[#PRÉSIDENTIELLE2017] Alors que Marine Le Pen accède au second tour avec un score historique face à Emmanuel Macron, de nombreux électeurs ne peuvent se résoudre à un vote de barrage contre la présidente du Front national. Le Bondy Blog a recueilli leurs témoignages pour comprendre leurs motivations.  

Pourquoi ? C’est la question qui vient spontanément à l’esprit lorsqu’il s’agit de comprendre les raisons pour lesquelles des électeurs ont décidé de ne pas aller voter dimanche 7 mai pour faire barrage à Marine Le Pen, qualifiée au second tour de l’élection présidentielle. La candidate du Front national a recueilli 21,4 % des voix. 7, 7 millions d’électeurs ont voté pour elle, soit 1 million de plus que lors des élections régionales de décembre 2015. Les appels à empêcher Marine Le Pen d’accéder au pouvoir se multiplient ces 24 dernières heures, émanant de la droite comme de la gauche, fustigeant une formation politique d’extrême-droite xénophobe, anti-immigrés et anti-européenne. Pourtant, depuis l’annonce des résultats du premier tour, certains électeurs expriment leur refus d’aller voter.

Fait notable, qui aura certainement son influence : Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise, gauche radicale, n’a pas appelé à voter contre Marine Le Pen, affirmant attendre de voir ce que ses électeurs auront décidé via la plateforme du mouvement. C’était pourtant la tradition jusque-là : le front républicain prévalait là où le FN risquait de l’emporter, particulièrement à gauche.

Souvent traités avec mépris, montrés du doigts par les hommes politiques ou les militants comme les responsables, les abstentionnistes sont rarement écoutés. Ils représentent pourtant 22,23 % des inscrits selon le ministère de l’Intérieur. Alors, aujourd’hui nous leur donnons la parole pour comprendre leur décision, leur choix, leur résignation.

Marwan*, 31 ans, journaliste, Paris 18e : « Les gens ont envie de voter sans faire de compromis, ils en ont marre de devoir choisir entre le pire et le moins pire »

« Ça faisait des années que je ne votais plus. Cette fois, j’ai voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour car j’ai été séduit par sa campagne. Il s’est adressé à un public plus large que son électorat de gauche traditionnel. Mais dès le début, il était clair pour moi que s’il n’était pas au second tour, je ne votais pas. De toutes façons, il est rare que les changements sociaux viennent des urnes. Donc je compte m’abstenir ».

« On voit l’abstentionniste comme un fainéant qui ne veut pas se déplacer ou n’est pas au courant, mais l’abstention est un acte politique. N’oublions pas que l’abstention est le premier parti à ce stade de l’élection, juste derrière le favori. Les gens ont envie de voter sans faire de compromis, ils en ont marre de devoir choisir entre le pire et le moins pire. Et il faut arrêter avec ces histoires de vote utile ou de vote « barrage ». Quand on manipule le vote de cette manière, les gens vont aux urnes avec la peur au ventre, et cela débouche forcément sur un blocage. Moi, je n’ai pas envie de voter Macron et de me retrouver avec une Le Pen à 30 % dans cinq ans ».

« Quand tu votes tous les cinq ans, tu élis un monarque. Le candidat d' »En Marche » explique que, s’il est élu, il va gouverner par ordonnances tout l’été pour réformer le code du travail. Je refuse de cautionner cela. Les électeurs ont envie d’être consultés durant tout le processus de décision politique, pas une fois tous les cinq ans, et puis plus rien ».

« Il faut tordre le cou au cliché qui dit que l’abstentionniste fait monter le FN. Le parti recrute justement chez le abstentionnistes. Donc en fait, plus il y a d’abstentionnistes, moins il y a de FN ».

