Paris organisera bien les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Une fausse surprise puisque l’attribution était déjà connue. L’événement suscite beaucoup d’enthousiasme mais l’impact économique reste incertain. Interview de Wladimir Andreff, professeur émérite et grand économiste du sport à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Le Bondy Blog : Les commentaires sont souvent très optimistes au sujet des Jeux olympiques qui seraient une chance pour la France, et plus localement pour la Seine-Saint-Denis. Qu’en est-il sur le plan écnonomique ?

Wladimir Andreff : C’est certainement une chance, si on sait bien la gérer. Évidemment, pour le label officiel, on les appelle les jeux de Paris 2024. Mais jusqu’à un certain point, on peut dire que ce sont surtout les jeux de la Seine-Saint-Denis 2024, si on regarde le nombre d’équipements sportifs par exemple. L’un des arguments de la candidature de Paris 2024, c’est de dire  :« on n’a pas beaucoup d’équipements sportifs à construire. On les a presque tous« . Mais ils restent tout de même huit équipements à construire en Seine-Saint-Denis dont la piscine olympique. Donc, ce point de vue, ça peut être une chance, en effet, pour la Seine-Saint-Denis, et pour Saint-Denis en particulier.

Le Bondy Blog : Depuis plusieurs décennies, les budgets des JO ont fourni une facture plus lourde qu’au moment de l’attribution. Est-ce que Paris pourrait faire exception, selon vous ?

Wladimir Andreff : C’est une bonne question. La raison pour laquelle il y a un dépassement des coûts, qu’on a observé dans tous les Jeux olympiques, à part Los Angeles en 1984, c’est le fait que les Jeux sont attribués par enchère. C’est le Comité international olympique (CIO) qui fait jouer la surenchère entre les villes. Pour obtenir le vote du CIO à la fin, elles minimisent alors leurs coûts, plus exactement, elles sous-estiment leurs coûts, ne révèlent pas tout. Par exemple, pour Londres en 2012, ils n’avaient pas pris en compte les coûts de sécurité dans leur plan de financement, ils n’avaient pas toujours calculé la TVA. Ils n’avaient pas calculé non plus le coût des paralympiques. Or, tout ça est obligatoire ! Après, quand ils ont eu les Jeux, leur coût a forcément explosé. Et c’est exactement ce qui se produit pour chaque ville gagnante. J’ai appelé cela la « malédiction du gagnant de l’enchère« . On gagne l’enchère mais on perd de l’argent. Plus précisément, ça coûte plus cher que prévu. Où en est Paris 2024 de ce point de vue-là ? Paris 2024 a été soumis à cette surenchère, à cette concurrence avec Los Angeles principalement et dans une moindre mesure Budapest. Mais il y a deux mois, le CIO a décidé qu’on attribuerait simultanément les Jeux de 2024 et de 2028 aujourd’hui. Donc, il y a deux mois, la concurrence s’est arrêtée entre Los Angeles et Paris. Il y aura sans doute cet effet de dépassement des coûts. Mais il sera, sans doute, moins fort que d’habitude.

Le Bondy Blog : Quelles conséquences, positives ou négatives, l’organisation des JO à Paris pourrait provoquer sur l’économie, à court terme ?

