Vu de Bondy ou d’ailleurs, les violences conjugales touchent toutes les catégories sociales et toutes les tranches d’âges. Le territoire de la Seine Saint-Denis est depuis une dizaine d’années le laboratoire de lutte contre les violences faites aux femmes. Un territoire d’expérimentation qui a permis la mise en place du téléphone portable d’alerte pour les femmes en très grand danger. Ce dispositif inventé en Seine-Saint-Denis est généralisé sur tout le territoire national par la loi du 4 août 2014.

Christian Romeu, commandant de Police au sein de la Direction territoriale de la sécurité de proximité de la Seine-Saint-Denis souligne : « On a essayé  avec l’ensemble des partenaires, associations, justice, police… d’apporter les meilleures réponses possibles à cette problématique-là. Donc, ça passe par toutes sortes de dispositifs : le dispositif de mise en sécurité avec les associations lorsqu’une femme doit quitter son logement pour la protéger rapidement avec ses enfants s’il y a un grand danger, les bons de taxis, les unités médico-judiciaires et le téléphone d’alerte… Une femme qui meurt est une femme de trop ».

Ce téléphone est attribué par le procureur de la République, après évaluation les risques encourus par la femme. Il comprend un bouton d’appel d’urgence préprogrammé, qui permet une mise en relation immédiate avec Mondiale Assistance. L’interlocuteur évalue la situation de danger et si nécessaire déclenche l’intervention immédiate des forces de police, avec la possibilité de géolocaliser l’appelante.

Il y a quelques semaines, le 22 novembre, l’Observatoire des violences envers les femmes du Conseil général de la Seine Saint-Denis, « célébrait » ses 10 ans, à Bondy. Une lutte contre ces violences partagée au niveau mondial avec la journée internationale contre les violences faites aux femmes du 25 novembre, instauré en 1999 par l’ONU. En France, une femme sur 10 déclare avoir subi des violences conjugales et une femme meurt tous les 2 jours sous les coups de son compagnon.

Ce combat ne se mène pas seul. Il est le résultat d’un partenariat entre les différents intervenants qui accompagnent la femme. La complémentarité des compétences à travers lesquelles s’allient les intervenants judiciaires (police, gendarmerie et justice), sociaux et les associations comme SOS Femmes 93 est indispensable pour une prise en charge efficace des victimes.

Un intervenant social au commissariat de Bondy

Au commissariat de Bondy, le poste d’intervenant social a été créé en 2009 à la demande du Commissaire de Police [de l’époque]. Mme Felicienne Teka, l’intervenante sociale, me confie : « Concrètement, je fais partie à part entièrre de l’accueil et l’accompagnement des victimes. Je travaille en collaboration avec les collègues fonctionnaires de police. Au bureau des plaintes, lorsque ces derniers sentent l’hésitation d’une femme, ils lui proposent de venir me voir. Ou décidées, elles vont directement faire une main courante ou déposer plainte. Dans ce dernier cas, il s’agit de savoir comment les accompagner au mieux, car c’est tout un processus qui s’enclenche derrière. Il peut arriver que des femmes se présentent au commissariat pour retirer leur plainte. Les fonctionnaires de police me demandent d’intervenir car ils ne comprennent pas cette démarche qui est perçue comme un pas en arrière. La violence conjugale est un processus psychologique, cette dépendance à l’autre, une dépendance psychologique et souvent économique, n’est pas toujours comprise et bien perçue par autrui. Se séparer de leur conjoint est une véritable épreuve pour ces femmes, il y a un enjeu familial et social. Il existe une véritable peur d’être rejetée par leur famille et leur entourage. »

