Je suis «correspondante de guerre» depuis plus de dix ans et n’ai jamais été prise en otage. Ni en Tchétchénie, ni en Irak, ni en Afghanistan, et pourtant… quand je suis sur le terrain, pas une minute ne se passe sans penser à cette éventualité. Et quand je n’y suis pas, dans le confort de mon appartement parisien, c’est presque pire: les deux otages français en Afghanistan me rappellent en permanence, d’abord qu’il faut les aider à s’en sortir, mais aussi, qu’il faut continuer à défendre ce métier, qu’il faut continuer à se rendre sur ces lointains terrains, où notre présence est de moins en moins comprise, où nous, journalistes, sommes de plus en plus confondus avec ce que nous ne sommes pas: des humanitaires, des émissaires de tous bords, voire des espions, que sais-je encore, autant d’ «accusations» auxquelles il ne vaut même plus la peine de répondre.

Qui sommes nous, grands reporters, reporters de guerre? Des intrépides, des aventuristes, ou des conteurs ? A l’ère d’Internet, de Twitter et des chaines d’infos en continu, on peut se poser la question. Eh bien voilà, nous sommes des hommes et des femmes qui ne se satisfaisons pas des explications faciles et stéréotypées, qui n’écoutons pas l’air du temps, et qui, inlassablement, nous préparons à repartir, nous rendons sur le terrain, en revenons secoués, cherchons les mots les images pour faire passer le message de ce que nous avons vu sur place, à votre place, celle des lecteurs, des téléspectateurs, des auditeurs. Nous n’y allons que pour vous, et notre seul but est de la partager cette fameuse «info» du terrain, sinon, quid d’aller parfois la chercher au péril de notre vie? (Et les risques ne sont pas seulement de se faire enlever).

Oui, là bas, sur ces terres afghanes, irakiennes où autres, on se lève avec une seule idée en tête: raconter une histoire, trouver le petit détail concret, «parlant», qui rendra peut-être plus compréhensible une situation complexe. Car comment intéresser le public à des guerres longues, lassantes, sur lesquelles on a parfois l’impression que tout a été dit? Je me souviens de mes années suivant l’obtention de mon prix Albert-Londres en 2000, à propos de la sale de guerre de Tchétchénie. Inlassablement, je ne pouvais m’empêcher de revenir en terres du Caucase, pour retrouver mes interlocuteurs, chercher ceux que je ne retrouvais pas, enquêter, et transmettre ce que ces gens sur place me livraient de leur quotidien, de leur vie dans l’après guerre, comme je le fais aujourd’hui aussi en Afghanistan et en Irak.
 
Je n’ai pas oublié la question en forme d’affirmation que m’avait alors lancé l’éditeur d’un grand journal parisien: «mais que se passe de nouveau en Tchétchénie? Pourquoi tu y retournes?» J’y retourne parce qu’il y a toujours quelque chose de nouveau dans une guerre, même longue, même quand on a l’impression de l’avoir déjà trop «couverte».

Et c’est cela qu’allait chercher nos deux confrères de France 3 dans leurs «pièces à conviction» forcément intéressantes, dont le but était de nous aider à mieux suivre, voire comprendre, les méandres des drames se nouant sur place, en ces terrains nauséeux qu’il faut bien fouler si l’on veut donner à voir, «porter la plume dans la plaie», comme disait ce cher Albert Londres.

Nous, reporters du XXIe siècle qui n’avons rien inventé, il ne nous reste qu’à nous battre: nous battre pour que notre méthode, simple s’il en est, continue à être acceptée, par nos éditeurs, par nos politiques, par l’opinion publique: ne cessons pas de sillonner nos terrains. Pour que l’info ne devienne pas exclusivement virtuelle, pour qu’elle reste réelle, avec persévérance, passons du temps sur le terrain.

Anne Nivat

Voir l’article paru sur le Bondy Blog lors de la visite d’Anne Nivat à l’Ecole du Blog

Anne Nivat

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