Dans une interview accordée à Causeur, Emmanuel Macron rejette en bloc l’idée d’une France multiculturelle, dix jours après son envolée lyrique à Marseille sur les Français de toutes origines. Une énième contradiction dans la campagne du candidat d’En Marche, qui donne l’impression de servir à chacun les arguments et les promesses qu’il attend. Billet.

Emmanuel Macron s’apprête peut-être à réaliser un tour de force : devenir président de la République sans que l’on ait percé ses convictions profondes sur un certain nombre de sujets. C’est aussi ça le charme du « renouvellement ». Arriver, malgré toute l’obsolescence du logiciel, des soutiens et des pratiques, à passer comme neuf, tout en ménageant la chèvre et le chou aussi longtemps que possible, histoire de s’assurer un socle de voix suffisamment important.

Dernier exemple en date de cette gymnastique macronienne : son interview dans Causeur, le magazine dirigé par Elizabeth Lévy, celle qui écrit des livres avec Robert Ménard et cautionne les propos d’Eric Zemmour (entre autres faits d’armes). Lorsqu’il s’apprête à répondre aux questions de ce mensuel très à droite, Macron sait qu’il va être interrogé sur les questions d’identité. Il sait aussi qu’il est attendu au tournant sur ses propos sur la « culture française ». Début février à Lyon, il a affirmé que celle-ci « n’existait pas » selon lui, tant elle était « diverse et multiple ».

Les propos n’avaient plu ni à la droite ni à l’extrême-droite, Marine Le Pen en ayant même fait un argument de campagne à part entière. Avant d’ouvrir le magazine, on pouvait légitimement penser que Macron allait expliciter, nuancer, remettre en perspective cette phrase qui a fait tant de bruit. Mais l’ancien ministre de l’Economie a fait mieux – ou pire, c’est selon. Il y est allé d’une nouvelle formule choc : « Je crois profondément que la France n’a jamais été et ne sera jamais une nation multiculturelle.”

Passons la violence de la phrase, que l’on peut légitimement discuter sur le fond. Avec Macron, c’est le « quand » et le « comment » qu’il faut analyser, plus encore que le « quoi ». Car le candidat d’En Marche ne laisse rien au hasard. Le 1er avril dernier, à Marseille, ville cosmopolite par excellence, Macron ne disait pas tout à fait la même chose. Il finissait plutôt son discours en disant sa fierté de voir, dans la foule et dans la ville, « les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Italiens, les Maliens » (liste non-exhaustive) qui, finalement, étaient tous Français.

À Marseille, Macron-côté-pile salue donc les communautés qui forment la France, ses cultures « multiples » qui irriguent le pays depuis des décennies. À Causeur, à peine deux semaines plus tard, Macron-côté-face vante l’intégration, voire l’assimilation, et rejette en bloc le multiculturalisme à l’anglaise. Au fond, les deux pensées ne sont pas incompatibles. Mais c’est le timing qui, à chaque fois, dérange. En fait, Emmanuel Macron mène une campagne où il dit grosso modo à chacun ce qu’il veut entendre. Lui le pro de la communication s’attend probablement, au moment où il prononce cette phrase, à ce que Causeur en fasse sa citation de une. Et c’est peut-être même ce qu’il recherchait par là.

La pirouette n’est malheureusement pas nouvelle chez le candidat d’En Marche, qui marche bel et bien mais pas toujours dans le même sens. En voyage en Algérie, il était allé dire à une télévision locale que la colonisation était un « crime contre l’humanité ». De retour en France, à Toulon et face à de nombreux pieds-noirs, il avait demandé « pardon » quelques jours plus tard et était revenu de façon alambiquée sur ses propos. Sur le cannabis, il avait fait la même volteface, penchant pour la dépénalisation face à la rédaction de Médiapart puis pour la répression devant Le Figaro. Et les exemples de ce type sont légion.

Dans son story-telling savamment pensé et élaboré, Macron ne parle pas au peuple, il parle à des clientèles. Il s’adresse, lundi, aux enfants d’immigrés, mardi aux patrons, mercredi aux agriculteurs, jeudi à la droite dure déçue par Fillon et vendredi à la classe moyenne. Bref, il segmente, comme disent les communicants. Avec l’évidente ambition de grappiller ici et là des parts de marché, donc des suffrages, donc des chances de remporter l’élection. Sauf qu’à force de segmenter, Macron nous fait perdre le fil. Il nous fait douter sur l’existence même de sa colonne vertébrale idéologique, une fois sorti d’un libéralisme économique pur et dur que personne ne lui conteste. Pire, il nous inquiète sur son éventuel quinquennat à venir. Car si les paroles peuvent aisément se contredire d’une semaine sur l’autre, les actes, eux, laisseront des traces autrement plus durables.

Ilyes RAMDANI

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