du quartier. »

Au vu de ce qu’il raconte, il a l’air d’avoir eu le profil de l’élève qui recevait chez lui des bulletins avec inscrit « vrai touriste, il prendrait presque des photos. » Il dit que ça l’a toujours sauvé d’avoir été le « comique de la classe. » Il décroche tout de même un bac L, tente la fac, arrête, voyage, recommence puis finit par obtenir une licence de LEA, pour lettres étrangères appliquées. Celui qui pensait « ne pas aller loin dans les études » obtient un double-master en international business et international economic business et finance son école de commerce grâce à des petits boulots. C’est lors d’un stage qu’il se prend de passion pour le digital. Il commence par travailler en agence avant d’arriver au CNIEL (Centre national interprofessions d’économie laitière) – et donc dans vos TL – au début de l’année 2018.

La charge est lourde : soigner l’image des produits laitiers, un des fleurons de la production française. Un an et demi plus tard, 140 000 personnes suivent le compte des Produits Laitiers sur Twitter, ce qui n’était pas une mince affaire. Un succès qui s’explique par une communication décalée, associant le savoir-faire français en matière de lait ou de fromage à des codes jeunes, urbains, souvent décalés. Pourtant, Adrien l’assure, ce n’est pas à cela qu’il accorde « le plus de temps ».

Le « CM des Produits Laitiers » est aussi responsable de toute la stratégie digitale, et cela aussi bien sur les sujets sérieux et institutionnels que sur la partie grand public, plus visible. S’il travaille avec une autre community manager qui gère les comptes Facebook et Instagram, il précise que c’est bien lui qui « tweete au quotidien » mais également qu’il n’est « pas en roue libre ». Il rappelle la fois où il a dû supprimer un tweet reprenant le même d’une personne se déclarant non-binaire parce que cela avait suscité des réponses haineuses : « Je m’amuse pas mal dans mon travail, j’ai cette chance, mais derrière, il y a de la stratégie, on s’appuie sur des études. La filière laitière, ça reste une filière très sérieuse. »

BB : On voit souvent le compte « Les Produits Laitiers » apparaître quand on se promène sur Twitter. Mais c’est quoi, en fait, ce compte ?

Adrien Dinh : Les produits laitiers, c’est d’abord une identité de marque grand public qui découle du CNIEL. C’est une association qui représente tous les acteurs de la filière laitière donc les agriculteurs, les producteurs de lait, les transformateurs et les industriels. L’idée, c’est qu’on communique sur les produits laitiers, qu’on défende les intérêts des produits laitiers sur différents aspects.

Comment on communique là-dessus ? 

Sur le côté grand public, il y a toujours eu beaucoup d’humour dans la communication autour des produits laitiers. C’était la fameuse pub « Les produits laitiers sont nos amis pour la vie », dont l’idée était de se rapprocher des gens. La cible a toujours été très jeune et on a toujours essayé de passer par la télévision pour la toucher, jusqu’à très récemment avec « Paf paf le loup. »

Mais aujourd’hui, les jeunes n’ont plus cette référence en tête. Ce qu’on veut, c’est leur proposer une communication qui leur ressemble, pas les pubs où on caricature des jeunes avec une mèche sur le côté et la casquette à l’envers. Aujourd’hui, pour utiliser des termes très marketing, notre cible, c’est les millenials, c’est-à-dire les 15-35 ans. C’est la génération des digitale natives, qui est incomprise par beaucoup d’annonceurs et de marques. Ils ont des nouveaux usages des médias et de la publicité, c’est ce qu’on essaye de viser.

Qu’est-ce qui fait qu’on décide de parler spécifiquement à cette cible-là ?

Comme beaucoup de marques, on a un système de veille qui nous permet d’analyser notre cible, de savoir comment on parle de nous, sur quelles plateformes… Là, on s’est aperçu qu’il y avait des débats très sérieux comme « Est-ce qu’on met le lait avant ou après les céréales ? », « Qui a caché mon yaourt ? », « Est-ce qu’on mélange ou pas son yaourt avant de le manger ? »… On partage aussi des recettes ou des repas un peu hasardeux, parfois ratés, on se fait chambrer…  Cette communication est propre à Twitter. C’est tout un monde à découvrir mais au final on voit que c’est très bien pris, que les gens partagent parce que ça les fait rire et qu’il y a ce côté viralisation très rapide sur Twitter.

