Lundi 10 septembre, tout prêt de la sortie du métro 7 Fort d’Aubervilliers. Il est environ 8h20 quand j’arrive devant l’école Joliot-Curie, dans le quartier de la Maladrerie où se trouve le campement des familles expulsées d’Aubervilliers. Un camp fait d’une quarantaine de matelas à même le sol et de couvertures. Des femmes sont encore sous la couette, nourrissons dans les bras, en train de dormir. Un groupe d’hommes discute. Je décide de m’installer sur un petit muret afin d’observer préalablement le lieu. Au bout de deux minutes, le groupe d’hommes se dirige vers moi et me questionne sur mon identité. Je leur explique le but de ma démarche, je suis accueilli gentiment, et même avec le sourire lorsque je leur confie la presse quotidienne que je tiens sous le bras et qui parle d’eux.

Doumbia Siaka, sa fille Awa dans les bras, reste à mes côtés pour causer. Une relation de confiance s’installe entre nous grâce au sport. Mes connaissances sur le football ivoirien l’impressionnent. « Je suis en France depuis 2001, je travaille comme agent de sécurité, ainsi que la plupart des hommes ici, confie-t-il. Les femmes s’occupent du ménage principalement. » Je reviens sur la nuit de vendredi à samedi et l’intervention des CRS. Il me précise que la femme enceinte frappée lors de cette intervention, dont les médias parlaient, est la sienne. Elle est aujourd’hui à l’hôpital. Il me dit aussi que parmi les quatre personnes placées en garde à vue durant cette nuit-là se trouve une femme du voisinage venue défendre ces gens dans la rue. Doumbia me quitte pour emmener sa fille et son fils à la maternelle. Il ira ensuite travailler.

La police s’introduit dans le campement. Un très jeune enfant est malade. Les policiers alertent immédiatement les pompiers, qui arrivent rapidement. Diagnostic: le garçon souffre d’une bronchiolite, due à une présence au plein air de plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Pas très loin de là, un groupe de femmes crie, se dispute. Je m’approche d’elles. L’une sort du groupe. J’engage la conversation. Elle m’explique que les autres femmes pestaient contre le campement. Elle affirme que c’est elle, la femme du voisinage qui a fini en garde a vue, pendant 16 heures, pour avoir défendu les « campeurs »; elle dit sa fierté d’avoir pris leur défense, imitée en cela par des jeunes de son quartier. Elle m’apprend que certains « campeurs » possèdent des papiers français.

Parmi ces Français, je rencontre Assita Coulibaly, une femme allongée sur un matelas qui semble très faible physiquement. Assita est en France depuis 1999, elle travaille dans un pressing à Pantin, elle a deux enfants scolarisés dans l’école Joliot-Curie. « J’ai du travail depuis mon arrivée en France, mais je n’ai jamais pu avoir de réponse quant à ma demande de logement, je ne pouvais pas rester dans la rue avec mes enfants alors j’ai logé dans un squat où je payais des indemnités d’occupation auprès de la trésorerie de la mairie. Je n’avais pas le choix. Je trouve cela très grave: même avec ma nationalité française, mon travail, celui de mon mari, je n’ai pas droit à un toit. »

Elle me confie son traumatisme psychologique d’avoir subi les coups de CRS devant ses enfants. « Tout ce qui est dit dans les journaux, c’est archi-faux ! Tout le monde ici possède des papiers, français ou ivoiriens réfugiés politique », assure-t-elle. Nous parlons ensuite de la venue du préfet le week-end et de la deuxième rencontre qui aura lieu dans l’après-midi. Elle devrait faire partie de la délégation qui se rendra à la préfecture. Quel message compte-t-elle délivrer ? « On veut un toit ! », clame-t-elle. « Si je vois le préfet, je lui dirai qu’il n’est pas normal que l’on soit humilié de la sorte par des CRS devant nos enfants, qu’il n’est pas normal qu’une femme avec un bébé de 25 jours accroché dans son dos soit mise a terre et menottée. Nous ne voulons pas de titres provisoires, nous voulons des logements, nous avons tous des fiches de paie, nous pouvons payer un loyer et tout cela, c’est notre droit ! »

Je me réinstalle sur mon muret, j’observe une dernière fois la situation. C’est l’heure de la sortie des classes du midi, des campeurs se mettent à manger, d’autres boivent du thé et jouent sur des percussions africaines. C’est sur un son de Djembe que je m’en vais. Au même moment, une horde de journalistes de télévision déboule en voitures et camionnettes, et moi je reprends le métro 7 à la station Fort d’Aubervilliers.

Yoann Defaix

 

Dénouement

La nouvelle est tombée aux environs de 22 heures: les squatteurs de logements sociaux d’Aubervilliers ont accepté lundi soir les propositions de la préfecture, conditionné à leur retrait immédiat. Après trois quarts d’heure de discussion, Lacine Koné, l’un des porte-parole des squatteurs, a annoncé que « les familles s’engageaient à respecter les termes de l’accord proposé deux heures auparavant par le sous-préfet ». Le sous-préfet, Olivier Dubaut, s’est engagé à reloger les cinq familles expulsées fin juin et début juillet, à engager au plus vite une enquête sociale afin d’étudier les possibilités de relogement pour 26 autres familles menacées d’une expulsion prochaine, et lorsque cette phase sera achevée, à lancer la même enquête pour les 40 autres familles africaines, ivoiriennes pour la plupart, ayant participé depuis le 11 juillet au squat. Les propositions de la préfecture ne valent que pour les familles en situation régulière. (AFP)

Yoann Defaix

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