Wladimir Andreff : Je réponds à court terme. Il y a eu une étude d’impact économique des Jeux demandée par le Comité de candidature. L’étude a été réalisée par des chercheurs du centre de recherche de Limoges qui ont eux-mêmes demandé à être conseillés par trois experts internationaux. J’étais l’un des trois. Je connais bien les résultats. Je vous les résume. Nous n’avons pas voulu publier un chiffre unique. Nous avons publié une fourchette de chiffres qui correspondent à des scénarios différents. Nous avons publié un chiffre optimiste si tout se passe au mieux ; un chiffre pessimiste en cas d’attentats ou autre et puis un chiffre central. Le chiffre optimiste, c’est un impact économique sur l’Île-de-France de 10,7 milliards d’euros d’ici 2024. C’est pour le court terme. Si ça se passe mal, on est à 5,3 milliards d’euros. Et la variante centrale, elle est à un peu plus de 8 milliards d’euros. Pour moi, économiste, c’est la plus probable. Il y aura aussi un impact en termes d’emploi. Ce sont des emplois en équivalent temps plein. Ça ne veut pas dire des emplois fermes et définitifs. Dans l’option la plus pessimiste, nous avons estimé cette création à 120 000 emplois. Dans la plus optimiste, 240 000 et dans la perspective centrale, l’estimation est d’environ 180 000 emplois. Ça a donc quand même un impact sensible. Mais attention ! Il ne faut pas non plus le surestimer. Si on le rapporte au produit intérieur brut de la France, c’est 0,1 %. Un millième ! Et si on le rapporte au PIB de l’Île-de-France, ça doit être un peu plus de 1%. Ce n’est pas énorme.

Le Bondy Blog : Et à long terme ?

Wladimir Andreff : À long terme, c’est ce qu’on appelle l’héritage. Le Comité de candidature et le Comité d’organisation vont faire campagne là-dessus. Ils vont essayer de vendre l’idée qu’à plus long terme, il y aura un héritage des équipements sportifs pour la Seine-Saint-Denis. Il n’y aura pas seulement la piscine olympique, il y aura une cinquantaine de centres sportifs, etc. C’est ce qu’on appelle l’héritage tangible. Et puis, il y aura l’héritage qu’on appelle intangible. Le comité de candidature vend l’idée que les JO vont améliorer les relations entre les habitants du 93. On va mettre aussi des espaces verts. Ça, c’est tangible. Et puis on espère créer des réseaux, que des gens aient plus d’enthousiasme. Ça, c’est intangible. Ce n’est pas mesurable et c’est sans doute à plus ou moins long terme.

Le Bondy Blog : La Seine-Saint-Denis va accueillir plusieurs compétitions ainsi que le village olympique. Quels seraient les effets sur les emplois, l’activité économique dans ce département ?

Wladimir Andreff : Je ne peux pas vous dire quelle proportion. C’est trop tôt pour l’instant pour dire quelle proportion des 120 000 à 240.000 emplois, équivalent temps plein, seront localisés en Seine-Saint-Denis. On peut espérer qu’il y en ait au moins la moitié puisque la Seine-Saint-Denis va recevoir plus de la moitié des équipements et peut-être un peu moins de la moitié des compétitions. À la louche, je dirais entre 50 000 et 100.000 emplois, équivalent temps plein. Je précise bien une chose : tous ne seront pas des emplois durables. Il y aura aussi des gens qui seront bénévoles et qui seront reconvertis dans un emploi parce qu’en étant bénévoles, ils vont apprendre à faire des choses. Une jeune femme peut devenir hôtesse d’accueil des Jeux olympiques. Et après, elle sera peut-être embauchée définitivement comme hôtesse d’accueil. Mais pour beaucoup, le soir de la cérémonie de clôture, on leur dira : « Merci, vous êtes gentils ». On les aura peut-être payés mais ça s’arrête là. Et en plus de ces emplois, il y aura, en principe, c’est la prévision, 700 000 bénévoles mobilisés, des bénévoles qui par définition ne sont pas salariés.

Le Bondy Blog : De combien serait la proportion d’emplois durables ?

Wladimir Andreff : Malheureusement, assez faible. Ce n’est certainement pas la moitié des emplois qu’on prévoit. Si on dit que la Seine-Saint-Denis aura la moitié des 180 000 emplois temps plein, ça fait 90 000. S’il y a 30 000 emplois durables, ce sera déjà bien. Moi,en tant qu’économiste, je serais content.

Le Bondy Blog : L’organisation d’événements d’envergure mondiale, tels la Coupe du monde 1998 ou l’Euro 2016, ont-ils eu un impact sur l’emploi local ?