Au début, l’idée était de comprendre vraiment qui ils sont. Parce que même si c’est ma communauté, on n’est pas tellement de la même génération. Par exemple, ils écoutent Jul et pas moi. Alors je l’écoute maintenant pour comprendre leurs références. L’idée étant de leur donner ce qu’ils veulent en termes de communication, pas l’inverse.

Ce qui t’a fait remarquer, c’est aussi l’utilisation d’un langage un peu « street », la reprise de mots ou d’expressions qu’on n’a pas l’habitude de voir tweetés par une marque…

Comme je l’explique souvent, on ne l’a pas choisie, cette cible. On a regardé qui parlait des produits laitiers et c’est eux qui en parlaient le plus. Il y avait les vegans aussi, mais c’était évidemment compliqué d’axer une communication là-dessus, et les parents, mais qui étaient plus présents sur Facebook. Alors on a décidé de parler avec les gens qui parlent de nous. La street s’est imposée d’elle-même, en fait.

Pour moi, ça a été une facilité et une difficulté car c’est une communauté qui m’est proche en termes d’affinités. On a tous des affinités musicales, culturelles et autres. Mais à presque 10 ans d’écart avec cette génération, il y a malgré tout pas mal de décalage. Par exemple, j’écoute du rap mais ce n’est pas le même qu’un mec de 16 ans. Les expressions changent aussi, il faut se renouveler. Même pour quelqu’un comme moi qui a cette facilité du point de vue de cette communauté, il y a quelque chose à appréhender pour ne pas être gênant.

C’est marrant parce que ce décalage est arrivé au même moment que ma paternité. Je suis un jeune papa, j’ai deux enfants qui ont un et trois ans. Je me suis dit « ok, c’est un gros coup de vieux. » Parfois je cherchais sur Google la signification de certaines expressions, d’un buzz, je demandais à des connaissances… Et puis c’est assez drôle mais sur ce genre de plateforme, si tu déconnectes une semaine tu as l’impression d’avoir raté une saison entière d’une grosse série. C’est une plateforme qui prend donc pas mal de temps de veille.

C’est étonnant parce que finalement le fromage et le lait, c’est la street ? 

Sur Twitter, paradoxalement oui, ils adorent le fromage. Enfin, pas tous. Ils adorent le fromage de chèvre, le Boursin… Mais le bleu, par exemple, ce n’est pas celui qui a le plus gros capital sympathie parce que c’est un « fromage d’adultes ». Il y a aussi toute une communauté qui va dire que « La Vache qui rit » et tous les fromages du genre, ce n’est pas du fromage. Mais si, ça l’est !

Il y a quelques années, je pouvais entendre le fait que la street, c’était très communautariste et segmentaire. Aujourd’hui, je suis désolé mais ce n’est plus le cas. Si vous regardez le top Spotify des musiques les plus écoutées en France, les 28 premiers titres sont des titres de rap. Et on ne peut pas dire qu’il n’y a que les banlieues qui écoutent Spotify, c’est national.

Ces idées digitales, toute personne de mon âge peut les avoir, on a tous plus ou moins les références. Après, il y a l’audace de le faire de le valider et la confiance qu’on nous accorde. Là-dessus, moi, j’ai beaucoup de chance avec le CNIEL. Il y a aussi la pédagogie de l’expliquer, expliquer ce qu’est le rap aujourd’hui notamment. Et on a des exemples qui nous aident : PNL sur la Tour Eiffel, Narcos sur Netflix… Et ce n’est pas parce qu’on parle de drogue sur un monument français que tout le monde va se mettre à en vendre. Ce n’est pas pour autant que demain on va se mettre à faire des blagues type « qui veut de la poudre de lait », non, il y a quand même des limites évidemment. Ce qu’on fait, c’est du divertissement.

Vous défendez les intérêts et l’image d’une industrie, pas d’une marque en particulier… Est-ce qu’on peut dire que vous représentez un lobby ? 