Jaouad 35 ans, Pontcharra, Isère, commercial dans l’assurance :  « Si Le Pen est là, c’est en grande partie parce que les politiques ont banalisé ses idées »

« Cette décision est le résultat d’un cheminement débuté dimanche soir. J’ai voté François Hollande en 2012 parce qu’on en avait marre d’être stigmatisés par Nicolas Sarkozy, comme une bonne partie de la banlieue. Résultat : on a eu des débats à n’en plus finir sur l’identité nationale, des arrêtés anti-burkini, la déchéance de nationalité, un Premier ministre, Manuel Valls, qui multipliait les sorties très à droite… J’ai donc voté Jean-Luc Mélenchon qui me paraissait digne et franc dans sa parole. Maintenant, on me dit :  »Il faut que tu ailles voter le 7 mai pour faire barrage ». Mais pour faire barrage à quoi ? Qui vient me donner des leçons alors que ce sont eux qui n’ont fait que jeter de l’huile sur le feu durant le quinquennat ? Si Le Pen est là, c’est en grande partie parce qu’ils ont banalisé ses idées. Je leur dis : « C’est votre problème, ce n’est plus le nôtre ».

« Je ne veux pas être la variable d’ajustement de leur politique. Ils font appel à nous quand ils ont besoin des citoyens pour faire barrage au FN. Mais ils ne nous écoutent pas le reste du temps. Moi, j’ai voté Benoît Hamon à la primaire du PS. Qu’a fait Manuel Valls, battu ? Il a combattu Benoît Hamon ! Maintenant, j’ai décidé de me respecter, de respecter mes sensibilités. Je n’irai pas voter Macron ».

« J’étais intéressé par le côté social de Hamon, avec son revenu universel, ou le côté anticapitaliste de Mélenchon, qui ne voulait pas que les grands patrons gagnent des salaires mirobolants en laissant des salariés dans la misère. Emmanuel Macron est très libéral sur le plan économique, il est plus proche des patrons que des salariés. Je n’ai pas réussi à cerner son programme, et lui, je n’arrive pas à le situer. J’ai le sentiment qu’il caresse tout le monde dans le sens du poil et qu’il est plus calculateur qu’autre chose ».

« J’ai toujours voté pour le moins pire et pour éviter que l’on dise que les gens des banlieues s’en foutent. Je ne cacherai pas que là, j’ai une véritable crainte que Marine Le Pen soit élue. Je croise les doigts pour que Macron devienne président mais j’ai mûrement réfléchi ma décision et si elle est au second tour, ce n’est pas de ma faute. J’assumerais mon choix, quoi qu’il arrive »

Oriane, 30 ans, Paris 20e, étudiante en stylisme : « Je n’ai absolument pas confiance en ce que pourrait faire Emmanuel Macron »

« Je ne suis pas sûre d’aller voter. J’ai arrêté de croire en la politique durant ces cinq dernières années, pas à cause de François Hollande. Mes grands-parents ont risqué leur vie pour la politique. Mon grand-père paternel faisait partie du Front de libération national (FLN, parti politique créé à l’origine pour obtenir l’indépendance de l’Algérie française NDLR), et mon grand père maternel était au Parti communiste. Je ne sais pas si la politique a changé depuis mais je vois à quel point aujourd’hui c’est un panier de crabes, où seule compte l’ambition et le pouvoir… Quand on voit que Jacques Chirac, par exemple, a été communiste dans sa jeunesse… Pour moi, c’est une mascarade, qui ne vaut pas la peine que l’on perde son temps avec ».

« La politique, c’est savoir parler aux citoyens, savoir les apaiser, ne pas les rendre belliqueux, pas monter les communautés les unes contre les autres, pas attiser les haines entre les gens qui ont plein d’argent et ceux qui n’en ont pas. Macron, je le vois avec les dents qui rayent tellement le parquet que je n’ai pas confiance en lui, il en veut trop, je n’ai absolument pas confiance en ce qu’il pourrait faire. Je me retrouve donc face à un choix entre la peste et le choléra ».

Alban ELKAÏM

*Prénom modifié

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