Dans une ville que je ne connais pas, je m’intéresse toujours aux noms des rues, des places ou des salles de spectacles. Ils racontent le lieu à leur manière, indirecte, symptomatique, étrange, souvent énigmatique, parfois comique. De ce point de vue, je me suis régalé à Bondy.

Je passe sur les grands classiques: avenue de la République, place du 11 Novembre 1918, avenue Jean Moulin… Ils sont si communs qu’ils apportent une teinte impersonnelle et font ressentir ce sentiment peu morose que l’on éprouve aussi dans les aérogares.

La première chose qui m’a amusée, en arrivant dans notre micro bureau de la Cité Blanqui, c’est de constater qu’il se trouve à la rue Simone de Beauvoir. Il me semble que le machisme est encore loin d’être éradiqué dans le secteur et je me dis que l’auteur du Deuxième sexe aurait ici du pain sur la planche. Je sais par ailleurs que beaucoup de lecteurs préfèrent Sartre à sa compagne Simone, et je les rassure: en consultant un plan de Bondy, j’ai découvert qu’il existe aussi une rue Jean-Paul Sartre.

Autre étonnement, cet Auguste Blanqui, qui donne son nom à la cité. Aux amnésiques, je rappelle que ce révolutionnaire fut un éternel proscrit, un insurrectionnel impénitent, un émeutier de 1870 et un théoricien de l’action violente contre l’Etat bourgeois, Est-ce vraiment un exemple pour les jeunes de la cité?

Puis, en me baladant, je suis passé par la rue de l’Union et la rue de la Solidarité. J’ai noté qu’il existe aussi une rue Jules Guesde et, à Bondy Nord, une crèche départementale Léon Blum. Partout affleure cette culture sociale de gauche qui marque depuis longtemps l’histoire de la ville. C’est comme s’il y avait plusieurs couches. Les plus fraîches dénotent une ouverture sur le monde et la variété grand public avec l’Espace Angela Davis et l’Espace social Daniel Balavoine. On pourrait même y ajouter un côté « gauche plurielle » puisque l’agronome et écologiste à col roulé René Dumont possède, lui aussi, sa rue à Bondy.

Je termine cette rêverie toponymique par deux motifs de satisfaction personnelle. D’abord le fait que la rue René Char débouche symboliquement sur une impasse René Char: j’avoue que la poésie de ce dernier me donne aussi l’impression de déboucher sur une impasse. Ensuite, cette curieuse sente Pierre Bourdieu qui m’a fait bien rire: belle leçon de modestie pour ce sociologue arrogant qui ne méritait certes pas une rue et encore moins une avenue. Etre réduit à l’état de « sente », c’est une peine justifiée pour nous avoir infligé une œuvre migraineuse et pleine de ressentiment.

Par Michel Audétat

Michel Audétat

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