C’est vrai, on n’est pas une marque, on ne vend rien en soi. Parfois, je reçois des messages de petits en DM qui me demandent « Mais au fait, vous êtes qui ? Pourquoi vous êtes certifiés ? ». On est une organisation interprofessionnelle, le CNIEL donc. C’est considéré comme un lobby aujourd’hui sauf que l’image de lobby en France est très négative. Mon idée était de changer cette image de lobby, c’est-à-dire les trois produits laitiers à manger par jour, dire que c’est bon pour la santé… Au final, ce n’est pas à nous de le dire, il y a des études qui le font très bien.

Nous, on peut montrer l’évolution de la qualité du lait, des métiers sur tous les aspects. Mais sur la partie grand public l’idée est de promouvoir le plaisir des produits laitiers. Autour des produits laitiers il y a plein de choses à raconter, parler des débouchés professionnels notamment, des éleveurs, etc. Dernièrement, on a communiqué au moment de Parcoursup sur nos débouchés.

Chaque chose en son temps. La première étape c’était de rajeunir l’image des produits laitiers, la capitaliser, avoir un capital sympathie pour pouvoir être entendu ensuite. Au début, la problématique, c’était qu’on avait plein de choses à dire mais qu’on n’était pas visible. Donc il fallait augmenter la notoriété. On a commencé à 2000 abonnés environ sur Twitter. En un an, on en a gagné 100 000 de manière organique, sans sponsoring ni recherche d’abonnés particulière. C’était une belle année pilote. Là, on va entrer dans une deuxième phase, on va avoir un site Internet qui va ouvrir, notamment.

Comment on trouve les punchlines, les contenus, les idées qui aboutissent à quelques milliers de retweets ? On a un planning de publication, on fait des réunions ?

Non, c’est au quotidien. Si vous regardez bien, on ne se cale pas du tout sur les marronniers. On ne se dit pas « Oh tiens, c’est la fête des mères, il faut faire un tweet ! ». C’est en totale contradiction avec ce qui se fait en avance mais ça correspond à nos abonnés. Les marronniers, c’est vu et revu, ça devient vite lourd. Nous, on voulait se démarquer et interagir avec la communauté.

Pour nous, Twitter, c’était un pilote. On est parti du principe que, puisqu’on n’a encore rien fait, tout est possible. On essaye de réagir avec des références qui leur ressemblent, des mangas, des citations de rap et hop ça prend. Petit à petit c’est vite monté. Ensuite il y a ces influenceurs sur Twitter qui ont apprécié et validé, on a eu cette street-crédibilité. On a parlé de One Piece, Rebeu Deter a commenté en disant que c’était lourd, on a parlé de foot, YannouJr (un supporter de l’OM très actif, ndlr) a commenté…

Ils ont commencé à interagir avec nous sans même qu’on leur demande, qu’on fasse les forceurs. Et voilà, ils amènent leur communauté et ensuite la communauté des produits laitiers s’agrandit petit à petit. On a un capital sympathie qui n’est pas négligeable. Les gens ont conscience que c’est une marque mais ils suivent parce que le ton leur correspond.

Ça fait évidemment plaisir. Mais c’est l’idée du CM qui importe. Si demain je pars et que quelqu’un se cale sur ma ligne édito, tous les followers n’en sauront rien. C’est aussi pour ça que j’explique la stratégie en interne, pour que tout le monde la partage et au cas où je ne suis pas là ou pas disponible. On part du principe que c’est la communauté qui nous donne le contenu.

En interne, est-ce que tout le monde comprend cette stratégie et ces références street ? 

Ce qui est beau, c’est qu’on ne fait rien si les trois collèges ne sont pas d’accord : industriel, coopérative et producteur, donc ça peut prendre du temps. On fait valider notre stratégie globale mais pas quotidienne, évidemment. Deux fois par an, on a des commissions marketing où on présente nos actions, nos projets et nos résultats. La stratégie a été validée au départ parce qu’il y avait une certaine confiance. Ensuite, on fait des études pour évaluer ce que l’on fait. Moi, je l’avais dit au départ : si le résultat c’est qu’on fait juste rire, on arrête. Si ça ne produit rien sur la sympathie des produits laitiers, sur la consommation des produits et l’image de la filière, ça ne sert à rien.

