On le sait, le cinéma français aurait intérêt à abandonner certaines images, souvent caricaturales et dévalorisantes des quartiers populaires. À la sortie de la projection de Rodéo, certaines appréhensions sont confirmées. Mais le premier long-métrage de Lola Quivoron comprend aussi son lot de bonnes surprises.

Julia (Julie Ledru) est une jeune femme passionnée de cross-bitume. Son passé mystérieux la pousse à rompre avec sa famille et son quartier. Elle se retrouve, sans rien ni personne. Habituée à voler des motos (et pas que), elle intègre les B-More, un groupe de riders qu’elle rencontre sur les lignes d’entraînement. Femme dans un monde d’hommes, elle devra se battre, parfois littéralement, pour se faire accepter.

Les riders que j’ai rencontrés militent pour avoir une route, légitimer leur pratique, et pourquoi pas poser un cadre légal

Cet été, les rodéos urbains ont entraîné plusieurs accidents. Un homme est mort à Colmar, et une fillette percutée par une moto a failli perdre la vie, dans le Val d’Oise. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé une intensification de la répression des rodéos urbains. Dès lors, la simple représentation de cette pratique controversée au cinéma inquiétait.

Pourtant, le rodéo urbain mettant en danger la vie d’autrui n’est pas le sujet du film. Aucune scène de ride n’est tournée en ville, seulement dans des endroits déserts. « Tous les riders que je rencontre depuis sept ans sont des vrais passionnés, qui militent pour avoir une route, légitimer leur pratique, et pourquoi pas poser un cadre légal », renchérit la réalisatrice de 33 ans.

Sortir de schémas vieillissants

D’un point de vue cinématographique, peu de choses à redire. Les magnifiques scènes de ride qu’on attendait tiennent largement leurs promesses. Le tout est porté par un casting non-professionnel très convaincant, et parfaitement habillé par une bande originale taillée sur mesure. Surtout, le film se distingue par la déconstruction de certains clichés vus au cinéma. Du personnage de l’héroïne à l’invisibilisation de la police en passant par des personnages masculins qui (accrochez-vous) montrent leurs émotions, Lola Quivoron rebat les cartes. « Quand on produit un film, toute forme de déconstruction produit une créativité nouvelle », résume la diplômée de la Fémis.

Pour moi, toute forme de déconstruction produit une créativité nouvelle

Habitée par la passion pour la moto et la violence d’un passé mystérieux, Julia est inspirée par plusieurs influences allant de rideuses que la réalisatrice a croisées, au héros de Taxi Driver. ©LesFilmsDuLosange

Ensuite, il est rare de voir une héroïne cumuler plusieurs histoires sentimentales en un film, avec autant de poésie et de pudeur. « On laisse beaucoup de place à l’interprétation du spectateur, remarque Julie Ledru, qui joue le rôle principal. Il n’y a pas l’idée fixe selon laquelle elle serait hétéro ou lesbienne, amoureuse ou pas. Elle va là où elle se sent bien ». Et quand Kaïs (Yanis Lafki) lui dévoile ses sentiments, il ne se voit pas gratifié du baiser qu’attendent les spectateurs. « Dans tous les films, on est habitué à ce que le personnage féminin couche avec le mec. Moi, je dis que ce ne sera pas le cas », s’amuse la créatrice du film.

On remarque enfin l’invisibilisation de la police. À rebours de ce qu’on a pu voir dans BAC Nord, les forces de l’ordre n’apparaissent pas une seule fois à l’écran (sans être totalement absentes). Cette absence visuelle fait beaucoup de bien dans ce genre de films et ne peut qu’être saluée.

Des clichés à la peau dure

Toutefois, au niveau de la représentation des quartiers populaires, certains voyants affichent rouge. On pense à la délinquance, mais aussi au langage des personnages qui reste principalement composé d’insultes et de vulgarité.

Rodéo n’est ni un documentaire, ni un reportage et l’œuvre s’affirme fermement en fiction. Mais on sait à quel point les drames au cinéma peuvent influencer les imaginaires. Aussi, un film qui met en scène des « jeunes de quartiers » – une communauté spécifique, celle des riders – et que le vol y occupe une place (trop ?) importante. La jeune réalisatrice est lucide. « Certains riders se sont sentis stigmatisés par cette représentation, confie-t-elle. J’accueille cette expression à bras ouvert et j’essaye de leur répondre comme je peux. »

Quand on fait du cinéma, on crée des personnages et on obéit à leurs désirs

Depuis sa rencontre avec le Dirty Riderz Crew en 2015, Lola Quivoron plaide pour une dédiabolisation de la discipline. Dès lors, on s’étonne de l’omniprésence de la délinquance dans son film. « Je ne me suis jamais dit que comme j’écrivais un film sur fond de cross-bitume, il fallait absolument qu’il y ait du vol, répond-elle. La seule qui vole, c’est Julia. Parce qu’elle est irrévérencieuse, et surtout addicte à la bécane. C’est une toxico de l’adrénaline et de la vitesse ! analyse la cinéaste. Quand on fait du cinéma, on crée des personnages et on obéit à leurs désirs. »

Rappelons que le débat apparaît explicitement dans le film. Quand Julia « importe le vol » chez les B-More, elle se heurte à des protestations. « Il était essentiel pour moi de dialectiser cette question dans le film, explique la réalisatrice, scènes à l’appui. On a tendance à l’oublier, mais le vol est très mal accueilli par une partie de la communauté. Quand Julia ramène une moto volée, Clark (Mustapha Dinka) s’énerve en disant que c’est contraire à l’esprit “bike-life”. Mous, pour se payer un nouveau quad, il travaille et il en chie. Donc on n’essentialise pas au groupe. »

Un rôle féminin bien travaillé

Le personnage principal, Julia, oscille entre déjà-vu (jeune femme de quartier agressive et impolie) et nouveauté. Son corps n’est pas sexualisé (on lui laisse ses habits du début à la fin du film, faites un vœux !). Et la réalisatrice s’applique à entretenir le flou quant à l’identification de genre, ou l’orientation sexuelle de son héroïne. « Je voulais que ce personnage échappe à toute assignation, explique-t-elle. Elle se débat contre les regards, qui assignent, et parfois véhiculent des désirs mal placés. »

Rodéo comporte donc les éléments qui laissent espérer un renouvellement positif dans le cinéma français, sans échapper à certains travers, notamment sur la représentation des jeunes de quartiers, trop souvent réduits aux fantasmes et clichés habituels. Chacun·e se fera son avis.

Hadrien Akanati

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