Par peur du futur ou conformisme bourgeois, le quotidien Libération a boudé la proposition faite par ses actionnaires de suivre le chemin de l’avenir. Actionnaires de Libé, venez au Bondy Blog !

Contrairement à toutes les rédactions parisiennes, le Bondy Blog embrasse avec enthousiasme le projet que refuse la rédaction de Libération. Tout, dans le projet proposé par les actionnaires, nous parle, à l’approche du dixième anniversaire de notre expérimentation unique en Europe.

Les actionnaires de Libération ont proposé aux journalistes de ce titre un projet qui fut reçu, c’est le moins qu’on puisse dire, avec dédain. « Foutage de gueule » que de vouloir intégrer à Libé un restaurant, un incubateur de start-up, un réseau social, une rédaction digitale, un espace culturel, un plateau télé, un bar ?

Des expériences similaires sont en cours à El Pais et au Guardian. Les experts nous disent que les modèles économiques de la presse traditionnelle sont caduques, que le secteur traverse une décomposition sans précédent, que le journalisme ne peut plus se pratiquer de la même manière dans une société connectée, à l’heure de l’info en continu et de l’infobésité gratuite. En cinq ans, la diffusion de journaux (quotidiens, hebdo, mensuels) a baissé de 25% en Europe. La société des écrans prendra le dessus dans les dix ans à venir. Mais s’adapter aux nouvelles situations pour les journalistes ne veut pas dire se délester des fondamentaux du métier.

A la rédaction du Bondy Blog, en lisant Libé du 8 février, ce fut la consternation. Non pas pour se joindre aux larmes de nos infortunés confrères parisiens, mais parce que le projet des actionnaires nous est immédiatement apparu comme étant LA bonne idée, LA chose à faire pour assurer la pérennité et la renommée de Libération. Un rêve éveillé que ce journal multiforme, ouvert sur la cité, laboratoire de toutes les idées, berceau de tous les projets. Nous nous retrouvons, en effet, dans cette stratégie qui irrigue l’expérience du Bondy Blog depuis novembre 2005. Bien plus qu’un média, nous sommes un acteur de la cité, une place publique médiatique où se croisent tous les chemins de l’expression citoyenne, dans le territoire le plus jeune de France, avec le plus fort taux de jeunes au chômage, avec le plus d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté. Un département quadrillé politiquement par quelques apparatchiks et une abstention électorale gravissime.

Le Bondy Blog a été créé par des journalistes suisses dans un hôtel de passe sur la Nationale 3. Il a ensuite déménagé dans le local crasseux d’un club de foot de la cité Blanqui, à Bondy Sud, puis dans une salle prêtée par la mairie au centre Georges Brassens, pas loin du KFC et de la frontière de Bondy Nord. La conférence hebdomadaire de rédaction avait lieu en même temps qu’un cours de percussions africaines, dans la salle d’à côté. Depuis, il est mieux installé, toujours à Bondy, grâce notamment à une alliance avec l’ESJ Lille. Cependant, c’est dans ces conditions précaires, avec des blogueurs payés au lance-pierre, des volontaires et des encadrants au SMIC que s’est incarnée une des expériences françaises les plus abouties de journalisme citoyen et de nouveau journalisme. En neuf ans, le Bondy Blog a formé et fourni des talents à plusieurs rédactions nationales, fourmille de projets et anime aujourd’hui une émission politique sur LCP et FranceÔ dans laquelle ont été invités la plupart des ténors de la droite et de la gauche. Il est incontestablement devenu une référence du journalisme collaboratif, un partenaire crédible pour des grands médias et des institutions publiques.

Alors pensez un instant au plaisir, au tremplin que cela serait de faire tout ça dans un immeuble dessiné par Philippe Stark, entouré de start-upper, de think-tankers, de développeurs et d’innovateurs ! De faire de ce quartier the place to be, loin des salons des quartiers chics saturés de certitudes, pour gommer les frontières et les idées reçues, pour créer les conditions et attirer ainsi le tout Paris politique, économique et culturel.

Le fait est que cet immeuble existe – ou plutôt peut exister. Sur la place de la Gare, à Bondy, à douze minutes de RER de la Gare du Nord, la mairie songe à ériger une « cité des médias » sur un terrain actuellement vague. Il nous paraît évident que le journalisme doit aujourd’hui franchir le périphérique, se mélanger à la diversité ambiante qui attend son heure depuis le démantèlement des industries de la couronne parisienne dans les années 1980 et découvrir de nouveaux horizons, loin des beaux quartiers muséifiés, loin du boboland, loin des privilèges acquis, pour reprendre le fil de l’histoire de Libé : baigner au milieu des rêves d’émancipation des classes populaires.

Aussi lançons-nous un appel aux actionnaires de Libération de faire un pas de côté, de sortir des sentiers battus, d’oser accompagner le déplacement du centre de gravité de la capitale vers la périphérie. Bienvenue aussi aux journalistes de Libé s’ils comprennent que leur journalisme pourrait vite se retrouver sans objet maintenant que le public s’informe autrement, s’ils comprennent qu’il faut réinventer leur métier, conquérir de nouveaux territoires et tester de nouvelles narrations, bref s’ils acceptent de vivre une expérience unique en son genre dans une « cité des médias » qui va rapidement devenir le centre névralgique de la Seine-Saint-Denis. Car c’est bien dans le 93 qu’il faut créer un nouveau quartier latin, pour libérer l’énergie de la banlieue et l’unir à celle qui reste dans la capitale. Bondy, c’est l’avenir de Libé.

Nordine Nabili

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