Le collectif Délinquants Solidaires a organisé le 9 février un rassemblement Place de la République à Paris, pour dénoncer le délit de solidarité. Des bénévoles poursuivis en justice pour aide aux réfugiés ont pris la parole devant une centaine de personnes. Un rassemblement organisé la veille de la condamnation par Cédric Herrou à 3 000 euros d’amende pour aide à l’entrée et au séjour d’étrangers en situation irrégulière.

La date de leur rassemblement n’a pas été choisie au hasard. La veille, se tenait le procès de Jean-Luc Munro, conseiller municipal écologiste à Loos (59), membre du Comité Citoyen Loossois agissant auprès des Roms, poursuivi pour avoir percuté un agent de police avec son vélo, soit une « violence à agent dépositaire de l’autorité publique avec arme par destination« . L’arme est donc le vélo sur lequel il était pour se rendre dans un campement de Roms où une opération policière était en cours. Le 9 février, c’était aussi la veille du délibéré dans le procès de Cédric Herrou. Cet agriculteur, membre d’un collectif qui aide les migrants à passer par la vallée de la Roya, près de Vintimille en Italie, était poursuivi pour aide à l’entrée et au séjour d’étrangers en situation irrégulière. Il a écopé ce 10 février d’une amende de 3 000 euros.

Pour lutter contre cette répression de la solidarité, plus de 350 organisations associatives, syndicales, nationales et locales, se sont regroupées dans le collectif baptisé Délinquants Solidaires. Leur slogan ? « Si la solidarité avec les étrangers est un délit, alors nous sommes tous délinquants ». Des associations signataires d’un manifeste publié le 12 janvier 2017 étaient présentes ce jeudi place de la République à Paris : parmi elles, Attac, la Cimade, Emmaüs, RESF (Réseau Éducation sans Frontières), la LDH (Ligue des Droits de l’Homme). D’autres rassemblements étaient organisés en province, par une multitude de collectifs locaux.

Emprisonnement de cinq ans et amende de 30 000 euros

Lise Faron, une des organisatrices du rassemblement.

« Depuis deux ans, on est face à une vraie recrudescence des poursuites, explique Lise Faron, une des organisatrices de l’évènement. On a plus d’une vingtaine de cas. Pour la moitié, ce sont les articles du Ceseda qui sont utilisés« . Le Ceseda est le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Son article 622-1 punit d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros, toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France. « Il y a aussi des cas de poursuites pour violence sur personne dépositaire de l’autorité publique, entrave à la circulation dans un aéronef, précise Lise Faron. Tout ça, c’est un même mouvement de mise en cause de la solidarité. C’est extrêmement important de dénoncer ça, pour demander que la solidarité soit une valeur mise en avant, une valeur positive. Au delà de ça, c’est aussi pour demander à l’Etat d’assumer ses missions, d’aider les personnes qui ont besoin d’hébergement, d’accompagnement.« 

« La France est connue mondialement pour être le pays des Droits de l’Homme. Pourtant les gens sont attaqués au nom de leur humanité« 

Des bénévoles poursuivis ont pris la parole pour exposer leur situation judiciaire. Ils ont été relaxés, condamnés ou sont en attente de leur jugement. Parmi eux, Léopold Jacquens, en procédure judiciaire depuis 2011, pour avoir signé des attestations de logement.

Prise de parole de d'Houssam, Aubépine et Mohamed.

Prise de parole d’Houssam, Aubépine et Mohamed.

Mais aussi Aubépine Dahan et Houssam El Assimi, membres du Collectif Parisien de Soutiens aux Réfugiés et de Chapelle Debout, poursuivis puis relaxés pour l’organisation en août dernier d’une manifestation illicite contre les violences policières envers les réfugiés. « Il y a eu une rafle tous les trois jours pendant tout l’été. La police nasse, trie les gens sur le trottoir, avant d’en embarquer une centaine au commissariat. 4 500 arrestations, 450 OQTF (ndlr, obligation de quitter le territoire français), des rétentions administratives, des expulsions, y compris dans des zones de guerre, au Soudan et en Afghanistan, relate Aubépine. L’objectif en punissant la solidarité, c’est d’empêcher le débat, c’est de nous occuper à préparer notre défense, c’est d’empêcher la formation de communautés entre les citoyens, les sans-papiers, les personnes exilées. » Aubépine et Houssam sont accompagnés d’un exilé, Mohamed. Il interpelle l’assemblée en langue arabe. Houssam rappelle le besoin d’arabophones à leurs côtés avant de traduire : « La France est connue mondialement pour être le pays des Droits de l’Homme. Pourtant les gens sont attaqués au nom de leur humanité« . Mohamed insiste sur le rôle de toutes ces associations qui habillent, donnent à manger, et la chose la plus importante à ses yeux, les aident pour les démarches administratives de demandes de régularisation.