En interne, beaucoup ne sont pas exactement dans la cible. Donc au début, ils ne comprenaient pas tellement pourquoi on se mettait à clasher des gens. Et puis, les études ont montré que la sympathie des produits laitiers avait augmenté. J’étais très surpris que ça augmente si vite. Et ça, ça valide et rassure sur ce qu’on peut ensuite faire par la suite.

Cette année on a lancé Instagram et Facebook mais à destination d’autres communautés. Facebook c’est une communauté vieillissante qui a plus de 35 ans, des parents. C’est ma communauté future finalement (rires). L’objectif étant de donner aussi du contenu qu’ils veulent mais pas avec les mêmes références évidemment. On ne va pas mettre Alkapote sur Facebook par exemple, ni parler de Booba. On va plutôt parler de Kaamelott et Burger quizz. Instagram, c’est un peu dans l’entre deux. On est plus sur du visuel, des stories.

Donc j’entends souvent des gens dire « Vous, votre communauté c’est la street ». Oui, mais ce n’est pas que ça. C’est comme ça qu’on a commencé sur Twitter, et c’est effectivement le cas mais sur nos autres réseaux ce n’est pas le cas.

On voudrait aussi revenir sur le tweet du ramadan. Pourquoi ?

De toutes les religions, l’islam est la seule où le lait à une place centrale à un moment donné fort d’un événement religieux. La communauté musulmane est quand même présente en France alors à un moment donné il n’y a rien de mal à mettre un verre de lait, une datte et dire « C’est l’heure. » On n’a pas parlé en arabe, on n’a pas dit « Saha ftourkoum » (bon appétit, ndlr), on n’a pas fait de prosélytisme. Non, on a juste dit que c’était l’heure avec un lait et une datte.

Moi, je suis assez à l’aise avec ça puisque dans ma famille quatre religions coexistent. Même nos industriels vendent du leben (du lait fermenté, ndlr) avec des inscriptions en arabe donc il n’y a aucun souci avec ça. Par exemple, les produits laitiers sont très présents au Sénégal, ça nous est donc arriver de parler wolof. Il y a un esprit très international, finalement. On est présent dans près de 67 pays. Moi je fais des tweets en russe, en wolof, en viet… C’est plus rare mais ça arrive.

Tu fais partie de la grande confrérie des CM, de plus en plus mis en avant sur Twitter. Est-ce que vous avez des liens, entre vous ?

Il y a de l’interaction entre les comptes, oui, plutôt par affinités. A titre personnel, j’apprécie particulièrement un des CM de Décathlon que tout le monde connaît aujourd’hui, Yann. Il a un community management drôle et responsable à la fois et ce n’est pas évident. L’affaire du hijab n’était pas évidente et il a très très bien géré tout en maintenant ses convictions et celles de la marque. Lui, j’ai envie de lui dire « Je t’aime. »

(C) Anne Soullez

Mais personnellement, voilà, je suis papa. Une fois que je sors du taf, je file chez moi. Il y a plein de soirées qui se font mais moi je suis très casanier et puis je ne bois pas. C’est paradoxal mais une fois que je ne suis plus au bureau, je ne suis sur aucun réseau. Je regarde ce qu’il se passe sur les réseaux, je fais de la veille quotidienne bien sûr mais je ne l’utilise pas à titre personnel, je ne fais pas de stories par exemple.

Question bonus et culture : Qu’est-ce que les produits laitiers pensent du buzz des laits végétaux ? 

Déjà, on ne dit pas laits végétaux mais jus végétaux même si personne ne le dit comme ça. C’est juste quand dans la législation, normalement on parle de jus. Le lait, c’est ce qui sort du lait d’un mammifère. Il y a des exceptions comme le lait de coco, d’amande parce que c’est rentré dans le langage courant. C’est assez paradoxal mais avant, quand on avait très peu de notoriété, la communauté vegan nous trollait pas mal. A partir du moment où on a lancé cette communication, ça s’est calmé. En tout cas, pour revenir à la question des jus végétaux, on a des marques qui sont sur ces deux marchés de toute façon et pour moi ce sont des produits qui se complètent. On peut aimer les deux. Nous, on n’est pas anti jus végétaux.

Propos recueillis par Sarah ICHOU et Latifa OULKHOUIR

Crédit photo : Anne SOULLEZ

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