XVe arrondissement. Un bar. Le zinc dézingue. Des ouvriers trinquent. Ils parlent en portugais. Ils ont des casques de chantier. Il est midi, ou peut être un peu moins. Le soleil n’a pas atteint l’apogée. Au fond du café, style bistrot-Ikéa, Jacques Cheminade broie nos mains. On s’installe, tout près de lui. Il dit : « Je préfère être prêt de vous« . Il demande une feuille de notre cahier. Il dit : « C’est moi qui vous pille« . Il rigole. Deux télévisions nous filment.

Si vous n’étiez pas candidat à la présidentielle, vous pourriez être candidat de jeu de télé-réalité. Ils aiment ce genre de personnages loufoques.

Non, je ne pourrais pas jouer dans un jeu de télé-réalité. Vous savez, moi, je n’ai pas une addiction à la télé. Et la télé-réalité, c’est Koh-Lanta, toutes ces histoires là… Et je trouve qu’on traite avec un certain mépris la personne humaine. Je n’aime pas ça.

Vous préférez les documentaires animaliers, les documentaires historiques… Qu’est-ce que vous préférez regarder ?

Ce que je voudrais pour la télé, c’est qu’on fasse un peu ce que Werner Harzog a fait avec la grotte Chauvet. C’est à dire qu’on offre les plus belles réalisations de l’humanité, et qu’on les offre à tout le monde, et qu’on explique. Parce qu’en France, on n’explique pas.

D’ailleurs, dans votre programme, vous proposez un programme télé…

Mon programme télé, c’est d’aller voir partout où ça créer. Dans les banlieues, les laboratoires, dans les centres de recherche. Partout où il y a de la création, et d’offrir ça aux gens. Alors vous savez ce qu’ils m’ont dit les gens de la télé ? Ils m’ont dit que ça n’aurait aucun succès, que personne ne s’y intéresserait. Je suis d’avis contraire.

Le rôle d’un Président de la République, c’est de faire les programmes télé ?

Ah non, surtout pas. Mais il doit ouvrir la voie pour que ça puisse être fait. Le rôle du Président de la République, comme De Gaulle, c’est d’inspirer. Il ne s’occupe pas des détails.

Est-ce que vous trouvez que la banlieue a été au cœur de la campagne présidentielle ?

Non, pas du tout. La première chose, c’est qu’en France, il y a une colonisation intérieure, comme il y a eu une colonisation extérieure. Et cette colonisation intérieure est voulue, c’est une colonisation d’exclusion. Ca frappe non seulement les quartiers populaires, je préfère dire quartiers populaires à banlieues, et ça frappe aussi les gens qui sont dans les zones pavillonnaires. C’est un problème qui touche les gens qui sont isolés de la ville, et des services publics. Ils prennent une heure, une heure et demie pour aller à leur boulot et finalement, par rancœur et rage, ils votent Marine Le Pen. Il faut arrêter ça. C’est là qu’on trouve des jeunes 18/24 ans et qu’on dit qu’ils voteront Marine Le Pen par rancœur, rage et désespoir.

Chaque élection, chaque candidat dit qu’il veut faire un plan pour la banlieue…

Ouais, Plan Marshall, plan je-sais-pas-quoi ! Je crois qu’il faut que ce soit à travers les jeunes de banlieues eux-mêmes que la politique soit mise en place. Il faudrait qu’on ait un Ministère de l’Egalité et de la Vie Associative, composé de jeunes de banlieues. Ils seront pas beaucoup, maximum une centaine, avec 5 ou 6 personnes de la vie associative. Ils iront voir partout, dans tous les ministères, tous les pans de la société civile, où sont les discriminations et les inégalités. Alors, évidemment on parle aujourd’hui de l’attestation en cas de contrôle au faciès, moi je crois pas que ce soit une solution miracle, mais je crois qu’il faut le faire de toute façon. Et surtout, faire en sorte que ces contrôles soient faits que s’il y a poursuite judiciaire. Les enquêtes ont montré que si on est supposé être d’origine maghrébine ou d’Afrique, on aura dix fois plus de contrôles au faciès que si on l’est pas. En France, il faut arrêter ces choses là !

Comment expliquer ce désintérêt pour les quartiers populaires dans les débats ?

