Quand l’heure du premier confinement a sonné en mars dernier, les hôpitaux sont passés par les facultés de médecine pour obtenir du renfort auprès des étudiant·e·s. Par altruisme, par sens du devoir, par vocation, nombreux·ses sont celles et ceux qui ont répondu à l’appel. Seulement, tout travail mérite salaire et, lorsqu’elle recrute, l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) s’est engagée à faire honneur au dicton.

Interrogée, l’institution indique des salaires de 1883 euros brut pour les étudiant·e·s en médecine de premier cycle travaillant en tant que faisant-fonction à temps plein. Pour les étudiants qui ne sont pas employés à temps plein, le taux horaire est fixé à 12 euros brut par heure travaillée.

Cela étant, face à l’effort consenti par beaucoup de ces jeunes, que vaut un salaire s’il est incomplet ou payé avec des semaines voire des mois de retard ? Alors qu’au mois de mai dernier, certain·e·s internes et externes dénonçaient des rémunérations trop faibles, beaucoup d’étudiant·e·s interrogé·e·s dénoncent aussi un retard monstre dans le versement des salaires, parfois incomplets.

Le terme « faisant-fonction » fait, en l’occurrence, référence aux étudiant·es qui remplissent le rôle d’aide-soignant·e·s. C’est le cas de Mélanie, étudiante en troisième année de médecine à la Sorbonne au moment de la première vague, qui s’engage à l’hôpital Vaugirard (Paris, 15 ème arrondissement) en avril. Ses vacations à l’hôpital durent trois semaines, à raison de trois vacations par semaine. Mais lorsque Mélanie quitte son poste courant mai, son paiement tarde à arriver.

Des dizaines d’appels, de mails, pour des réclamer des paies qui n’arrivent pas…

Le problème ? Elle a signé un contrat avec l’AP-HP pour le mois d’avril, mais pas pour le début du mois de mai. Au cours du mois d’août, elle envoie plusieurs emails à la responsable de la gestion des paies, en vain. C’est à la fin du mois seulement qu’elle reçoit un virement pour le travail effectué en avril. En ce qui concerne son salaire de mai, Mélanie doit continuer de batailler.

48 appels passés à la même responsable et un email incendiaire plus tard, son compte ne bouge toujours pas d’un centime. C’est seulement le 28 septembre, donc avec quatre mois de retard, que l’étudiante reçoit son salaire intégral (environ 869 euros).

La situation pour Romain* est encore plus critique : à ses débuts, les responsables en ressource humaine ne lui font signer aucun contrat à son arrivée à l’hôpital, seul son numéro de téléphone est demandé. Ayant travaillé pendant la même période que Mélanie, il lui manquait encore 486 euros de salaire à la mi-octobre, finalement payés ce mois-ci.

Selon la responsable gestion des paies, le problème trouve son origine dans une erreur de RIB – envoyé a posteriori par l’étudiant. Pourtant, malgré l’erreur rectifiée, Romain a dû attendre plusieurs semaines pour toucher son salaire intégral.

Selon les deux étudiant·es, le problème concerne toutes les facultés de médecine et tous les hôpitaux de la capitale. Après discussion avec leurs camarades (les étudiant·e·s de toutes les facultés parisiennes étaient mélangé·e·s au sein des différents hôpitaux), il et elles se sont rendu·e·s compte que beaucoup d’étudiant·e·s étaient dans le même cas.

Un problème global que l’AP-HP ne voit pas comme tel

Dans les équipes de l’AP-HP, tou·te·s les étudiant·e·s en médecine ne font pas office d’aides-soignant·e·s. Certain·e·s rejoignent des dispositifs tels que COVISAN et COVIDIAG. Deux dispositifs conçus pour alléger la charge d’accueil des structures hospitalières en proposant entre autres des soins, des accompagnements à domicile, ainsi que des missions de sensibilisations.

Camille, étudiante à la Sorbonne (campus Pierre et Marie Curie), avait rejoint ces dispositifs. En mai, elle effectue une mission COVIDIAG puis rejoint une cellule COVISAN de l’Hôtel-Dieu (Paris, 4 ème arrondissement), où elle effectue le reste de ses vacations.

Le dispositif est à destination des familles, il les aide à mettre en place des mesures d’isolement efficaces si un membre du foyer est infecté par le virus. Alors qu’elle commence à travailler en mai, elle reçoit son contrat le 18 juin, soit un mois plus tard.

Elle découvre ensuite qu’aucune de ses heures n’a été enregistrée, à part celles passées au sein de la cellule COVIDIAG. Concrètement, seules 11 heures, au lieu de 83, ont été comptabilisées. Après plusieurs réclamations, les responsables des ressources humaines lui assurent qu’elle touchera son salaire fin août, il n’en est rien.

Elle ne reçoit ses 828 euros que le 27 septembre. Les responsables dénoncent un souci d’homonymie, mais Camille dénonce ce qu’elle pense être un problème organisationnel : « Le problème, c’est qu’à COVISAN ils ont construit la cellule à partir de rien, ça s’est monté en quelques mois », atteste-t-elle.

Tu envoies ton contrat à X, c’est Y qui gère tes heures…

« Il y a eu beaucoup de problèmes d’organisation, de communication. Les fonctions se recoupaient un peu : tu envoies ton contrat à X, c’est Y qui gère tes heures… il y avait trop d’interlocuteurs. » Ce problème d’organisation, Kiêm-Ai peut en témoigner. Etudiante elle aussi à Paris-VI, elle travaille dans une cellule COVIDIAG de mi-juillet à début septembre.

Tout comme Romain, elle ne signe aucun contrat, même si elle fournit tous les documents nécessaires et relance plusieurs fois les responsables des ressources humaines pour être en règle. Elle présume une équipe en manque d’effectif et, pour cette raison, n’ose pas « harceler » celles et ceux qui devraient la payer. Après avoir commencé à travaillé mi-juillet, elle vient de recevoir sa paie le 29 octobre dernier.

La situation de Nicolas, étudiant à Paris-VI également, est d’autant plus frustrante qu’il s’estime légitime à recevoir la prime Covid ; prime qu’il ne peut recevoir puisque rien ne prouve qu’il remplit les conditions exigées.

Il explique que son travail en tant que renfort commence par deux semaines en réanimation. Il y entre dans le cadre de son ancien stage afin de réaliser une étude. Il rejoint ensuite le service gériatrie de l’hôpital Sainte Périne (Paris, 16 ème arrondissement) et y reste de mi-avril à mi-mai. « Dans les faits, j’étais éligible à la prime avec ces deux semaines en réa’ », raconte-t-il. « Pourtant, je n’en ai pas vu la couleur, tout simplement parce qu’on a enregistré aucune trace de mon passage. »

Je n’ai pas l’impression d’avoir été super utile en réanimation donc je n’ai pas osé demander.

Pour toucher la prime dans sa totalité (de 1000 euros à 1500 euros), il faut avoir travaillé au moins cinq demi-journées par semaine, du 1 er mars au 30 avril avec moins de 15 jours d’absence. Nicolas pense remplir ces conditions mais, n’ayant signé aucune feuille de présence puisque n’étant pas au courant de cette obligation, il n’a pas vu un centime de cette prime.

Si Nicolas ne cherche pas à remédier au problème, c’est par modestie : « je n’ai pas l’impression d’avoir été super utile en réanimation donc je n’ai pas osé demander. Et puis, on n’a pas l’habitude d’être payés donc je suis déjà content de recevoir un salaire. »

Salaire qu’il n’obtient pas facilement. À la fin du mois de mai le jeune homme reçoit un salaire incomplet : ce dernier ne correspond qu’au travail effectué en avril. Après plusieurs relances, c’est à la fin du mois de juillet seulement que l’étudiant reçoit la somme manquante.

Des Mélanie, Kiêm-Ai et autres Nicolas, il y en a encore beaucoup. Cependant, ne s’étant jamais réuni·es pour faire porter leur voix, il est difficile de connaître le nombre exact d’étudiant·e·s parisien·ne·s en médecine avec des problèmes de paiement de l’AP-HP.

Une étudiante en cinquième année exprime son désarroi après des mois d’attente pour son salaire. Elle sera finalement payée en ce mois d’octobre. 

Selon un sondage publié le 27 septembre dans le groupe Facebook de la promotion de Mélanie, 75% des votant·es (120 étudiant·e·s sur 160 membres du groupe) ont connu et/ou connaissent encore des difficultés de ce type.

Contactée, l’AP-HP ne reconnaît pas l’ampleur considérable du problème. Si les étudiant·e·s pensent que l’AP-HP a été débordée par le caractère soudain de la crise sanitaire, le centre hospitalier ne donne aucun éclaircissement : « Il y a pu avoir au cas par cas des retards dans les procédures administratives, » explique la direction de la communication. « Une cellule centrale RH avait été mise en place pour recueillir les réclamations et soutenir les équipes RH des hôpitaux. »

En accord avec cette déclaration, le centre hospitalier s’occupe de chaque cas comme d’incidents isolés alors que le souci semble affecter un grand nombre d’étudiant·e·s. Aucun geste, ni communiqué, qui montrerait que l’ampleur du problème est reconnue et prise en compte, n’a été réalisé pour le moment.

Alors que le deuxième confinement confirme l’apparition d’une « deuxième vague » et que les étudiant·e·s en médecine sont toujours sollicité·e·s par les hôpitaux parisiens, on peut craindre un effet boule de neige. Une deuxième vague qui enliserait toujours plus l’AP-HP dans la gestion des paies supplémentaires, et qui, surtout, affecterait toujours plus d’étudiant·e·s.

*Le prénom a été modifié par souci d’anonymat. 

Sylsphée Bertili

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