Après les Jeux olympiques de Tokyo, le président de la République avait enjoint les athlètes français à « faire beaucoup plus » dans trois ans. Un discours qui a fait réagir et qui, déjà, posait la question de la faiblesse des investissements dans ce domaine.

Trois ans plus tard, nous y sommes et la problématique reste d’actualité. La sprinteuse nîmoise, Wided Atatou, sélectionnée dans l’équipe de France du relais 4 x 100 pour les JO de Tokyo, a été contrainte de lancer une cagnotte pour la préparation des Jeux olympiques. Interview.

D’où venez-vous et quand est-ce que vous avez commencé à faire de l’athlétisme ?

Je viens de Nîmes et j’ai commencé l’athlétisme en 2015 à 15 ans. J’ai pratiqué plusieurs sports par loisir : du football, un peu d’équitation et du volley-ball. J’ai découvert l’athlétisme par l’intermédiaire de l’UNSS*. On touchait à tout, j’ai fait du cross, des lancers et des courses. C’est à ce moment-là que j’ai accroché avec la course.

Mon premier entraîneur m’a donc conseillé de venir à Entente Nîmoise Athlétisme qui est actuellement toujours mon club. J’aime cette compétitivité qu’il y a dans le sprint. J’aime aussi le fait de pouvoir me surpasser, de créer sans cesse pour aller plus vite et accomplir de nouveaux records.

J’imagine que disputer les JO 2024 à la maison est un rêve pour vous ?

Complètement ! J’ai fait mes premiers Jeux à 21 ans, c’était lors des Jeux olympiques de Tokyo 2021. Pour Paris 2024, l’histoire serait encore plus belle de faire mes deuxièmes Jeux olympiques à la maison.

À côté de votre carrière sportive, vous avez également un travail. Dans quel domaine vous évoluez ?

Je suis éducatrice spécialisée dans le secteur médico-social. Je travaille au sein d’une MECS (maison d’enfants à caractère social), où j’accompagne des jeunes. Le fait de soutenir les usagers, les familles, comprendre leurs besoins et leur proposer des accompagnements, ça me plaît énormément. Ce que j’aime beaucoup aussi, c’est aider à la réinsertion des jeunes par l’intermédiaire du travail ou de l’école. J’utilise le sport comme médiation, c’est un outil qui permet d’ouvrir certaines portes. On pratique l’athlétisme afin de travailler la confiance en soi. Le sport n’est jamais très loin dans ce métier !

Dans un article du Huffington Post, vous expliquiez que cette année, vous aviez perdu votre statut de professionnelle ainsi qu’un complément de salaire qui vous permettait de ne travailler qu’à temps partiel. Quelles étaient les raisons ?

À ce jour, je ne sais pas pourquoi on m’a retiré ce complément.

J’imagine que cela vous a beaucoup perturbée surtout pendant votre préparation pour les JO…

Absolument ! Pour revenir sur la petite histoire. J’étais en fait à temps partiel sur un autre établissement, je travaillais avec des personnes en situation de handicap. J’étais sur un volume d’heures de 15 heures par semaine. À côté, j’avais cette aide financière qui représentait un complément au niveau de mon salaire. Cela me permettait de ne pas travailler 35 heures et de me concentrer sur l’athlétisme plus sereinement.

Du jour au lendemain, j’ai appris que j’avais perdu cette aide financière, sans avoir d’explications

Mais en janvier 2022, je me suis rendu compte qu’il y avait de plus en plus de retard de paiement. Puis, du jour au lendemain, j’ai appris que je l’avais perdu, sans avoir d’explications. J’ai pris cela comme un manque de respect. C’était la première fois de ma carrière que j’ai ressenti ça. Ce statut est censé se renouveler selon certaines conditions. Me concernant, ce contrat était renouvelable.

Comment avez-vous fait pour subvenir à vos besoins et vous préparer correctement pour les JO ?

J’ai pris un coup sur la tête. Je venais justement d’avoir mon appartement afin de pouvoir préparer au mieux les Jeux Olympiques et avoir une stabilité sur tous les plans. J’ai dû travailler à plein temps, je suis passée de 15 heures à 45 heures de travail par semaine, en tant qu’éducatrice spécialisée.