On pense qu’en banlieue, on ne vote pas, ou peu. Et que, par conséquent, si on les caressait dans le sens du poil, ça ne sert à rien. Mieux vaux donc caresser les préjugés des autres, c’est ce que fait le Front National, et gagner des voix en faisant peur. On vit dans un pays, et l’actuel Président de la République est complice de ça, où l’on fait peur. La droite fait peur. Elle fait peur sur l’islam, elle fait peur sur l’immigration, elle fait peur « on va devenir comme la Grèce ! »

Arrêter avec la peur, effectivement. Mais certains habitants, dans certaines villes, dans certains quartiers, répondront qu’il y a aussi une réalité, et qu’il y a parfois un important trafic de drogue. Votre solution ?

On ne peut pas arrêter le trafic de drogue quand il devient un moyen de vivre. Il faut tarir à la source, c’est-à-dire une politique de justice sociale, de développement économique. Encourager, par exemple, les jeunes à créer des entreprises. C’est l’idée du pôle d’investissement public, que propose la gauche, et je suis d’accord avec ça. Toutes les entreprises qui bénéficient de marchés publics sont encouragées. Et sans ça, sanctions financières. Il faut mener une politique différente pour créer de la vie.

Mais, dans votre programme, vous parlez d’un plan international de lutte anti-drogue. On n’a pas très bien compris.

Aujourd’hui, on a un type de société où les trafics ne sont peut-être pas promus, mais ils fleurissent et on peut pas faire autrement. Je répète donc que ce qu’il faut faire, c’est tarir la source. Il faut empêcher cette société de l’argent, du gain immédiat, de la survie. Et créer une société de justice. La lutte contre le trafic de drogue doit s’inscrire là. Par exemple, si y’a des pays qui produisent de la drogue, faut les aider économiquement à se développer.

Vous avez déjà pris de la drogue ?

J’en ai déjà pris deux ou trois fois quand j’étais jeune. C’était du haschisch léger.

C’était bien ?

Non, je pense pas. C’est pas bien, parce que c’est répétitif. C’est pas créateur.

Pourtant, certains artistes disent qu’ils créent grâce à ça…

J’aimerais voir leurs œuvres d’art pendant leurs consommations. Vous lisez Les Confessions d’un mangeur d’opium anglais de Thomas de Quincey, vous voyez qu’il n’y a pas de création associée à la drogue. Ça encourage certains états émotionnels forts, mais ça ne débouche pas sur la création de quelque chose. Ca débouche sur des chocs, des effets… C’est comme l’alcool, si vous êtes saoul, vous avez du mal à créer.

Contre la pénalisation de l’usage de cannabis ?

On peut pas continuer avec l’état de la loi telle qu’elle est, ça peut plus correspondre à l’état de la société. Je suis contre la police qui va faire des contrôles aux shiteux juste pour faire gonfler les chiffres dans les commissariats. C’est complètement absurde.

Autre chose Jacques Cheminade. Dans les banlieues, il y a aussi des jeunes multi-diplômés, qui malheureusement ne trouvent pas de travail. Avez vous une idée, une solution ?

Les aider à créer des entreprises.

C’est facile à dire…

Oui, mais c’est leur donner un moyen financier de concrétiser leurs projets.

Comment trouver l’argent vu que soi-disant les caisses sont vides ?

Elles sont pas vides du tout. Elles sont pas vides pour renflouer les caisses de la Banque Centrale Européenne, des banques, 1 000 milliards en deux fois. Le problème ce n’est pas que les caisses sont vides, mais c’est qu’on cherche à faire payer des dettes qu’on pourra jamais repayer. Les créances correspondaient, l’argent qui circulait correspondait, mais il n’a rien créé du tout. Il n’a pas créé d’hôpitaux, d’écoles, de laboratoires ou des industries qui marchent. C’est de l’argent qui a tourné en rond, avec des spéculations et des dettes de jeu.

Vous êtes contre les jeux de hasard…

On se confie aux jeux de hasard, parce qu’on a rien d’autre. On le voit d’ailleurs. Moi, ça me fait mal au cœur, quand on va au café du coin à Clichy, on voit les gens qui ont le RSA et qui jouent au Rapido, au PMU, avec les écrans de télévision partout. Ça c’est maladif, on crée chez les gens un faux espoir, pour qu’ils soient prisonniers d’un modèle de société.

Pour la régularisation de tous les sans-papiers ?

