A Montreuil, il est possible de dormir dans une chambre d’hôtes située au cœur d’un campement Rom.  Un très bon moyen de découvrir leur culture. Et se délester de tous ses préjugés. Plongée au coeur d’un campement, à la rencontre d’Alex et de sa femme Rada.

Il est 20 heures ce samedi 16 février 2013 lorsque j’arrive devant  l’entrée du campement. Un jeune homme avenant, béret vissé sur la tête, jean et caban noir, vient à ma rencontre d’un pas assuré. C’est Alex, le chef du camp, jeune roumain de 29 ans.  Après les premières présentations,  nous nous introduisons dans le camp. La nuit est déjà tombée, et il est difficile de me faire une idée des lieux.  Nous marchons dans les sombres allées, et nous croisons quelques Roms qui nous saluent. Puis nous pénétrons dans le cabanon qui m’accueillera pour la nuit. La pièce est spacieuse, propre et bien rangée. Et il y fait très chaud. Je ne dormirai pas dans les mêmes conditions que les autres habitants du camp, car Alex a doté la chambre d’un radiateur électrique, un vrai luxe ici. Une jeune femme très souriante rentre dans la pièce. C’est Rada, la compagne d’Alex.  Elle est vêtue d’une jupe longue aux imprimés léopards et d’un haut assorti. Ses longs cheveux bruns sont recouverts par un foulard.

« Nous les Roms, on est des fous ! »

Nous nous installons sur les confortables canapés. Tout de suite, leur accueil est chaleureux.  Alex ouvre une bouteille de rouge et nous trinquons à notre rencontre.  Je déballe ce que j’ai apporté  pour la communauté.  Jeux de société pour les enfants, serviettes de bains, manteau. Mais ce qui intéresse particulièrement la femme d’Alex, ce sont les produits de beauté que j’ai ramenés : échantillons de crème, de parfum, vernis à ongles. De tous les cosmétiques, c’est  le aker, un rouge à lèvre traditionnel berbère, qui remporte le plus de succès auprès de la jeune roumaine. Elle n’avait jamais rien vu de tel. Vouloir se sentir belle et féminine n’est pas l’apanage des riches.  Après la gêne mutuelle passée, les langues se délient et nous discutons de nos vies. Alex et Rada sont des Roms de Roumanie, originaires d’une ville de l’ouest, à la frontière avec la Hongrie.  Ces deux-là sont amants depuis quelques années déjà.  Rada a quitté son mari pour Alex.  Ce dernier était déjà séparé de son épouse qui était sa cousine. « Il est fréquent chez nous de se marier avec des membres de sa famille » m’explique-t-il. Et il plaisante : « Nous, les Roms, on est des fous ! » Alex a une fille de 5 ans qui vit sur place. Rada, quant à elle, a laissé ses deux enfants à la garde de sa mère, là-bas, en Roumanie.

La vie dans le camp

Dans le campement vivent huit familles. Chacune d’elle vit dans son propre baraquement de fortune. Toute la fratrie d’Alex vit en France, excepté l’une de ses sœurs qui est domiciliée en Angleterre. Seuls quelques oncles et tantes vivent encore au pays. C’est pour les voir qu’il retourne plusieurs fois par an en Roumanie.

En 2010, grâce à l’association Ecodrom 93, ces Roms menacés d’expulsions ont obtenu de la mairie ce terrain. En retour, ces derniers cultivent fruits et légumes sur ce lopin de terre.  Les hommes sont également ferrailleurs. Chaque matin, ils partent récupérer de la ferraille qu’ils démembrent et revendent. C’est un travail très dur, mais qui permet de survivre. Les femmes font la manche, s’attèlent à garder le camp propre et à s’occuper des repas. Dans le camp, il y a école trois fois par semaine.  Les adultes y apprennent les rudiments de la langue française, tandis que les enfants, qui sont tous scolarisés à Montreuil, obtiennent une aide aux devoirs.

Depuis, d’autres projets ont vu le jour au sein du campement. Il y a l’atelier Eco fer et Vélo d’rom. Le premier consiste à réaliser des objets de toutes sortes à partir de matériaux de récupération que les Roms vendront au profit de la communauté. Le second atelier répare les vélos des habitants de Montreuil. Ici, on ne chôme pas pour s’en sortir.

« C’est vrai qu’il y a des problèmes avec certains Roms »

Nous entamons une discussion sur la stigmatisation des Roms. Je leur fait part de mon choc lorsque j’ai découvert les nombreux commentaires racistes à leur égard que l’on trouve sur le web. Alex n’est pas surpris et il analyse : « C’est vrai qu’il y a des problèmes avec certains Roms, je le vois bien moi aussi à la télévision, le problème c’est qu’on est ensuite tous mis dans le même sac. » Nous sommes tous deux d’accord pour critiquer certains médias qui font de nombreux amalgames envers les Roms, et qui par conséquent, influencent le point de vue des Français. Savez-vous qu’il y aurait en France 500 000 Roms totalement intégrés, et que seuls 15 à 20 000 d’entre eux vivraient dans les bidonvilles ? Et qu’ils ne sont plus des gens du voyage depuis déjà plusieurs générations ? De nombreux exemples démontrent la désinformation ambiante sur cette communauté. Alex ajoute que depuis l’élection de Hollande, rien n’a changé. Lors de sa campagne présidentielle, il avait pourtant critiqué les expulsions forcées et avait promis que s’il était élu, il n’y aurait plus d’expulsion sans solution de relogement. Selon de nombreuses associations pourtant, tout se déroule exactement comme sous la présidence Sarkozy. Je souhaite savoir s’ils seraient heureux qu’on leur propose un vrai logement. Cette fois, c’est Rada qui s’exprime : « Nous sommes bien ici, et dans un appartement, nous ne pourrions pas entreposer la ferraille qui nous permet de travailler ».

