En cuisine, Reda Hadjila est un peu le chef d’orchestre d’Une chorba pour tous. A mon arrivée, il donne aux bénévoles des recommandations sur les tâches à accomplir. Il est dans les locaux depuis 10h00 du matin, la veille, il n’a dormi que deux heures. En ce 27éme jour de ramadan, celui de la nuit du destin, la nuit où le coran aurait été révélé, tout le monde s’active en cuisine sous la férule de Réda. Dans un coin, des mamans discutent et rigolent en découpant des légumes. Dans un autre, des jeunes filles s’activent à la préparation des plats en chantant des chansons berbères. Cette ambiance chaleureuse et familiale  rappelle le bled.

Le fumet qui sort des plats est un délice pour l’odorat. La chorba, bien grasse et nourrissante, qui se prépare maintenant en cuisine sera servie ce soir à tous les nécessiteux, quelque soit leur confession. Ils viendront l’emporter, ou la manger sur place selon leur envie, sous un chapiteau dressé dans le XIXème arrondissement de Paris. Celui-ci peut accueillir 1200 personnes. Pour fêter comme il se doit la nuit du destin, «  Une chorba pour tous » a mis les petits plats dans les grands et a rajouté à son menu habituel un deuxième plat. Au programme, un tajine à l’agneau et aux épices, accompagné de pommes de terre.

Revenons à Reda. Douze ans déjà, que cet Algérien de 57 ans travaille comme cuisinier bénévole pour l’association. Pour l’instant, lui et son équipe s’activent dans une chaleur de four autour de 14 grandes marmites sur le feu. Mais Reda gère aussi les stocks de nourriture apportés par les donateurs, surveille les cuissons et coordonne les diverses étapes de la préparation des plats pour que tout soit prêt au moment de les amener au chapiteau.

Comme tout bénévole, il a commencé à faire de la mise en place et à éplucher les légumes. Puis, il a voulu aider les cuisinières. Il savait faire la cuisine chez lui, mais au début, il n’avait pas la  notion des proportions pour préparer les plats pour de très nombreuses personnes. Maintenant il a le coup d’œil. Soucieux de la qualité de son travail et du bien-être des démunis, il demande à chaque fois l’avis des personnes qui mangent ses plats pour bien doser les épices.

C’est en 2001, en voyant le nombre important de nécessiteux faisant la queue, qu’il comprend que l’association a besoin d’aide pour continuer à lutter contre la précarité. « A ce moment précis, c’était devenu indispensable pour moi-même de le faire, c’était même un devoir », raconte-t-il. Du coup, chaque vendredi, sa toque de cuisinier remplaçait son costume d’agent banquier.

Reda n’échangerait pour rien au monde sa place. Son engagement pour cette association a pris une telle place dans sa vie que pour subvenir à ses propres besoins, il travaille uniquement les week-ends. « Il y a toujours plus malheureux que soi, dit-il, il ne faut surtout pas oublier de les aider». Reda ne roule pas sur l’or, mais il a le cœur sur la main. Son dévouement pour les autres, il le doit sûrement à sa mère couturière de profession qui faisait aussi du bénévolat durant les périodes de fêtes.

Reda a servi beaucoup de démunis qui l’ont touchés, l’un d’entre eux en particulier. Il me raconte l’histoire d’un Afghan qui a dû quitter précipitamment son pays en guerre. A son arrivée, il ne parlait pas un mot de français. Petit à petit, il a commencé à lire et écrire grâce aux cours d’alphabétisation donnés par l’association. Reda précise en souriant « nous ne nourrissons pas seulement les ventres, mais aussi les têtes ». L’Afghan a commencé à s’ouvrir d’avantage aux autres, à aller dans les musées. Aujourd’hui il a trouvé un emploi dans la peinture. Reda se souvient des mots qu’il a dit quand il a cessé de venir manger la chorba : « Je laisse ma place à une personne qui en a plus besoin que moi ».

Réda est pieux musulman : « C’est Dieu qui me donne de la force de continuer et de me battre  pour les plus démunis ». Pour lui, ceux qui sont dans le besoin sont « comme des personnes de ma famille ». Parfois, confie Réda, certaines personnes qui viennent prendre la chorba sont colériques. La vie des plus humbles n’est pas facile, ils sont parfois à cran. Il faut alors « ravaler son orgueil », avoue-t-il, garder son calme et se mettre à leur place: « Il faut vivre une journée dans la rue pour mieux les comprendre, dit Reda. On n’a pas le droit de les abandonner dans leurs galères »

 

Une chorba pour tous, en partie grâce à Reda, distribue à peu près 300.000 repas par an, pas seulement pendant le ramadan, mais également à l’occasion des fêtes de fin d’année où la distribution s’exporte sur gare de l’Est. Mardi, l’association organise une petite fête  pour  le jour de l’Aïd. Une réception avec tombola, gâteaux et rafraichissements. Vous êtes tous les bienvenus !

Hana Ferroudj


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