Cela devait être le jour où l’on en parle le plus. Le 3 décembre dernier était placé sous le signe de la lutte contre les inégalités et les discriminations à l’endroit des personnes en situation de handicap. Malheureusement, la journée internationale des personnes en situation de handicap du jeudi 3 décembre 2020 passera presque inaperçue , ombragée par une actualité toujours liée à l’épidémie de Covid-19.

28 ans après la création de cet événement, toujours le même constat sur la visibilité du handicap. « J’ai envie de vous dire que chaque année c’est pareil, on nous
oublie »
, s’amuse presque la lanceuse d’alerte Odile Maurin en situation de handicap.

Et pourtant, la gestion du handicap était décrite comme l’une des priorités du quinquennat d’Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle. La France compte 12 millions de personnes atteintes de handicap qu’il soit psychique, moteur, sensoriel, mental, cognitif ou d’une maladie invalidante. Emmanuel Macron promettait que le gouvernement allait renouer avec un secteur politique souvent relégué loin des priorités, notamment  en fournissant plus d’effort sur la recherche.

Macron et le handicap : on en est où ?

Le Président de la République avait formulé de nombreuses propositions sur le handicap dont l’augmentation de l’Allocation des Adultes handicapés (AAH) d’environ 90 euros. Une promesse finalement respectée sur deux ans, après deux augmentations successives. L’allocation est à hauteur de 900 euros par mois.

La question de la dépendance aux aidants est aussi l’autre pendant important de la vie de nombreuses personnes en situation de handicap. Depuis le 30 septembre 2020, les aidants pourront bénéficier d’une allocation entre 44 et 52 euros, pendant trois mois maximum sur l’ensemble de leur vie active. Un début encore trop timide, concernant la prise en charge, par la famille souvent, indispensable pour beaucoup.

Emmanuel Macron prévoyait aussi d’améliorer le parcours des étudiants permettant l’accès au diplôme et de faciliter l’insertion à l’emploi des citoyens en situation de handicap, notamment en axant sur son effort sur l’apprentissage, comme il l’avait souligné lors de la conférence nationale sur le handicap en février 2020. 100 000 apprentis en situation de handicap dans les entreprises : c’est l’objectif que s’est fixé l’Elysée pour la fin de cette année 2021. En 2020, on en comptait seulement 4000.

Parmi les annonces, le président a, entre autres, certifié sa volonté de développer  l’accessibilité : des transports publiques, des logements et aux démarches numérique. Pour rappel, en 2015, 40% des ERP (établissements recevant du public) ne respectaient pas les critères d’accessibilité fixés par la loi 2005 sur le handicap. Un constat qui ne risque pas de s’améliorer avec la loi ELAN, adoptée en 2018, qui a fait passer de 100% (prévus par la loi sur le handicap de 2005) à 20% la part des logements accessibles dans les immeubles neufs.

De son propre aveu, Cédric O (le Secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique) a noté que les démarches numériques était encore beaucoup trop inaccessibles aux personnes en situation de handicap. Un objectif de 80% d’accessibilité a été fixé pour l’horizon 2022.

Le handicap encore trop lié à la précarité

Malgré les revalorisations de pension et les promesses pour plus d’accessibilité, certains demeurent sceptiques. « On nous oublie et la France subit des reculées majeures concernant le droit des personnes handicapées », observe Odile Maurin. Pour la lanceuse d’alerte, non seulement depuis 2017 rien a changé, mais qu’en 15 ans, la politique du handicap se révèle encore trop inefficace.

La militante revient notamment sur loi de 1987  sur l’obligation d’employer des personnes handicapées par les entreprises (un minimum de 6%) : « cette histoire sur les quotas c’est un mensonge, il faut savoir qu’il y a 3 catégories de handicap, donc s’il nous manque juste un doigt ça ne pose pas de problèmes et vous pouvez entrer dans cette catégorie. »

Aujourd’hui 89% des personnes handicapées seraient en situation de grande précarité. Une situation notamment due au manque de volonté et d’aménagements des entreprises qui permettraient aux citoyens invalides d’accéder à l’embauche et de travailler dans de bonnes conditions.

Pour Odile Maurin, le gouvernement doit se positionner sur deux thématiques substantielles : la compensation du handicap, (en déployant davantage de moyens pour l’accessibilité numérique notamment) et la prise en compte au cas par cas des indemnités ou aides sociales.

Du côté de la Mission Handicap de l’université de la Sorbonne, une assistance qui favorise l’intégration des élèves ayant des problèmes de santé à l’université, on observe une timide progression des inscriptions des étudiants en situation de handicap comme les personnes atteintes du syndrôme d’Asperger notamment.

Beaucoup sont contraints de rester vivre chez leur parents. 

Francine Stourdzé, directrice de l’association Action pour l’Autisme Asperger située à Neuilly-Sur- Seine, témoigne de l’indigence extrême des personnes autistes-Asperger qui ne présentent aucune déficience intellectuelle mais qui ne parviennent pas à décrocher du travail : « La plupart d’entres eux sont au RSA(Revenue de Solidarité Active) pour palier à leur besoin et beaucoup sont contraints de rester vivre chez leurs parents le temps de se stabiliser ».

La directrice de l’association dénonce un retard considérable du gouvernement sur sa connaissance et sa compréhension du syndrome d’Asperger : « le gouvernement n’est pas préparé et en parle mal ! Les diagnostics sont réalisés tardivement, au bout de 3 ou 4 ans, ce qui prolonge l’accompagnement des malades et les empêchent de bénéficier de l’AAH ». 

Pour l’heure Francine Stourdzé ne remarque aucune évolution notable pour le handicap, malgré les annonces de l’exécutif : « Le système français est inqualifiable, trop en retard comparé au Canada ou à l’Italie».  Pour continuer à rattraper les défaillances au sujet du handicap, Sophie Cluzel, la secrétaire d’État chargée de la question devra donc faire avec la crise du Covid-19, pour éviter que la précarité structurelle, pour les personnes en situation de handicap, ne se creuse encore d’avantage.

Gaëlle Kanga

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