Forcément ma préparation a été perturbée. Le plan qu’on s’était fixé avec mon staff a été chamboulé. J’ai dû mettre en suspens la première partie de ma saison cette année… Ce n’était plus possible de gérer le travail et les déplacements pour les entraînements. J’ai continué à m’entraîner un peu pour me maintenir en forme et garder certains acquis, mais il y a des fois où c’était compliqué. Je n’ai pas pu disputer les championnats de France Élite cet été, j’étais complètement épuisée et je n’étais pas à mon niveau, car la préparation avait été complètement tronquée.

L’argent que j’ai reçu me permettra de pouvoir me préparer aux compétitions et de couvrir mes déplacements aux stages et meetings

Un jour, l’athlète Jona Aigouy, qui était dans la même situation que moi, me contacte. On se connait depuis ma première sélection, lors du championnat du monde d’athlétisme en 2018. J’étais tombée sur un article à son sujet où elle expliquait qu’elle avait aussi ouvert une cagnotte. Elle disait qu’elle vendait ses meubles, elle était dans une situation catastrophique.

Je lui raconte tout ce qui m’est arrivée au téléphone, parce qu’elle ne pensait pas que j’étais absente pour cette raison. Elle essaie de me convaincre de parler à la presse de ma situation et me dit qu’il faut que j’ouvre une cagnotte. Elle parvient à le faire, j’accorde ma première interview et j’ouvre aussi ma cagnotte. Il me semble qu’elle est à 8 000 euros maintenant (le budget annuel d’une préparation olympique est au moins de 30 000 euros, ndlr). L’argent que j’ai reçu me permettra de pouvoir me préparer aux compétitions et de couvrir mes déplacements aux stages et meetings.

Avec la cagnotte, est-ce que vous pouvez vous permettre d’arrêter de travailler pour vous concentrer à 100 % sur votre carrière ?

Je suis contrainte à travailler, car c’est toujours un peu compliqué. J’ai dû négocier des aménagements avec mon chef de service. Je m’entraîne 20 heures minimum par semaine, 7 jours sur 7. Pour l’instant, j’essaie de concilier les deux afin de pouvoir prétendre à une qualification aux Jeux Olympiques, il faut faire des minimas dans des compétitions huppées qui sont parfois aux États-Unis. Se déplacer dans ces pays, ça ne coûte pas 1 euro.

Il y a d’autres frais qui sont à prendre en charge comme mon staff technique. J’ai deux kinés, deux ostéos, une diététicienne, un médecin du sport, un préparateur mental. Tous ces gens-là ne roulent pas à l’eau. Je ne vais pas m’apitoyer sur mon sort, mais c’est vrai que si je pouvais avoir un peu de soutien, d’accompagnement, qu’il soit financier, humain ou matériel, ça serait vraiment cool. Ça donnerait un gros coup de pouce à ma préparation olympique.

Aujourd’hui, je prends la parole pour sensibiliser les gens sur la situation du sport de haut niveau en France

C’est aussi pour ça qu’aujourd’hui, je prends la parole pour sensibiliser les gens sur la situation du sport de haut niveau en France. Je suis un peu “le porte-parole” de nombreux athlètes qui sont dans la même situation et qui n’osent pas prendre la parole en public.

Vous êtes toujours à la recherche de sponsors et de partenaires. Est-ce que ça a avancé depuis ?

J’ai eu des sollicitations et j’espère que ça va se concrétiser le plus rapidement possible. J’espère pouvoir avoir d’autres partenaires, pas seulement sur le plan sportif, mais aussi sur du long terme. Après, il y aura aussi les Jeux olympiques de Los Angeles en 2028. C’est aussi grâce à ces partenaires que l’on peut prétendre à pouvoir vivre de notre sport aujourd’hui.

Propos recueillis par Émeline Odi

Photo : ©FFA Fédération française athlétisme

*Union nationale du sport scolaire

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