Elle confirme également : « Aujourd’hui, le poste d’intervenant social en commissariat est bien accepté et bien identifié, son utilité ne se pose plus. Les acteurs sociaux tels que SOS Femmes 93 de Bondy et les assistantes de service sociale de secteur orientent les victimes vers moi. Le bouche à oreille a aussi fait son œuvre. » Concernant sa collaboration avec SOS Femmes 93 de Bondy, elle poursuit : « Le partenariat avec SOS Femmes 93 est essentiel. J’oriente les victimes vers le lieu d’accueil et d’orientation et je sollicite le service de mise en sécurité lorsqu’une femme se sent en danger et ne souhaite pas rentrer chez elle. La mise en sécurité reste la grande demande des victimes. Cependant, le service de mise en sécurité ne peut pas toujours répondre à toutes les demandes, les disponibilités d’accueil étant bien inférieures aux demandes, de plus en plus nombreuses ». Elle conclut qu’il faudrait même au commissariat « deux intervenants sociaux pour être encore plus efficace sur le terrain et mieux accompagner ces femmes ».

En résonance au discours de cette intervenante sociale, la commissaire de police du commissariat de Bondy Stéphanie Pereira affirme : « un intervenant social au sein du commissariat est essentiel, puisqu’au niveau du commissariat nous ne traitons que de l’aspect judiciaire. Derrière toutes ces violences conjugales, il y a aussi l’humain que nous prenons en compte forcément, mais nous ne sommes pas formé pour pouvoir guider ces femmes et les aider dans les démarches, car les violences conjugales, ce n’est pas si simple que ça. C’est un traumatisme pour les femmes, mais aussi pour les enfants. Ce sont aussi des violences sexuelles et même parfois du viol dans les cas les plus graves ». Elle ajoute : « L’intervenant  social va les aider à préparer leur départ, car les femmes se posent souvent la question de savoir si elles vont réussir à s’en sortir seules, car il y a souvent un manque de confiance. C’est pour cela que ce partenariat entre la police et les intervenants sociaux est important. D’où le travail de la brigade locale de la protection de la famille qui est en lien direct avec notre intervenante sociale. Il y a vraiment un travail de coopération qui est quotidien ».

Cette brigade locale de la protection de la famille prend d’ailleurs depuis maintenant plusieurs années en compte les mains courantes déposées par ces femmes qui n’osent pas encore déposer plainte. « Il faut vraiment travailler avec elle pour que l’auteur soit mis en cause et c’est pour cela qu’il faut qu’une relation de confiance soit créée » conclut la commissaire.

SOS Femmes 93

Vu de Bondy, il y a aussi l’Association SOS Femmes 93 qui œuvre sur le département de la Seine-Saint-Denis et lutte depuis 25 ans contre les violences faites aux femmes. Elle fait tout un travail de déconstruction, pour que les femmes reprennent confiance en elles et se sortent de cette situation. Cécile, responsable du Pôle accueil de l’association explique : « On travaille en équipe. Jamais, on ne reçoit les femmes seules. On les reçoit en collectif. Les échanges et la réflexion en commun permet aux femmes de voir qu’elles sont toutes dans le même mécanisme, dans les mêmes émotions et la même destruction. Cela leur permet de prendre conscience qu’elles ne sont pas responsables de ces violences conjugales. Nous accueillons au quotidien une vingtaine de personnes. On reçoit plus de 500 femmes par an et réalisons plus de 3 000 accueils tous les ans ». Lucie, sa collègue, coordinatrice au Pôle ressources, me confie : « une femme fait en moyenne sept allers/retours avant de décider de se séparer son conjoint ».

Dans les violences conjugales, on repère aussi beaucoup de différentes formes de violences comme l’indique Cécile : « En plus des violences physiques, il y a les violences économiques (c’est l’homme qui gère le budget ou capte les ressources même si les deux travaillent), verbales, sexuelles,  psychologiques, sociales (en coupant la femme du monde), les privations (d’alimentation, de sommeil…), les violences administratives (confiscation des documents officiels, titre de séjour, déclaration d’impôts, livret de famille…) et également juridique où, depuis la médiatisation des violences conjugales, l’agresseur ira jusqu’à déposer plainte contre son épouse en l’accusant de violence à son encontre, placement psychiatrique de la femme… ».

