De passage au Bondy Blog, Naima Charaï,  présidente de l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité a répondu aux questions d’Imane Youssfi. L’occasion de revenir sur la possible fusion entre l’ACSE et le SGCIV, voulu par François Lamy, le ministre de la ville. Verdict mardi 19 février.

Avant tout, parlons du budget de l’ACSE. Crise oblige, disposez-vous de marges de manœuvre suffisantes ?

Non, très clairement non.  C’est un budget qui vient en complément du droit commun. Aujourd’hui le ministre a engagé des conventionnements avec les grands ministères qui sont l’éducation, l’emploi, les affaires sociales, le droit des femmes etc. Je pense que c’est une bonne chose parce que le droit commun doit réinvestir les quartiers. En même temps il y a des efforts qui sont fait, sur les emplois d’avenirs (30% sont fléchés ZUS), dans l’éducation nationale (60 000 emplois vont être créés). Il y a quand même une dynamique qui est en train de s’installer et qui me semble intéressante. Mais la situation socioéconomique dans les quartiers reste très préoccupante.

Comment expliquer l’absence de représentants issus des différentes vagues migratoires dans des postes mieux placés que « chargés de missions » ou « animateurs de quartiers » ?

Je pense que nous n’avons pas pensé les politiques publiques pour le plus grand nombre. Les élus locaux constituent une liste, ils extraient un certains nombre de personnalité qu’ils ont repéré dans des associations, des centres sociaux ou je ne sais quoi et privilégient l’instrumentalisation d’un leader de quartier ou d’une ville plutôt qu’une stratégie collective. Je crois qu’il faut qu’on change un peu la donne,  qu’on se dote d’outils qui permettent au plus grand nombre d’accéder à des fonctions électives. Ces dernières décennies, on l’a vu sur les listes et j’en suis la principale bénéficiaire, c’est-à-dire que j’étais élue parce que je suis une femme issue de la diversité et que je dirigeais l’une des associations les plus en vue qui traitait des problématiques les plus compliquées. Il faut qu’on sorte de cette logique de parcours individuels. Je n’ai pas les solutions, c’est des choses qu’il faut que l’on travaille, à l’ACSE nous le faisons.

L’ACSE peut-elle promouvoir des gens qui pourraient avoir des responsabilités politiques ou doit-elle rester neutre ?

Je ne dis pas qu’il faut former des politiques. L’idée est d’accompagner le plus grand nombre  afin qu’ils prennent des responsabilités. Notre rôle est de faire émerger une élite, dans les quartiers et pas simplement une élite qui réussisse à l’école. Il nous faut des gens qui se sont distingués par rapport à un parcours associatif, professionnel et c’est surtout les mettre en réseau. Je crois surtout qu’il y a aussi une culture politique invisible pour les élites lorsqu’on arrive du monde associatif. L’idée c’est d’essayer d’accompagner ces acteurs et les mettre en lien avec les réseaux classiques de la création des élites françaises.

Le ministre de la ville parle d’un rapprochement de l’ACSE avec le SGCIV. Ce projet vous effraie ?

« Effrayer » n’est pas le terme, mais ça interroge. Cette institution a une histoire qui est ancrée dans celle de l’histoire de France et de l’histoire de l’immigration. Avant c’était le « Fonds d’action sociale », ensuite « le Fonds d’action social de lutte contre les discriminations ». Cette institution a toujours traité au plus près des territoires et des populations issues de l’immigration. C’est un fleuron du patrimoine des quartiers populaires. L’ACSE a évolué après 2005 notamment suite à la révolte sociale dans les banlieues et non pas suite aux émeutes, je n’utilise pas le terme émeute. Après le décès de Zyed et Bouna, les gouvernements en place ont souhaité que cette problématique de la politique de la ville et des banlieues soit traitée différemment. Cette agence, il faut qu’elle bouge, donc au fil des années elle s’est éloignée des habitants des quartiers, des associations, des territoires. Ce que j’ai souhaité dès que j’ai été nommée présidente, c’est qu’elle aille au devant des associations, des élus de quartiers, des territoires, des élus locaux pour qu’on soit en prise avec la réalité de terrain, donc ça je le concède et il faut qu’on avance sur ses questions-là. Sur le rapprochement avec une administration centrale, ça m’interroge parce que je considère que cette agence doit rester à l’image de la société française et très proche des quartiers populaires.

Y a-t-il un bras de fer avec le ministre de la ville ? Etes-vous en difficulté par rapport à un ministre qui a déjà une idée précise ?

J’ai une lettre de mission qui vient de l’Elysée. Dans cette lettre, il n’est pas question de la disparition de l’ACSE.