Wladimir Andreff : Je peux vous répondre précisément dans le cadre de l’Euro 2016 puisque l’Observatoire de l’économie du sport, dont je préside le conseil scientifique, a commandité une étude sur les résultats de l’Euro2016. En termes de chiffres, l’impact économique est de 1,2 milliard d’euros. C’est environ 10 fois moins que les Jeux olympiques ! Pour les emplois, c’est environ 25 000 emplois, équivalent temps plein. Ce n’est pas énorme. Mais vous devez remarquer que l’Euro, c’est un événement sportif assez petit comparé aux Jeux. Il n’y a qu’un seul sport. Les Jeux Olympiques c’est 15 jours de sport, tout le temps.

Le Bondy Blog : Est-ce que le projet du grand Paris pour les transports en commun serait boosté par l’organisation des Jeux de 2024 ?

Wladimir Andreff : C’est une très bonne question, mais elle est très délicate et la réponse l’est tout autant. Faut-il compter dans l’économie des Jeux olympiques le grand Paris, notamment le Grand Paris Express ? Si je réponds « oui », je vais devoir ajouter au coût des JO, le coût du Grand Paris Express. Or là, le budget des JO, déjà de 6,6 milliards d’euros, exploserait. Mais en même temps, à ce moment-là, j’aurai un très gros impact sur les dépenses de construction du Grand Paris Express. Si on dit que c’est que pour les Jeux olympiques, on doit le compter dans l’impact. Si vous êtes économiste, vous voyez qu’il y a un problème. Parce qu’en fait, le Grand Paris Express a été décidé avant et les investissements du Grand Paris Express ont déjà été décidés. Améliorer la ligne 13 du métro par exemple, créer de nouvelles lignes de métro, la 16, la 17, etc. Tout ça est déjà décidé mais pas totalement financé. Pour ma part, je pense que ce serait une erreur de méthode d’inclure les coûts du Grand Paris Express dans ceux des JO. La seule chose qui peut se produire, c’est ce que disent les membres du Comité de candidature Paris 2024, c’est que cela va accélérer, par exemple, la réalisation du grand Paris Express qui devait être totalement fini en 2030. Maintenant, on va pousser à ce qu’il soit fini en 2024. En tant qu’économiste, je dis attention ! Quand on essaye d’accélérer un investissement, il coûte toujours beaucoup plus cher que si on le fait à son rythme normal. Restons-en peut-être au projet initial.

Le Bondy Blog : Est-ce que les clubs et associations sportives, notamment dans le 93, bénéficieront d’éventuelles retombées des JO ?

Wladimir Andreff : Oui et non à la fois. Il faut toujours faire des nuances ! Toutes les études faites par des économistes, sur tous les grands événements sportifs, ont essayé de mesurer si le fait d’organiser un événement sportif international augmente la pratique sportive. Au fond, est-ce que les jeunes et moins jeunes de Seine-Saint-Denis vont bénéficier, vont faire plus de sport ? Ce qu’on a observé régulièrement, c’est que l’accueil des Jeux olympiques augmente la pratique sportive de ceux qui en faisaient déjà, pendant la préparation des Jeux et après les Jeux. Par contre, toutes les études ont constaté que ça n’augmente quasiment pas le nombre d’adhérents sportifs. Ça n’attire pas des gens qui ne faisaient pas de sport et qui n’étaient pas intéressés avant. Le fait d’avoir les Jeux olympiques ne les transforme pas en sportifs ! Il y a un effet positif et un aspect moins positif. Si on veut que l’aspect positif joue, il faut évidemment que les jeunes, les habitants âgés de Seine-Saint-Denis, puissent être accueillis dans des équipements sportifs, sur des sites sportifs. C’est pour ça que dans la candidature, il y a 50 sites sportifs supplémentaires ce qui devrait permettre qu’au moins l’effet positif que j’ai signalé puisse se concrétiser.

Le Bondy Blog : Est-ce que les JO serviront d’occasion pour rendre des bâtiments davantage accessibles à des personnes handicapées ?

Wladimir Andreff : