BEST-OF. Le ministre de l’Education nationale a présenté lundi une charte de la laïcité à l’école en quinze points. Le but : rappeler les valeurs de la République aux élèves et à leurs enseignants. Mais une valeur semble avoir été oubliée au passage…

Cher élève en difficulté,

Ce texte s’adresse à toi. Si tu es décrocheur, si tu es en situation d’illettrisme, si tu es en attente d’un remplacement de professeur porté disparu ou si tu as juste quelques lacunes, mais que ta classe surchargée ne permet pas d’avancer, ce texte est pour toi. Tu es sûrement né en zone urbaine sensible, ou tu y as grandi. Dans ton établissement, il y a environ 12% de professeurs agrégés, quand dans Paris il y en a plus de 24%. Si tu es en zone d’éducation prioritaire, tu ne comprends sûrement pas pourquoi toi et tes camarades coûtez environ 2 860 euros par an à l’Etat quand tes concitoyens parisiens coûtent presque 3 200 euros.

Et bien, sache que désormais, tu es la priorité du gouvernement. Toi, bombe à retardement, qui sera exclu du système scolaire d’ici peu, noyé dans le flux de gosses bien nés, écrasé par la foule d’enfants à qui on aura prodigué tous les codes pour réussir haut la main pendant qu’on t’aura craché dessus. Toi, gosse de pauvres, tu pourras désormais compter sur les 15 commandements de la laïcité. Grâce à la nouvelle bible de la sacro-sainte laïcité, ta vie va changer. Si tu fais partie des 9% de jeunes scolarisés illettrés, tu pourras apprendre à lire grâce à cette charte. Si tu fais partie de ces nombreuses classes dont les professeurs ne sont pas remplacés, tu pourras passer le temps grâce à cette charte. Si tu es en primaire et que tu ne sais pas compter, tu pourras compter les mots de cette charte. Et si tu as peur parce que dans ton lycée il n’y a pas assez de surveillants pour t’aider, tu pourras toujours te cacher derrière cette charte. Par contre, si tu veux des cours avec plus de professeurs agrégés, si tu veux plus de temps avec ton professeur pour mieux comprendre, si tu veux plus de sorties culturelles, être mieux informé pour ton orientation, demande à tes parents de t’inscrire dans une autre école, car l’école de la République ne peut rien pour toi.

Cher Ministre de l’Education nationale,

Si vous lisez ces quelques lignes, sachez que j’ai honte. J’ai honte pour ce pays depuis qu’il répond à « liberté, égalité, fraternité » par « laïcité ». C’était le cas pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, c’est toujours le cas aujourd’hui. J’ai honte de voir que vous participez à poser les jalons du mauvais côté du débat. Celui qui vise encore et toujours la même partie de la population. Celui qui tourne autour de ce que mettent les musulmans sur leur tête, ou dans leur bouche. J’ai honte pour ma profession aussi, qui à chaque communiqué tombe dans votre piège de la communication politique. Sans décryptage, sans questionnement, sans critique. J’ai honte de voir qu’un ministre de l’Education nationale ne connait pas les vrais problèmes de l’école. Les vrais enjeux de l’éducation. « Ouvrir une école c’est fermer une prison » disait Victor Hugo. Je vois malheureusement les portes de l’avenir se fermer avec vous. Vous prétendez vouloir enseigner le vivre-ensemble, mais ne comprenez pas que nous avons toujours vécu ensemble, et que c’est vous, les élites, qui vivez sans nous. En ce qui me concerne, j’ai grandi en banlieue, j’ai été scolarisée en ZEP, et, comme tous les élèves de ZEP, j’ai subi des mois et des mois d’absence de professeur. Parfois même des années. J’ai été dans des classes surchargées, avec des profs fatigués et des élèves difficiles. J’ai eu des camarades de classes voilées. L’une d’elles, aujourd’hui médecin, a eu un bac scientifique, option SVT. Mais nous n’avons pas tous été aussi brillants. Et ce n’est que tardivement qu’on se rend compte que l’on n’a pas eu les mêmes chances que les autres. Un élève de ZEP sur trois sort du système scolaire sans aucun diplôme. Deux fois plus que dans Paris.

Combien de mes camarades sont allés en prépa ? Combien ont intégré des grandes écoles, réussi des concours ? Très peu. Combien, après cinq années d’études à l’université se sont retrouvés au chômage ? Beaucoup. Est-ce cela votre réponse à ces jeunes que vous avez délaissés ? Une charte sur la laïcité ? J’ai honte Monsieur, de voir le mépris avec lequel vous traitez ces élèves. J’ai honte parce que j’ai participé à votre présence au poste que vous occupez aujourd’hui. J’ai honte et je me demande, si  dans un souci d’égalité, de fraternité et de laïcité, vous accepteriez de montrer l’exemple en scolarisant vos enfants ici, en zone d’éducation prioritaire. Nous savons tous que vous ne le ferez pas, vos enfants ne sont pas des cobayes. Mais il serait grand temps de comprendre que les cobayes ne doivent plus être les nôtres !

Widad Ketfi

Publié le 10 septembre 2013

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