« S’ils arrivent chez nous, c’est que leurs raisons sont suffisantes »

Messages et dessins réalisés lors du rassemblement.

Denis Lambert prend à son tour la parole. Poursuivi puis relaxé pour avoir hébergé une famille arménienne, pour lui, comme les autres, l’aide ne fait pas débat, les conditions humanitaires d’arrivée des réfugiés parlent d’elles-mêmes. « Il faut considérer chaque personne comme un être vivant, avec ses espoirs et ses souffrances. S’ils arrivent chez nous, c’est que leurs raisons sont suffisantes. Quitter son pays, sa famille, ses amis, sa culture, sa vie sociale, ce sont des raisons suffisantes. […]. Quand les immigrés arrivent à nos frontières, c’est après avoir fui la guerre, les persécutions. Nous ne pouvons pas les reconduire« . Applaudi par la centaine de personnes rassemblées dans le froid, il passe le micro à Ibtissam Bouchara, éducatrice spécialisée, une des rares intervenantes sans poursuite judiciaire. Cette fois-ci, il s’agit d’une mise à pied par son employeur, pour avoir dénoncé les conditions d’accueil dans la structure où un jeune s’est suicidé. Denko Cissoko, un jeune malien arrivé en France en octobre, s’est tué en se défenestrant du 8e étage de son foyer à Châlons-en-Champagne, comme le Bondy Blog vous en l’a relaté. La raison de cet acte ? Un suicide, selon le procureur de la République. De leurs côtés, les associations laissent entendre qu’il aurait sauté sous la pression d’un équipage de police qui serait venu le chercher pour l’expulser, sa minorité n’ayant pas été reconnue. Aujourd’hui, Ibtissam Bouchara lance un appel à tous les travailleurs sociaux, pour créer un collectif propre aux mineurs isolés étrangers.

Après Rob Lawrie, condamné pour avoir tenté de permettre à une enfant de 4 ans de rejoindre sa famille au Royaume-Uni, les Niçois Hubert Jourdan et Pierre-Alain Mannoni décrient d’un décret qui leur interdit de donner à manger, des jeunes militaires armés de fusils qui « courent après les gamins dans la montagne pour les renvoyer en Italie« , des gardes-à-vue qu’ils ne comptent plus. Ils tentent ensuite de réchauffer l’atmosphère avec le récit d’une maraude à Vintimille, qu’ils débutent en imitant les cigales, avant d’évoquer la cohue lors des distributions de nourriture. Et une rencontre avec Salah, un Erythréen qui se plaint d’avoir reçu une balle dans la cuisse, souffrant d’une plaie cicatrisée qui lui laisse « un trou gros comme une phalange ».

« La chasse à l’homme est là »

Georges Gumpel, enfant caché pendant la seconde guerre mondiale.

Georges Gumpel, enfant caché pendant la seconde guerre mondiale.

Le dernier témoignage est celui de Georges Gumpel, de l’Union Juive Française pour la Paix, venu souligner l’importance de la solidarité. Avant son intervention, il confie la raison de sa présence : la solidarité lui a sauvé la vie pendant la seconde guerre mondiale. « En 1942, c’est dans une petite carriole, caché sous des fagots, que j’ai passé la ligne de démarcation à quelques kilomètres de Vichy. Grâce à un conducteur de locomotive solidaire. En 1943, on me cachait dans un couvent, quand il y avait de grands dangers« . Il rappelle ainsi les multiples formes de solidarité qui lui ont sauvé la vie. Et ce jusqu’à la fin de la guerre, grâce à une famille pauvre d’un petit village de Haute-Loire. Il regrette aujourd’hui le vocabulaire employé pour parler des réfugiés, qui lui rappelle des heures sombres de l’histoire : « On retrouve des mots identiques à la période de 1938, où on parlait des Juifs en surnombre dans l’économie française« . Mais aussi des actes similaires : « Dans l’affaire de la vallée de Roya, la chasse à l’homme est là. Les migrants d’aujourd’hui sont les Juifs d’hier. »

La solidarité, est une valeur que Valérie Gerbin veut transmettre à ses deux fils qui l’accompagnent : « On ne peut pas leur dire au quotidien que c’est important d’aider les autres, d’être présent pour ses voisins, pour l’humanité, tout en restant enfermé chez soi. Je trouvais très instructif de venir entendre le témoignage de personnes poursuivies juste pour avoir aidé des êtres humains« . Message reçu par Jérémie, son fils de 10 ans : « J’étais d’accord de venir avec ma mère pour montrer notre solidarité à ceux qui en ont besoin.« 

Rouguyata SALL

Crédits photo : Joséphine Douek

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