Je pense qu’il faut agir par étapes. Première étape, créer des maisons du citoyen et du droit dans chaque quartier auxquels sont associés les immigrés, les habitants, tout le monde. Deuxième étape, c’est le droit de vote aux élections municipales pour les immigrés qui sont là depuis 5 ans et qui paient des impôts. Troisième étape, c’est la régularisation au cas par cas. Ceux qui ont un travail et une activité, il faut les régulariser tout de suite. Et là, il y’a un autre problème, pourquoi ceux qui ont un Bac +5 quittent l’Afrique ? Parce qu’ils pensent qu’ils auront une meilleure vie ici. Il faut encourager le co-développement, la coopération et la relier avec l’immigration. Or en France, ce qui est révélateur, c’est de voir que l’immigration relève du Ministère de l’intérieur. Alors que l’immigration, c’est des allers-retours. Ceux qui viennent doivent pouvoir retourner. Quand je vois que le regroupement familial est contesté dans ce pays, je trouve ça fou ! Chaque être humain doit avoir la dignité de vivre en famille.

Jacques Cheminade, avez-vous déjà entendu parler des Illuminatis ?

Oui.

Des vidéos circulent sur Internet, hyper documentés. Et elles nous disent que ce sont ces Illuminatis qui dominent le monde au service d’un ordre mondial.

Je vais vous expliquer comment vous vous faites baiser. À mon avis, y’a deux sortes d’imbéciles, ceux qui disent qu’il n’y a aucun complot. Et ceux qui voient des complots partout. Donc, on détourne les gens de recherche rationnelle en balançant des détails bizarroïdes hyper documentés, et en détournant les gens de ce qui crève les yeux. Qui détient le plus de pouvoir en France ? Nicolas Sarkozy ou Michel Pebereau ? Ma réponse est Michel Pebereau, pas les Illuminatis ! Michel Pebereau dirigeait BNP Paribas pendant longtemps. C’est le patron, maintenant, des sociétés du CAC 40.

Mais ces vidéos qui nous détournent, comme vous dites, elles sont publiées sur Internet. C’est bien, Internet?

Y’a le meilleur et le pire. Le pire, c’est quand on peut y raconter n’importe quoi. Le meilleur, comme dans notre site ou d’autres, c’est des choses qui auront du mal à passer ailleurs. On veut pas parler des choses gênantes. J’ai par exemple Le Monde. Ce journal, le 10 avril, a fait un questionnaire sur l’environnement. Et ils écrivent : « Nous n’avons pas interrogé Jacques Cheminade, position qui est celle du Monde depuis l’officialisation de sa candidature« . C’est scandaleux ! Eux qui sont pour la démocratie, c’est une injure au pluralisme politique ! Ils disent que j’apparais comme un ovni, j’en suis pas. Je gêne, c’est tout.

Pourquoi vous gênez autant selon vous ?

Vous savez Bertrand Russell, célèbre philosophe britannique, disait : « On arrivera à une société où les gens pourront être contrôlés quand ils seront convaincus que la neige est noire ». Ça veut dire qu’on perturbe les gens. On le voit dans cette élection présidentielle, il y a un trouble permanent autour de ma candidature. Mais si on dit la vérité, si on fait le marathon et qu’on insiste, les gens sont pas si idiots.

Mais vous êtes nulle part, vous. Vous ne faites pas beaucoup de déplacements.

Si, mais on a pas beaucoup d’argent. On a une campagne à 400 000 euros, alors que Melenchon en est à 5 millions, Eva Joly entre 2 et 4. Nous, on est les dépourvus dans une campagne comme celle-là. Donc on fait des réunions de rue. On voit 10 personnes arriver, et à la fin 80 ou 60 citoyens apparaissent pour poser des questions directement.

Et nous, on doit voter Hollande ou Mélenchon ?

Ni l’un ni l’autre. Je ne vous dirais pas pour qui voter, mais je ne peux pas dire de voter pour moi-même…

Mais entre Mélenchon et Hollande, votre cœur balance.

Il ne balance pas ! (Petit silence) Prenez Hollande.

En 1989, Mylène Farmer a porté plainte contre vous. Parce que vous aviez utilisé une image d’elle et vous aviez ajouté une légende : « Ils promeuvent la laideur et la drogue : non à la sous culture des médias« . Rassurez nous. Vous vous êtes réconcilié avec Mylène Farmer ?

Avec Mylène Farmer, oui. Avec elle, c’est la paix des cimetières. Parce qu’elle aime chanter dans les cimetières.

Propos recueillis par Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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