Dans le campement, il n’y a pas l’eau courante.

A 22 heures, Alex tire sa révérence. Il m’explique qu’il  doit partir acheter une voiture avec son cousin. Rada me tiendra compagnie pour la fin de la soirée. Elle me prépare un repas simple mais savoureux à base de pomme de terre à l’eau et de poulet. Nous continuons à discuter devant l’écran de télévision. En zappant, nous tombons sur le film Titanic de James Cameron. Le film est en version originale, sous-titré en roumain.  Rada semble enjouée : « J’adore ce film, la première fois que je l’ai vu, j’ai pleuré ! »  Elle m’affirme que Léonardo DiCaprio a eu comme petite amie une mannequin Roumaine du nom de Madalina Ghenea. On regarde des photos d’elle sur mon smartphone. « Elle est si belle », marmonne-t-elle. On papote entre filles et ce moment d’intimité m’est très agréable. Nous avons le même âge, vivons dans le même pays et nos vies sont pourtant tellement différentes. Elle se confie à moi et m’explique qu’elle ne peut plus avoir d’enfant, et que cela la rend très triste. Elle me raconte une histoire qui me fait froid dans le dos. Lorsqu’elle vivait encore en Roumanie, un médecin lui aurait ligaturé les trompes sans lui demander son avis. J’en reste sans voix. Il est tard et Rada part se coucher. Avant de me quitter, elle me prépare une bassine remplie d’eau. « Pour se laver demain », me dit-elle. Et me précise que c’est de l’eau de pluie. Dans le campement, il n’y a pas l’eau courante.

La nuit est rude

Extinction des feux. Je m’allonge sur le lit, la télévision toujours allumée. A la lumière du petit écran, j’aperçois avec horreur des cafards sur les murs. Je vais devoir prendre sur moi car j’éprouve une véritable aversion pour ces sales bêtes. La nuit est rude. Et j’ai froid. Mais je ne me résous pas à rallumer le chauffage. La peur de l’incendie. Ma décision de l’éteindre a été prise, lorsque, deux heures plus tôt, Alex a allumé sa clope avec ledit radiateur. J’ai du mal à fermer l’œil. Et je pense à Alex et sa femme.  Dans quelques heures, je rentrerai bien au chaud dans mon bel appartement bien chauffé où je pourrai prendre un bon bain. Tandis qu’Alex et Rada continueront leur vie ici. Ma vie de privilégiée me saute aux yeux. Une bestiole non identifiée s’acharne sur moi toute la nuit durant, sans répit. Aucune partie de mon corps n’est  épargnée. Me voilà couverte d’affreux boutons rouges qui démangent. Je prie pour que ce criminel ne soit pas un cafard.

Le lendemain, 9 heures, Alex me réveille et nous nous installons autour de la table pour boire le café. Il s’excuse de ne pas m’avoir proposé hier soir la țuică, boisson traditionnelle roumaine, et me propose donc un verre. A cette heure matinale, ma raison me souffle qu’il faut décliner l’offre, mais je n’ai pas le cœur de refuser et l’occasion  ne se représentera pas de sitôt. Avec un degré d’alcool de 40% tout de  même, la première gorgée sera la dernière.

« La vie n’est pas facile pour nous »

Il m’invite ensuite dans son logement, qui fait également office de salle de classe. Dans la pièce se trouve déjà trois personnes. Alex me montre le poêle à bois qu’il a confectionné à l’intérieur de sa maisonnette. Un mode de chauffage bien dangereux à l’origine de graves pathologies respiratoires mais également d’incendies. Nous nous installons autour du poêle. Leur ayant dit que j’étais pharmacienne, chacun  m’expose ses maux. Il semble qu’ici, personne ne respire la santé. Les uns souffrent du dos, des oreilles, d’autres ont des infections urinaires à répétition… Tous ont des douleurs dentaires difficiles à supporter. Alex me raconte qu’il s’est fait arracher des dents la semaine dernière et qu’il  va malheureusement devoir attendre pour les remplacer. Se faire poser des implants coûte beaucoup trop cher pour lui. Il m’apporte les boîtes de médicaments qu’il prend contre ses douleurs et me demande si je peux lui procurer « quelque chose de plus fort ». Je suis affolée lorsqu’il me dit à quelle fréquence il avale le Codoliprane®, un antalgique  à base de paracétamol et de codéine. Je lui explique les dangers de la surmédicamentation  mais il me rétorque qu’il faut bien qu’il soulage sa souffrance. Je me sens un peu démunie.  « La vie n’est pas facile pour nous », conclut Alex.

Avant que je ne parte, Alex souhaite  me faire découvrir comment se déroule un mariage chez les Roms. Il a justement  un DVD du mariage de sa sœur.  Il semble heureux de me faire partager ses coutumes et se fait un plaisir de m’expliquer  toutes les traditions que je ne connais pas et qui défilent sous mes yeux. L’heure de les quitter est arrivée. Ils m’invitent à rester déjeuner avec eux. Leur générosité et leur accueil me vont droit au cœur. Je dois pourtant m’en aller. Ils me demandent déjà quand je reviendrai leur dire bonjour. Très vite, c’est sûr.

 

Aurore Gérin

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