Il y a une photo d’elle et Nelson Mandela. Il y a un canapé blanc cassé, de la moquette, une bibliothèque. Il y a un téléphone, ceux des administrations, à la sonnerie d’hôpital. Il sonne. Elle répond. « Ça fait 25 ans que je lui ai pas parlé, et là. » Là, elle lui parle. « Je vous rappelle. » Il y a un bureau. Pas de bordel, pas vraiment. Il y a de la lumière, dehors, la nuit déjà. Elle est ministre de la Francophonie. Avant, elle était réalisatrice. Avant, adjointe au maire de Paris. Elle a vécu des vies, ses vies. Maintenant, François Hollande l’a nommée. Elle part, revient, sans s’arrêter. Personne sait vraiment pourquoi. « Pas besoin de communiquer. » Au risque de se faire piquer comme « ministre qui sert à rien » par Marianne. « Aucun commentaire. ». Elle part, revient, imperturbable, sans s’arrêter. A un moment, elle s’assoit, entre l’Algérie et le Ghana. Et elle répond au Bondy Blog.

Retour en Algérie. Une centaine de journalistes, une centaine d’invités, une dizaine de ministres… Tout ça, pourquoi ?

La première visite du Président François Hollande en Algérie s’est inscrite dans un moment historique important, les 50 ans de l’Indépendance de l’Algérie. Ce voyage était très attendu des deux côtés de la Méditerranée, avec la volonté d’écrire une nouvelle page de l’histoire commune, dans le respect des mémoires. La plupart des invités étaient venus avec un bout de cette histoire, chevillé au cœur. Le Président Hollande a fait ce voyage avec toute la solennité qu’il exigeait. Pour mettre en place un partenariat qui va de l’économie à la culture.

Vous avez été en Algérie plusieurs fois dans votre vie. Là, vous y êtes retournée, en tant que ministre. Ça fait quelque chose de particulier, dans le cœur ?

Je suis une réalisatrice française issue de l’immigration, maghrébine en France. Je suis née à Lille. Je suis à la croisée des chemins de « l’histoire commune », élevée dans l’amour du pays de mes parents, l’Algérie, et dans les valeurs de la France. Mon père est venu pendant la guerre d’Algérie pour organiser l’arrêt des usines de France. Donc, ma famille fait partie de cette histoire. Et puis, mes parents sont restés en France. Mon père a été prisonnier politique. Ça laisse des traces. J’ai accompli plusieurs fois ce voyage. Pour voir ma famille ou pour montrer mes films. Revenir en Algérie en tant que ministre de la France a été un moment très fort. Quand les deux Présidents ont signé l’accord d’amitié franco-algérien et que le Président Bouteflika est venu me donner son stylo, à moi, avec lequel il avait signé l’accord, j’ai été émue. Je voyais surgir devant moi le visage de mes parents.

Vous êtes ministre de la Francophonie, une fonction qu’on ne comprend pas. Expliquez-nous.

 

En fait, le ministère de la francophonie est au service des valeurs et des peuples de langue française. Le 17 octobre dernier, j’ai présenté en Conseil des ministres un plan de relance de la francophonie. Il s’agit de donner un nouvel élan à l’enseignement du français, promouvoir la francophonie en France et la francophonie dans le monde. Nous sommes 220 millions à avoir le français comme langue. En 2050, nous serons 750 millions, dont 70% en Afrique. Et les locuteurs auront moins de trente ans. Etre ministre de la francophonie, c’est aussi militer pour un espace francophone où les barrières à la mobilité s’estompent.

Pour résumer, c’est surtout de permettre les échanges des peuples…

 

L’espace francophone, c’est le partage d’une même langue. Notre action est de favoriser la mobilité, notamment celle des artistes, des chercheurs, des étudiants, comme s’y est engagé le Président de la République à Kinshasa. Le français est aujourd’hui une langue économique, par rapport au Commonwealth. On a toujours cette image de l’anglais, l’anglais…

Oui, c’est une image de l’inconscient collectif. L’anglais est LA langue.

 

Les Chinois, les Sud-Africains, les Turcs, les Brésiliens font de plus en plus le pari du français. C’est dans l’espace francophone que se font  20% des échanges de marchandises dans le monde. La Francophonie, c’est quelque chose de très stratégique, on ne peut pas mettre de côté cette Afrique francophone. Moi, dans mon travail, je retricote des liens.

D’ailleurs, vous multipliez les déplacements en Afrique.

 

Aujourd’hui, la langue française s’est débarrassée des oripeaux du colonialisme, c’est une langue avec laquelle nous nous devons d’être aux côtés de l’Afrique. Ce continent est en plein bouleversement culturel et économique. C’est le message que je souhaite faire passer à chacun de mes déplacements.

Donc vous êtes là pour « miser » sur l’Afrique. Faire du « business » avec le prochain grand continent… C’est ça ?

Mais je ne suis pas la seule. Hillary Clinton fait la même chose. Sur le terrain. Les entreprises françaises qui investissent en Afrique ne sont pas dans une relation de domination mais de partenariat. Et créer des emplois en Afrique, c’est aussi créer des emplois en France.

Pourquoi les médias français n’en parlent pas ?

 

Aujourd’hui, les médias ont en tête une Afrique qui quémande, une Afrique qui souffre. La presse française parle davantage des conflits que de la mutation de l’Afrique. Moi, c’est cette Afrique que je veux promouvoir.

Mais, d’un autre côté, l’Afrique souffre, c’est une réalité. Il y a la question du Nord-Kivu….

 

Lors de mon premier déplacement à Kinshasa en juillet, pour préparer le sommet de la francophonie, je savais que la guerre faisait rage au Nord-Kivu… Des femmes sont venues des Kivus pour me rencontrer à Kinshasa, pour me parler de ces milliers de femmes violées, devenues « butin de guerre ». J’ai décidé en accord avec Laurent Fabius, de témoigner de cette situation à l’ONU en septembre. Des résolutions du Conseil des Sécurité ont été votées. Il y a eu la sanction des responsables de ces exactions. Je me suis rendue à Goma. J’ai vu des dizaines de milliers de personnes qui s’entassent dans des camps de réfugiés, envahis par la boue et le choléra.

Et maintenant, concrètement ?

 

J’ai reçu la semaine dernière le Docteur Denis Mukwege qui a opéré près de 40 000 femmes violées en 13 ans et qui a aujourd’hui besoin d’une protection de tous les instants pour continuer à exercer dans son hôpital de Bukavu.

 

Quand vous allez en Afrique, vous vous retrouvez dans des pays dirigés par des dictateurs. Vous leur faites face. Est-ce que vous osez vous opposer ?

 

A la mairie de Paris, pendant cinq ans, ma responsabilité d’adjointe a été de conduire la première délégation en charge des droits de l’Homme et de la lutte contre les discriminations. Mais nous n’avons pas à imposer, même si nous avons notre avis. Imposer, ce serait de l’ingérence.

Imposer la démocratie, ce n’est pas de l’ingérence.

Il faut savoir parler à hauteur d’homme. Si tel est leur souhait, nous nous devons d’accompagner les peuples qui aspirent au changement et à la démocratie.

Mais quand vous êtes face à des dictateurs, vous faites des remarques ?

 

Je le dis, mais à ma manière, et je parle au nom du gouvernement. C’est la Diplomatie, j’utilise mon savoir-faire à la Yamina.

Tout ça, est-ce une suite logique de votre parcours ?

 

Mon engagement, je l’ai pas laissé à la porte de mon ministère. Mon métier de cinéaste m’a conduit pendant vingt ans dans quelques-uns de ces pays où j’ai organisé de nombreux débats sur les questions des migrations, du déracinement, des discriminations. Aujourd’hui, dans ce ministère, je mets mon engagement au service de la diplomatie.

Malgré tout, quand est ministre on est toujours connecté à la réalité ?

Etre ministre, c’est assumer plus qu’une fonction. Etre ministre, c’est être de plein pied dans le réel et le quotidien. J’ai fait des films. Et faire du documentaire, c’est écouter, faire parler. Ça m’aide beaucoup parce la politique, si on est pas à l’écoute, c’est dramatique.

Mais une vie de ministre, ce n’est pas la vie d’une personne normale.

Une vie de ministre, c’est avoir le sens des responsabilités et des actions à mener, à Alger, à Beyrouth, à Goma, à Pékin… Le reste, c’est du mythe.

