L’expérience personnelle n’est jamais une preuve en soi, la science le sait et il est important de le rappeler. Ceci-dit il est parfois intéressant de partir de ses propres représentations. Depuis quelques années déjà, je m’intéresse au lien entre santé et alimentation et surtout à sa dimension sociologique.

Le cap des 25 printemps passé et la trentaine qui pointe le bout de son nez n’y sont sans doute pas étrangers… et depuis un constat me frappe particulièrement : le diabète est partout !

Au boulot, parmi les amis, la famille, les amis de la famille, les connaissances. Le diabète me semble être devenu une norme, au sens durkheimien du terme : un phénomène d’ampleur, régulier, qui présente certaines tendances indéniables.

Cette maladie chronique fait désormais partie du quotidien, et est le symptôme d’inégalités qui peinent à dire leurs noms. Une petite définition s’impose. Le diabète apparaît lorsque le pancréas ne produit pas suffisamment d’insuline, l’hormone qui régule la concentration de sucre dans le sang, ou que l’organisme n’utilise pas correctement l’insuline qu’il produit.

L’une de ses conséquences est l’hyperglycémie qui se manifeste par une concentration sanguine élevée de sucre, qui peut mener à des atteintes graves de nombreux systèmes organiques. Par exemple, la perte de membres ou la cécité.

Pourquoi peut-on parler d’épidémie ?

Une épidémie se caractérise par l’augmentation rapide de l’incidence d’une maladie en un lieu et un moment donnés. Les données fournies par l’Organisation mondiale de la santé sont sans appel et confortent mon ressenti dans la vie quotidienne : le diabète est l’une des maladies dont l’incidence est la plus en augmentation et les prévisions d’ici à 2050 sont peu rassurantes. Voici quelques données très parlantes fournies par l’institution :

  • Le nombre de personnes dans le monde atteintes de diabète est passé de 108 millions en 1980 à 422 millions en 2014.
  • Entre 2000 et 2016, la mortalité prématurée imputable au diabète a augmenté de 5 %.
  • Le diabète était la septième cause de décès en 2016.
  • En France, on estime à 250 000 le nombre de diabétique d’ici 2025 soit 10 fois plus qu’en 2000.

Cette phase épidémique présente quelques spécificités : c’est le diabète de type 2 qui connaît une phase exponentielle. Ce dernier se caractérise par une mauvaise utilisation de l’insuline par l’organisme. Il est en grande partie le résultat d’une surcharge pondérale et du manque d’activité physique.

Contactée Geneviève Imbert, doctorante en santé publique confirme le résultat de ses travaux sur la question.« L’épidémie de diabète qui a émergé au cours du XXe siècle et qui continue de progresser de manière alarmante, s’inscrit dans le contexte de la transition épidémiologique du développement des maladies chroniques dans les pays développés associé à la modernisation , et peut ainsi s’expliquer notamment par le vieillissement de la population plus exposée aux maladies chroniques qu’aux maladies infectieuses, et par l’augmentation de l’incidence de ces maladies liée à des facteurs de risque aggravants». 

Le diabète de type 1 se caractérise, lui, par une production insuffisante d’insuline, laquelle doit être administrée quotidiennement. “La cause du diabète de type 1 n’est pas connue, et en l’état des connaissances actuelles, il n’est pas évitable.” peut-on lire sur un rapport de l’OMS.

Des facteurs plus économiques et sociaux que génétiques ?

Plus jeune, les cas de diabète dans mon entourage se résumaient peu ou prou à la formule suivante : “dans ma famille, on l’a tous, c’est héréditaire”. Ainsi dans l’inconscient collectif de beaucoup de mes proches, cette maladie chronique est souvent associée aux gènes. Si ce facteur est évidemment important, la phase exponentielle de l’incidence du diabète pousse à explorer d’autres causes.

Le confinement aidant, j’ai visionné un bon nombre de documentaire sur le sujet dont deux ont particulièrement retenu mon attention : “What The Health” de Kip Andersen et Keegan Kuhn et dans une autre mesure “Un monde obèse” de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade.


