De la viande de cheval dans les lasagnes Findus ? Du nanan pour Ramsès. Ni une ni deux, son tour du monde culinaire coiffe au poteau  la polémique équestre des plats préparés. Récit véridique.

Au Royaume-Uni, il y avait du cheval dans les lasagnes Findus. Du canasson roumain selon l’enquête, qui incrimine une entreprise française, chargée, entre autres, de la distribution du produit. En bref, un joli travail d’équipe et une belle crotte de nez à ceux qui se moquent des citoyens sans le sou, qui, comme moi, ne consomment que de la sous-marque sans voyelle sur l’emballage.

Ironie de la chose, j’ai appris la nouvelle aux infos, dans un kebab, avec Abder, mon compagnon d‘orgies alimentaires depuis l’été 1999. Tandis que plusieurs personnes attablées regardaient désormais leurs sandwiches avec méfiance, Abder et moi nous gaussions, car nous pensions exactement la même chose : avec tous les restos sur la liste noire de l’ONU que nous avons fréquentés, avoir consommé du cheval serait un moindre mal.

Fesses flasques, brioche saillante et mollets épilés, Abder, dit « Gigot », se lança dans une séquence nostalgie, ma foi émouvante. Un top 3 de nos pires mésaventures culinaires. Les souvenirs sont intacts. Nos corps respectifs beaucoup moins, évidemment. Il y a quelques jours, le médecin traitant d’Abder lui a d’ailleurs annoncé que son estomac était « niqué » (sic), le soupçonnant de consommer régulièrement du marcassin et du sconse. « Gigot » s’est contenté de lui lancer un énigmatique « c’est la vie que j’ai choisie doc ».

1- Paris, 2005. Je suis dans ma super 5 sans freins. Abder vient de se faire larguer par Martine, une étudiante en arts plastiques, que sa propre mère qualifie de « gogol ». Il me supplie de venir le chercher dans un endroit des Yvelines que je garderai secret. Affamés, nous succombons aux sirènes d’un kebab un peu glauque, mais en même temps, il est minuit.

Je demande au serveur une escalope, Abder un steak. Deux minutes plus tard, il nous ramène deux sandwiches identiques, de couleur bleu métallisé. Je veux protester, mais le voyant s’amuser à mettre ses mains sur la plaque chauffante et tirer la langue, je comprends que ce n’est pas forcément la bonne solution.

Un croc, puis deux et je lâche mon sandwich, qui a un goût de BN à la fraise. « Gigot » fait de même, en hurlant son désarroi : « Chef, je t’avais demandé un steak, pas une tarte aux poires ». N’importe quel individu avec un peu de bon sens aurait jeté cette merde. Nous, non. Nous avons tout mangé, parce que nous ne sommes qu’une paire de crevards.

Nous rentrons chez nous, complètement sonnés. Le lendemain, je me rends compte que j’ai changé. J’agis différemment et j’annonce à mes parents que je lâche la fac pour me lancer dans l’élevage de perdrix. Mon père m’a regardé quelques secondes, m’a tourné le dos avant de me mettre une petite patate dans le foie et de me pousser dans les escaliers de l’immeuble, en me jetant ma carte vitale. « Sale drogué, va faire une thalasso [une cure de désintoxication dans le langage paternel] »

2- Marseille, 2006. Je suis supporter de l’OM. Abder non, mais je l’ai traîné de force au stade Vélodrome. Après le match, nous rôdons comme des loups. Nous entrons dans un snack d’une saleté remarquable. Je tire « Gigot » par la manche, qui me rétorque, texto, « d’aller niquer ma race » parce qu’il ne peut plus attendre. Il opte pour un grec, moi pour un sandwich au poisson- toutes les viandes proposées avaient de l’acné.

Le sandwich est infect. Assis en face de nous, un vieil homme très laid, vêtu d’un pantalon en cuir et d’un débardeur en lin, hoche la tête, comme pour me faire comprendre que c’est à force de manger ici qu’il a fini dans cet état.

Tandis que j’entame la deuxième bouchée, je vois quelques cafards défiler sur le mur. J’alerte le patron, qui me dit que ce n’est pas du tout ce que je crois : « Ce sont des insectes dont j’ai oublié le nom mais qui se nourrissent exclusivement d’amandes, de pistaches et de crème fraiche. Ils sont plus propres que nous ».

J’essaye de lui expliquer que je sais quand même ce qu’est un cafard, mais il se braque : « Fais pas chier amigo, l’Homme n’est qu’un animal parmi d’autres, tu peux respecter ça ?  » Je jette tout à la poubelle, tandis qu’Abder finit tout. De retour à Paris, il m’envoie un texto pour me dire qu’il a besoin de faire le point. Je ne l’ai revu que six mois plus tard, amaigri et auteur d’un petit manuscrit, qu’il a intitulé sobrement « J’ai mangé de l’épervier ».

3- Le Kef, Tunisie, 2007. J’ai embarqué Abder avec moi en Tunisie. Sa mère lui a glissé des couches, une couverture en aluminium et le numéro de portable du boss « d’Europe Assistance » dans son sac, au cas où il serait victime d’un attentat au piment. Nous passons une soirée avec une dizaine de mes cousins. Nous enchaînons les cafés sucrés et les vannes de mauvais goût sur les génitrices des uns et des autres.

Abder a faim, mais il est plus d’1h du matin. Près des tavernes de la ville, un jeune homme prépare des sandwiches aux merguez. « Gigot » s’approche et lui en demande trois. La main du cuistot commence à trembler. Il lui demande s’il est sûr de sa requête. Abder s’énerve, alors, l’autre s’exécute. J’essaye de raisonner mon pote, lui faisant remarquer le caractère vert-kaki de la viande.

« Gigot » s’en moque. Il en ingurgite deux, puis s’écroule trois minutes plus tard en tentant de baisser son pantalon en catastrophe. Je charge l’un de mes cousins de le ramener à la maison et de le désinfecter, tandis que je retourne voir son bourreau, qui m’assure, mains noires et ingrédients posés à même un carton, qu’il respecte toutes les normes d’hygiène et de surcroît, qu’il m’emmerde.

Le ton monte. Il me sort un papier censé prouver la traçabilité de sa viande, comme un faux flic avec un faux mandat. Je découvre que son torchon est une pub pour du shampoing. Il craque : « Quoi, tu croyais qu’à 1h du matin, au milieu des ivrognes, j’allais te servir une escalope milanaise avec des pommes sautées? A une heure aussi tardive, Monsieur, on ne demande pas des comptes. Oui Monsieur, on mange et on se tait. »

Ramsès Kefi

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