[LES BÂTISSEURS] Le 10 février dernier, l’association Ghett’Up dirigée par Ines Seddiki organisait un brainstorming à 60 !  Objectif : réfléchir à la création d’un programme de leadership original et inédit dans les quartiers populaires pour construire la banlieue de demain. Le Bondy Blog y a participé. Reportage.

Rendez-vous était donné au Mab’Lab, nouveau lieu de co-working à Paris pour cette première rencontre organisée par l’association Ghett’Up autour de son futur programme inédit de leadership de banlieue. Pas moins de 60 personnes ont répondu présentes, venues de différents réseaux : Frateli, Passeport Avenir, Make Sense,  Yes Akademia, des étudiants de prestigieuses écoles, des dirigeants d’associations, des RH, des entrepreneurs et quelques créatifs comme des infographes, vidéastes et photographes.

Inès Seddiki, présidente de l’association Ghett’Up.

A la manette, Inès Seddiki, chargée de partenariat ONU chez AXA et présidente de Ghett’Up, le soir, les week-ends et les jours fériés comme elle aime à le dire. Avec beaucoup d’humour, cette jeune femme de 26 ans, qui a grandi entre Sarcelles, Saint-Denis et Stains, diplômée de l’École de Management de Grenoble, commence d’abord par raconter son expérience aux États-Unis, en 2015, au sein de Global Potential. « Lors de mon premier stage à New-York, j’ai été frappée par les techniques d’empowerment à destination des jeunes des quartiers d’Harlem et du Queens pour leur apprendre à prendre la parole. En France, à part quelques pionniers, on avait du soutien scolaire, des sorties karting et des journées à Deauville. Ces activités sont fondamentales mais il manquait la suite, un vrai complément ».

Inès rentre en France avec la volonté de faire bénéficier un maximum de gens de cette expérience. « Aux États-Unis, j’étais juste française. Je suis rentrée libérée d’un vrai poids et je voulais absolument partager ce que j’avais vécu ».

Elle créé tout d’abord le premier programme de Ghett’Up « From Philly 2 La Seine Saint Denis »  à destination des collégiens de 11 à 16 ans. L’objectif : leur permettre d’échanger sur l’actualité, leur quotidien, leur culture, leurs craintes et leurs rêves avec des jeunes du monde entier. Elle se rend compte qu’au delà de l’ouverture, il semble y avoir un vrai travail à faire sur la confiance en soi, pas seulement que pour les plus jeunes. « Dans les quartiers, les gens ont intériorisé tous les clichés de l’échec et des talents gâchés. Du coup c’est devenu automatique, dès qu’on réussit on quitte la banlieue. Heureusement que certains talents avec un beau parcours de réussite y restent, cela nous permet aujourd’hui de pouvoir récréer un réseau ». 

Lui vient alors l’idée des « Afterworks Ghett’Af » destinés aux jeunes actifs pour prendre confiance en eux et créer une dynamique de groupe positive. Situées uniquement dans les quartiers populaires, ces rencontres ont pour objectif de prouver que le réseau n’est pas qu’à Paris. « En parlant de networking en bas des tours, nous espérons valoriser les parcours de réussite de ces talents sur des territoires sous-estimés. La réussite a des visages multiples et n’est pas synonyme d’exception ». 

« Dealons nos compétences »

La séance de brainstorming démarre par un sondage. « Comment définiriez-vous le programme de leadership pour les jeunes de quartiers populaires ? » Dans le nuage de mots, apparaissent pêle-mêle « organisation », « entrepreneuriat », « ambition », « prise de parole » et « confiance en soi » à côté de « nous sommes plus que des sportifs », « one two three » ou encore « tout sauf Malek Boutih ». Rires dans la salle

Viennent ensuite les cinq tables-rondes animées par Abdessamad Youssfi, chef de projet digital chez Danone, Lucy Topaloff, chef de projet chez MakeSense, Lumir Lapray, consultante en stratégie chez Tenzing, Néné Keita, chasseuse de tête chez Upward consulting et Yassine Riffi, fondateur de Humans Relais.