« Un monde obèse » réalisé par Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade. 
Ces matériaux montrent de manière habile que les facteurs d’augmentation du diabète, et de bien d’autres maladies chroniques, sont le résultat de facteurs liés à l’environnement économique et social.

En premier sur le banc des accusés : l’alimentation, qui connaît un certain nombre de bouleversements depuis les années 1960 et le développement de l’industrie. En cause, la déferlante dans nos étales d’aliments riches en sucre et gras, avec l’instauration progressive fameux petit déjeuner constitué de céréales multicolores baignant dans du lait, ou encore le goûter de « 4 heures » et sa mosaïque de cookies et pâtes à tartiner en tout genre.

À cette dimension industrielle et économique s’ajoutent des facteurs sociaux : ces aliments en général bon marché sont beaucoup plus l’apanage des milieux populaires que d’autre milieux plus aisés socialement. On peut lire ainsi sur le site SantéPubliqueFrance.fr que “la prévalence du diabète était deux fois plus élevée chez les personnes de faible niveau d’études que chez celles de plus haut niveau (d’après les travaux de Sandrine Fosse-Edorh en 2011, et Marie Dalichampt en 2008).

L’épidémie mondiale du diabète de type 2 représente précisément l’extrémité des problèmes sociaux considérables des pays en développement mais aussi les minorités et communautés défavorisées dans les pays développée.

Une corrélation qui interroge sur le sens de la causalité : parce que l’on fait plus d’études universitaires le diabète nous frapperait moins ? Une assertion qui mérite un zoom sur des causes intermédiaires, parmi lesquels le niveau de revenu.

En effet ce dernier étant fortement corrélé au niveau d’études, les personnes concernées peuvent de fait jouir d’une alimentation plus saine, composée de produits moins sucrés, moins gras et surtout autrement plus chers. Ce que confirme une étude d’ Entred 2007 qui montre que la population diabétique de type 2 était en moyenne peu aisée financièrement.

« L’épidémie mondiale du diabète de type 2 représente précisément l’extrémité des problèmes sociaux considérables que sont en train d’affronter les pays en développement, mais aussi les minorités ethniques et les communautés défavorisées dans les pays développés », rappelle Geneviève Imbert dans ses écrits.

Un diabète de plus en plus précoce

Force est de constater donc que l’hérédité a moins d’importance qu’il n’y paraît, au moins concernant la forte augmentation de l’incidence du diabète des dernières décennies. Ce qui inquiète de plus en plus d’experts, c’est le caractère précoce de cette incidence, avec des formes de pré-diabètes qui se manifestent chez un nombre de plus en plus important de jeunes.

Sur ce dernier point, les mutations de l’industrie agro-alimentaire semblent clairement en cause, avecdes régimes alimentaires hyper caloriques auxquels sont surexposés ces populations. L’exemple le plus parlant reste sans doute les places hégémoniques du géant américain Coca-Cola Company ou du suisse Nestlé. Comme le souligne Geneviève Imbert : « Le diabète sucré de type 2 qui ne concernait que les adultes d’âge mûr pendant la plus grande partie du XXe siècle, atteint actuellement des enfants obèses, avant même la puberté ». 

Ceci dit, à la fatalité, je préfère l’optimisme : des solutions en termes de politique publique sont en développement et pérennisables comme des campagnes d’informations ciblées auprès des populations les plus vulnérables, l’entrée du bio et des circuits courts dans les cantines scolaires, les législations autour de l’étiquetage des produits comme les “nutriscore”, autant de chantiers en maturation, où déjà en place.

Pour en revenir à mon expérience, un autre constat est sans appel : l’accès à l’information sur le diabète, comme sur d’autres sujets est beaucoup plus simple qu’il y a 10 ans, et c’est déjà une bataille de gagnée.

Dans un “monde d’après” où l’épidémie de Covid-19 a été un révélateur d’inégalités multidimensionnelles fortes au premier rang desquelles celles face à la santé, le combat commence nécessairement par-là : intégrer à nos expériences de vie les dynamiques structurelles afin de se mettre en état de les combattre.

Moussa Ndiaye

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