Le syndicat CFDT de l’agence parle de fusion, de disparition pure et simple de l’ACSE… 

Avec  le ministre,  il y a eu des discussions à ce sujet. J’ai une lettre de mission qui m’arrive de l’Elysée, donc pour moi ce n’est pas d’actualité.

Et si on vous dit que ça pourrait devenir d’actualité le 19 février ?

Si ça devient une question d’actualité, j’aviserai à ce moment-là, mais là je le dis très clairement, je refuse que la politique de la ville soit portée par une administration centrale très éloignée de la vie quotidienne des quartiers.

Ce serait quand même incroyable que ce soit un ministre PS qui solde les comptes de l’ACSE, non ?

Je ne l’envisage pas et si ça devait être le cas, je prendrai mes responsabilités. Parce que je ne serai pas la liquidatrice de cette agence qui est utile d’abord aux habitants des quartiers. Et si on veut mettre en place une réforme, il faut qu’elle soit utile aux habitants. L’idée de vouloir regrouper, faire de la mécanique, de l’outillage, ne m’intéresse pas. Ça c’est le travail des fonctionnaires, ce n’est pas mon rôle en tant que présidente de l’agence. Le mien est d’essayer de comprendre les problématiques des habitants de banlieue. Je souhaite répondre à la promotion de l’image de la diversité dans les médias, de l’histoire et de la mémoire, la question de l’emploi, du chômage, l’accompagnement des familles lorsqu’elles sont en grande précarité pour éduquer leurs enfants. Voilà, mes chantiers.

Tous ces sujets seront sans doute pris en compte dans la nouvelle configuration ?

Ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons, discutons souvent ensemble, on échange avec le ministre. Nous, on est là, au service du ministre de la ville, mais c’est aussi mon rôle de dire à ma tutelle quand je pense que la réforme ne va pas dans le sens des habitants des quartiers et  de le dire ouvertement.

Cette volonté de fusionner l’ACSE avec une autre administration cache quelque chose. Que reproche-t-on à l’ACSE ?

On a tendance à penser que l’Etat peut tout et que pour mettre en œuvre une politique publique, il faut un Etat fort, parfois même jacobin. Je pense très sincèrement que pour la politique de la ville, il faut plutôt un Etat territorial et une agence souple qui puisse discuter avec les acteurs de terrain pour faire des propositions assez rapide. L’idée d’une fusion SGCIV-ACSE, c’est une manière aussi de supprimer le lien avec les associations qui garantissait une certaine autonomie et une impartialité. Cette agence qui a existé sous toutes les couleurs politiques s’appuie sur la notion de projets. Les associations en tant que partenaires ne sont pas tenues par le politique.

Lorsque deux entités se rapprochent, il y a toujours des dégâts…

Non, de toute façon la fusion ne se fera pas cette année, et ce n’est pas en terme de fusion que parle le ministre, mais en terme de rapprochement. C’est vrai qu’il faut nuancer… On s’est rapproché de l’ANRU en termes de conventionnement et chacun garde sa spécificité. Donc rapprochement n’est pas fusion, ce n’est pas tout à fait la même chose.

Les associations souffrent financièrement dans les quartiers, si demain elles apprennent la fusion de l’ACSE…

C’est une inquiétude que je partage. Demain une association qui traitera avec une administration centrale, je ne suis pas sûre qu’elle ait la même écoute qu’avec une agence représentative de la société Française et qui est plus proche des problématiques des habitants de quartiers. C’est une question que je me pose.

Un dernier mot sur les espoirs suscités dans les quartiers après l’élection présidentielle… 

Peut mieux faire ! En même temps, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 22 % des personnes qui habitent des quartiers populaires sont au chômage, 25% de familles monoparentales, pour une classe d’âge le taux de chômage peut aller jusqu’à 45% sur certains quartiers. Ce que j’espère, et je pense que ça va dans le sens de la volonté gouvernementale et celle du Président de la République, c’est de lutter contre le chômage et de faire accéder à l’emploi l’ensemble des Français et aussi des habitants des quartiers avec des fléchages prioritaires pour les emplois d’avenir, il va y avoir également les contrats de génération. Il y a des choses qui arrivent dans les prochains mois. Ce que je souhaite, c’est une société plus égale et que les habitants des banlieues ne soient pas mis au banc de la société, mais partie intégrante de la société française. Parce que ce n’est pas un enjeu seulement de la banlieue mais de la cohésion sociale et nationale. Donc, mon souhait, c’est davantage d’égalité pour les quartiers.

Propos recueillis par Imane Youssfi

 

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