« Une femme divorce d’un mari, mais une mère ne divorce pas du père des enfants »

Le moment de la grossesse est régulièrement le déclencheur des violences conjugales ou d’augmentation de ces violences qui entraînent beaucoup d’accouchements prématurés et des fausses-couches. Lucie souligne : « l’enfant devient une menace, car on entre dans une relation triangulaire où la femme n’est plus sa chose et sa position d’homme dominant est mise à mal. Elle va aussi plus souvent être en relation avec le corps médical et donc elle sera plus à même de dénoncer ce qu’elle subit à la maison. Il arrive aussi très fréquemment que le conjoint demande à la femme d’avorter ». Les enfants subissent aussi ce climat de violence ou sont eux aussi victimes de leur père. Ce sont souvent des enfants qui ont une capacité d’adaptation extraordinaire, car il n’y a aucun repère et que les règles changent en permanence en fonction des humeurs du père.

De plus, en cas de divorce ou de séparation, il est très difficile de garder des relations normales permettant d’organiser la garde  des enfants. Cécile confie : « Une femme divorce d’un mari, mais une mère ne divorce pas du père des enfants. Les deux parents restent les parents des enfants. Cela oblige a maintenir un lien permanent avec l’auteur des violences. Quand on a vécu des violences conjugales, garder ce genre de relation est extrêmement difficile et les enfants deviennent souvent une arme contre celles qui est partie. Souvent les pères abandonnent les visites aux enfants, ne payent pas les pensions alimentaires… ou utilisent les visites pour maintenir leur emprise -ou manipuler les enfants contre leur mère ». 

Il faut avoir conscience que la finalité des violences conjugales est toujours la domination voire la destruction de l’autre. Et que la mort est toujours le risque ultime de toute situation de violences. Dans les statistiques, il est d’ailleurs observé que les hommes auront tendance à assassiner « leur » femme et « leurs » enfants alors que les femmes tueront uniquement l’homme. En France, l’année dernière, 121 femmes et 33 enfants sont décédés de violences conjugales et 25 hommes ont été tués par des femmes victimes qui se sont défendues.

De plus en plus de sollicitations

Mais ce qu’on oublie souvent (ou que l’on ne veut pas voir) dans ces violences conjugales est l’ampleur des violences sexuelles. En France, le viol conjugal est un crime avec circonstances aggravantes. En France, le viol conjugal n’est pas considéré comme un crime .Mais Lucie constate : « Le viol venant d’un inconnu est plus sévèrement jugé qu’un viol conjugal. La particularité du viol conjugal est qu’il est répété et donc le crime est permanent et la destruction de la femme continue. En France, 80 % des viols sont commis par l’entourage proche (famille, patron…) et donc par des personnes connues ».  Sa collègue Cécile complète : « 30 % des femmes en parlent lorsqu’elles viennent à l’association, car on le rend « entendable ». Ce ne sont pas elles qui ont du mal à en parler, mais les professionnels qui ont du mal à l’entendre, car ça reste un sujet tabou ».

L’association SOS Femmes 93 existe depuis 1990 en Seine Saint-Denis et elle adapte en permanence son dispositif de prise en charge. Mais c’est grâce au travail des associations féministes fait localement à partir des années 70, que les violences faites aux femmes ont pu  être dénoncées puis prises en compte de façon institutionnelle tant en Seine Saint-Denis qu’au plan national.

C’est bien la conjugaison de tous ces talents qui aide les femmes victimes de violences conjugales à sortir de l’engrenage et à se reconstruire. Il semblerait que de part et d’autre les financements restent insuffisants et qu’il faudrait  plus  soutenir tous les acteurs du traitement des violences pour continuer à améliorer et développer les dispositifs : « on constate depuis plusieurs années des baisses de financement alors que l’on parle de plus en plus des violences conjugales et que les besoins augmentent. Les subventions diminuent au moment où on invite les femmes à dénoncer ce qu’elles subissent et où elle sont de plus en plus nombreuses à nous solliciter» conclut Cécile de l’association SOS Femmes 93.

Cristel Fabris

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