Devant les grilles du Conseil d’État, une affluence inhabituelle apparaît, vendredi 29 septembre. Une longue file d’attente s’étire où se mélangent les costumes-cravates des étudiants en droit et les baskets usées des militants et des journalistes. Une fois passé le contrôle de sécurité, chacun essaie de se frayer un chemin vers la salle d’audience déjà si remplie qu’une autre salle, où sont retransmis les débats, a été ouverte. « On entend mieux ici que dans la salle d’audience », assure la chargée de presse.

À 14 heures, l’audience démarre. L’État fait-il assez pour lutter contre les contrôles d’identité au faciès ? Telle est la question à laquelle les juges devront répondre dans les prochaines semaines. La plus haute juridiction administrative a été saisie par six associations et ONG (Amnesty International, Human Rights Watch, Maison communautaire pour un développement solidaire, Open Society Foundation London, Open Society Institut, Pazapas Belleville et Réseau Egalité, antidiscrimination, justice interdisciplinaire).

La requête vise à faire cesser une pratique « généralisée » en France de contrôles d’identité « discriminatoires » fondés sur des traits physiques renvoyant à une origine ethnique « réelle ou supposée ». Elle intervient à la suite d’une mise en demeure adressée en janvier 2021 aux autorités d’engager des réformes structurelles et des mesures concrètes pour mettre fin aux discriminations et restée sans réponse.

En parallèle de la procédure, une campagne en ligne #MaRueMesDroits a été lancée. Son objectif est de sensibiliser le public et informer les citoyens de leurs droits, mais également d’offrir une plateforme sur laquelle quiconque a subi des discriminations lors d’un contrôle d’identité peut partager son témoignage.

Un risque 20 fois plus élevé d’être contrôlé

De tels contrôles, sans justification objective préalable, sont illégaux. En effet, les textes de loi n’autorisent les contrôles d’identité que dans des cas précis, notamment en cas de flagrant délit, de risque d’atteinte à l’ordre public ou sur réquisition du procureur de la République.

Mais les discriminations perdurent en France. Les associations ont souligné devant le Conseil d’État leur caractère systémique. Elles évoquent des « procédures, habitudes et une forme d’organisation qui, souvent sans intention, contribuent à des résultats moins favorables pour les groupes minoritaires que pour la majorité de la population ». 

Lire aussi. La lutte contre le contrôle au faciès est loin d’être terminée

Une enquête du Défenseur des droits publiée en 2017 établit que la probabilité pour les jeunes hommes « perçus comme arabe/maghrébin ou noirs » d’être contrôlés est 20 fois plus élevées que le reste de la population. Sur l’échantillon interrogé, plus de 80 % des hommes répondant à ces critères ont déclaré avoir été contrôlés au moins une fois dans les cinq dernières années, contre 16 % pour les autres.

La rapporteure publique récuse le terme « systémique »

L’audience a démarré par l’intervention de la rapporteure publique, magistrate indépendante du Conseil d’État, dont l’avis est très souvent suivi par les juges. Dans ses observations, elle reconnaît l’existence de cas de discriminations, mais rejette le qualificatif « systémique » avancée par les associations. En outre, elle ne voit pas de carences fautives de l’État dans les moyens mis en place pour lutter contre ces discriminations.

La rapporteure publique admet cependant l’insuffisance de ces moyens dans la traçabilité des contrôles, à l’instar de la caméra-piéton ou du numéro RIO d’identification des agents. À noter que la question de l’obligation du port visible du RIO par les forces de l’ordre était l’objet de l’affaire suivante, ce vendredi.

Elle reconnaît également des lacunes dans les moyens mis en place pour signaler les discriminations, ainsi que dans la formation des agents à ces questions. La magistrate conclut enfin en rappelant qu’il n’appartient pas aux juges de prendre des décisions qui relèvent de politiques publiques, comme la création d’une autorité indépendante de contrôle telle que demandée par les associations.

Les contrôles au faciès veulent dire une humiliation, un rabaissement

Un avis « indulgence envers l’administration », pour Maître Lyon-Caen, le conseil des six associations. L’avocat a quant à lui commencé son intervention en rappelant aux juges que « cette pratique est généralisée et vise les jeunes noirs et arabes ou supposés tels. Des jeunes humiliés par ces contrôles et qui auront une vision des rapports avec l’autorité qui va les marquer profondément ». Il évoque ensuite l’exemple de jeunes alignés contre les murs dans les couloirs du métro, palpés par des agents des forces de l’ordre.

Pour lui, l’État doit être sanctionné pour manquement à partir du moment où le ministère de l’Intérieur nie l’existence de ces discriminations systémiques. Il demande aux juges de contraindre les autorités à plus d’efforts dans la lutte contre ces discriminations, ainsi que renforcer l’enregistrement des contrôles, notamment via la systématisation d’un récépissé. La décision des magistrats du Conseil d’État devrait être publiée dans un mois.

Méwaine Pétard

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