Du mythe ? Le chauffeur, les dîners officiels, les avions, ça parait pas très réel…

Dans la réalité, la vie de ministre est très dure, impitoyable. La réalité est glaciale. Exercer cette fonction comporte des obligations qu’il faut assumer. Dans mon métier, quand je partais en tournage et que je revenais de l’étranger, je me donnais peut-être quatre ou cinq heures pour décompresser. Là, non.

Vous regrettez ?

Je ne regrette rien, parce que ce ministère est une vraie mission. Et la mission, elle durera le temps qu’elle durera. Le tout, c’est de certainement pas écouter les journalistes. Faudrait qu’ils suivent, mais ça les intéresse absolument pas. Pour moi, il y a un vrai problème de réalité chez eux. Je vois pas un journaliste avoir le temps de passer des heures et des journées pour faire une enquête. Ne serait-ce que pour savoir par exemple « c’est quoi le Ghana ? » J’en reviens. Moi, je suis très fière d’assurer ces responsabilités.

Vous vous plaisez ?

 

Kateb Yacine disait de la langue française au lendemain de l’Indépendance de l’Algérie qu’elle était « un butin de guerre ». 50 ans plus tard, au moment du Sommet de la Francophonie, le Président tunisien Moncef Marzouki a déclaré que la langue française était « un butin de paix ». Et quand on arrive à débloquer les deux millions d’euros pour l’hôpital de Goma, au Kivu en seulement trois semaines, c’est extraordinaire.

C’est important, les gouttes d’eau ?

 

Chaque goutte d’eau compte. Lorsque j’ai apporté deux millions d’euros au Programme Alimentaire Mondial et à l’hôpital Heal Africa de Goma, cette goutte d’eau a sauvé des vies.

 

Un article sur le Bondy Blog est paru. Un jeune homme y raconte son enquête en Seine-Saint-Denis. Les gens, les jeunes, lui disent qu’ils sont déçus de François Hollande. Le Président a déjà oublié la banlieue?

 

Lorsque j’ai réalisé le documentaire 93 mémoire d’un territoire, j’ai pu constater à quel point l’histoire de ce département est une accumulation de retards depuis ses origines. Comme la désindustrialisation et tous ses maux, comme le chômage et la précarité, la dégradation de l’habitat et les vagues successives d’immigration. Le Président s’est engagé à désenclaver les quartiers en souffrance. Mais c’est tellement un territoire, auparavant, qui a été abandonné par les politiques de la ville.

Que répondez-vous à tous les déçus des quartiers ?

 

On dit que le gouvernement ne fait rien, c’est pas vrai. Les changements à apporter sont tellement vastes qu’ils ne sont peut-être pas encore palpables. Je dis que le gouvernement agit sans relâche et que nous sommes investis pour redresser la France et retrouver le chemin de l’emploi, en particulier dans ces quartiers.

Et puis, finir sur cette affaire qui bouscule la France. Vous avez été réalisatrice et vous êtes ministre. Vous avez obligatoirement un avis sur l’affaire Depardieu…

Gérard Depardieu est un immense acteur qui incarne la France. Il me semble que son comportement aujourd’hui est excessif et tragique. J’y vois le signe d’un grand mal-être et d’une profonde souffrance.

Est-ce-que vous avez le temps de suivre ce débat sur les salaires dans le cinéma ? Vous donnez raison à ce producteur de Wild Bunch qui a lancé le débat ?

Le cinéma français est une grande industrie dans notre pays. Effectivement, certains comédiens sont très bien payés mais ces mêmes comédiens rapportent beaucoup à la France. Dany Boon a rapporté 15 millions au CNC l’année dernière. Ces recettes sont reversées sur d’autres projets qui permettent la création de nouveaux emplois dans une catégorie souvent précaire. Il faut que la famille du cinéma se retrouve autour de la table pour en débattre, dans un climat apaisé.

Le cinéma vous manque ?

J’espère que je manque « un peu » au cinéma.

La vie de ministre vous inspire ?

Quand je vais en RDC,  je reste frappée par le témoignage d’une femme qui a fait tout le voyage du Nord-Kivu pour venir jusqu’à Kinshasa Je repars avec des choses dans la tête, je suis tétanisée. Et franchement, cette femme que j’ai vue, elle a incarné toutes les atrocités du Nord-Kivu. Son visage, je l’ai en tête. J’aurais aimé fixer son visage et son message pour le travail de mémoire.

Propos recueillis par Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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