MUNICIPALES 2014. Les élections municipales sont une des occasions pour les membres de la société civile de faire bouger les lignes ou au moins d’essayer. Telle est l’intention des deux jeunes têtes de listes rencontrés à Bordeaux et Pessac. 

A Bordeaux et à Pessac, nous retrouvons Sofiane Kherarfa et Naji Yahmdi. Sofiane, de mère biélorusse et de père algérien, est le benjamin des colistiers de Vincent Feltesse, candidat PS aux municipales de Bordeaux. Il a 20 ans. L’âge de la fougue, l’âge des idéaux exacerbés. Naji est l’un des colistiers de Franck Raynal, candidat d’une liste d’union UDI-UMP-Modem à Pessac, commune voisine de Bordeaux. Lui a 33 ans. L’âge où l’expérience et la sagesse permettent de dépassionner, l’âge de la modération peut-être.

Pourtant, changer les choses, c’est ce que lui, avec d’autres, souhaite depuis 20 ans à Pessac. Jusqu’aujourd’hui sans succès. Il nous reçoit près de chez lui, en bas des tours. Loin d’être dépassionné et plus modéré comme on pourrait s’y attendre, il enchaîne les arguments et fait de grands gestes avec les mains, comme s’il s’était contenu trop longtemps. Le soleil est au rendez-vous, deux jeunes commencent un foot derrière nous, après l’avoir salué. Un jeans, des baskets et Naji Yahmdi l’a, cette fougue des 20 ans. Le regard planté sur nous, il est sûr de lui.

« La droite de Juppé, pas celle de Copé »

BordeauxBordeauxIl explique sa présence sur la liste UMP-Modem-UDI par un ras-le-bol des habitants de ces quartiers au cœur desquels il a grandi et où il vit encore. Dans cette ville, bastion socialiste, ils en ont marre du « paternalisme, de l’assistanat » auxquels les responsables municipaux les renvoient. Ici, les habitants ne veulent plus n’être « bons qu’à faire du thé à la menthe et leurs mères du couscous ». Alors, coûte que coûte, l’heure est à l’action et à la prise de conscience.

« Il faut voir quelles relations ils ont avec les populations qui sont dans les quartiers, ils nous voient comme des gens incapables en nous tapant sur l’épaule et en disant : ne vous inquiétez pas on va s’occuper de vous. Mais nous on dit stop. Quand on était jeunes, ça marchait d’acheter la paix sociale, on allait au ski, trois-quatre fois par an mais on s’est réveillés, y’a des jeunes, ils font du hors piste sans problème, mais ils n’ont toujours pas de boulot ».

Ces municipales marquent donc un tournant. « Cette année, on voulait exister. C’est pas normal, nous représentons un quart de la population pessacaise et nous n’existons nulle part », estime Naji Yahmdi. Il confie s’être engagé auprès du candidat qui a écouté et pris en compte ce qu’il avait à dire et qui lui a donné une place significative sur sa liste. Ainsi, en cas de victoire, il sera l’adjoint chargé de la politique de la ville. Et peu importe que ce soit sur une liste UMP ou PS, puisque Naji et Mourad – un autre habitant du quartier qui soutient la démarche, estiment tous les deux que « la droite et la gauche c’est la même chose » alors « quitte à servir à quelqu’un, mieux vaut servir en recevant quelque chose ».

Confiant, il reprend : « l’UMP est une machine de guerre, je vois pas pourquoi on s’en servirait pas ! ». Pour autant, le colistier s’efforce de rappeler qu’à Bordeaux, la droite d’Alain Juppé et du candidat UMP de Pessac n’est pas celle de Jean-François Copé, « on ne peut pas mélanger la droite au niveau local et la droite au niveau national. Peut-être qu’en banlieue parisienne c’est comme ça mais, ici, la politique nationale n’a pas d’emprise ». Naji balaie d’un revers de la main toute « logique de partis » qu’il estime disparue, assurant que « les valeurs de gauche n’appartiennent pas au PS ».

L’utopie concrète de la gauche

PessacA quelques kilomètres de là dans Bordeaux, en terrasse du café Utopia, Sofiane Kherarfa n’est pas d’accord. Il voit une vraie différence entre la gauche et la droite à Bordeaux et ne croit pas en cette droite sociale dont Alain Juppé serait le tenant. Un manteau vert à fourrure sur les épaules, son allure est beaucoup plus mesurée, le discours est prudent. « Comme les grands », il s’assure de bien distinguer ce qui est du « off » et ce qui ne l’est pas.

Le style est donc radicalement différent. La fougue que l’on attendrait n’est pas là. Les mots pesés, calibrés, sont presque ceux de l’analyste froid. Ce membre du MJS ne justifie sa présence sur la liste que parce que, contrairement à Naji Yahmdi, il estime qu’avec Vincent Feltesse, une nouvelle manière de faire de la politique est en train d’émerger, plus jeune, plus dynamique, plus participative car « il ne clive pas culturellement ».

Il cite d’abord en exemple la construction du pont Jean-Jacques Bosc, vaste projet de près 120 millions d’euros, initié par Vincent Feltesse en 2013. Le pont, qui enjambera la Garonne entre Bègles et Floirac, sera terminé pour 2018. Il explique que le président de la CUB a voulu associer les administrés de chaque commune à ce projet en mettant en place des comités pour qu’ils puissent donner leur avis. « Les architectes, les ingénieurs vont faire en fonction de ce que les gens veulent vraiment ».

Il salue la posture de Vincent Feltesse sur ce projet car il considère comme particulièrement important le fait que « le politique et le président de la CUB » puissent avoir « la même voix et le même poids politique que le citoyen lambda ». Une véritable action de concertation au sein de la CUB donc. Le café dans lequel nous nous trouvons semble bien porter son nom puisque Sofiane parle « d’utopie concrète » pour Bordeaux. Il a également particulièrement apprécié le fait que Vincent Feltesse ait accepté d’insérer dans son programme plusieurs des propositions avancées par tout un mouvement de jeunes dont Sofiane fait partie.

Dans leurs choix respectifs, dans leur rapport à la politique, tout se passe comme si deux vies, deux voix avaient été échangées. Le même humanisme les anime mais le rapport à la politique creuse un véritable écart. Les portraits croisés d’un jeune de 20 ans avec un discours déjà policé et très institutionnel, et d’un homme plus mûr aux propos pourtant singulièrement enflammés. Bordeaux et ses banlieues ou comment la campagne se fait parfois à fronts renversés.

Certains aiment à voir dans cet effacement des frontières entre UMP et PS une forme de recul des idéologies en France, au profit d’un peu plus de pragmatisme peut-être, du moins à l’échelon municipal. Au-delà de l’étiquette, on chercherait enfin l’action, à rebours des logiques partisanes, on choisirait plutôt l’homme. A raison ou à tort, chacun semble tracer sa route à l’image de Sofiane Kherarfa ou de Naji Yahmdi et qu’importe après tout les logiques partisanes si l’espoir de faire bouger les lignes reste le véritable moteur.

Anne-Cécile Demulsant et Latifa Oulkhouir

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