Ces talents de banlieues devenus cadres ou entrepreneurs vont accompagner les 60 participants pour constituer le programme idéal : stratégie de recrutement des talents, budget, business model, communication, partenariats, tout y passe en 1h30. Avec deux mots d’ordre : sérieux et humour, la marque de fabrique de Ghett’Up.

« Commencer par expliquer qui nous sommes pour que les jeunes s’identifient à nous« 

La restitution par les 5 équipes (disponible sur facebook live) donnera des orientations plutôt intéressantes. Un programme de 2 semaines est envisagé avec un mélange d’enseignements de savoir-être et de savoir-faire : prise de parole en public, codes en entreprise, tolérance, économie, politique, communication, histoire de l’immigration et des quartiers populaires, lutte des droits, entrepreneuriat à destination de 3 typologies de talents de 11 à 30 ans. « Car c’est au collège que les problèmes commencent », explique Néné Keita. « On doit commencer par expliquer qui nous sommes et pourquoi on vient vers eux pour que les jeunes puissent s’identifier à nous et qu’ils nous sentent légitimes à venir leur parler. On a cette histoire commune qu’on veut faire partager en étant ni paternalistes ni infantilisant », explique Yassine Riffi.  « Il faut travailler avec les institutions locales et ancrées dans la ville comme les points information jeunesse ou les structures de soutien scolaire mais avec des critères flexibles pour pouvoir toucher un maximum de personnes », ajoute Néné.

Pour offrir un programme avec une réelle plus value, Ghett’Up doit faire face à un pari financier. Abdessamad, passionné de business model, a justement rejoint l’équipe pour aider dans ce sens. « Les associations manquent cruellement d’argent alors que pour avoir un vrai impact social, il faut de l’argent. Aujourd’hui, il y a l’entreprise d’un côté et l’associatif de l’autre. Il nous faut trouver un modèle entre les deux avec un business model solide ». Dans son groupe, un étudiant en finance, des entrepreneurs pragmatiques et son ancienne enseignante en management ont penché sur la question suivante : « Comment intégrer du cash dans l’association pour la rendre autosuffisante ?’ Le clickfunding semble se dégager devant les traditionnels crowdfunding, subventions publiques et dons de fondations. L’objectif est fixé : négocier avec un sponsor l’atteinte d’un nombre de clics, de visionnages, de partages et de commentaires sur une publication Facebook pour bénéficier de son financement.

« Maintenant, nous souhaitons entrer dans le game »

La fin de la séance se fait autour d’un buffet, l’occasion pour tous d’échanger sur ce que chacun a vécu et appris de cette soirée. Parmi les participants, Guillaume et Sofia, responsable de production et juriste, sont venus partager leur réseau et leur expérience. ‘Ce brainstorming était très intéressant car il s’est appuyé sur les personnes et leurs compétences. Il est enfin temps d’arrêter de parler et d’agir. Embarquons les gens, faisons-les grandir là où on a grandi. Il faut impliquer les non banlieusards, ceux qui ont envie de donner. Donner du temps ça ne coûte rien. On a hâte de voir la suite des actions maintenant ». La suite c’est justement l’action. « Ce brainstorming était nécessaire pour que les jeunes puissent nous dire de quoi ils avaient besoin. Ce programme doit être un vrai changement, il doit être pertinent, légitime et rassembler un maximum de personnes pour avoir un vrai impact, il faut donc le confronter à des experts sur le terrain », explique Inès.

Ghett’Up prévoit ainsi de confronter sa synthèse à des consultants et des militants pour avoir un maximum de retours et continuer à affiner sa stratégie pour une sortie de programme fin 2017. « On aura ensuite une expertise assez forte sur les programmes de leadership pour pouvoir démultiplier l’impact sur les territoires, pour que les acteurs de changement dans les quartiers puissent exprimer leur potentiel et prendre la place qui leur revient dans la société ». Ambitieux

Alors, si vous avez du temps, de l’argent ou des compétences, Ghett’Up est à la recherche de bras pour avancer sur leur projet. Si vous connaissez quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît (…), invitez-les tous sur la page Facebook !

Jihane HERIZI

Crédit photo : Yassine RIFFI

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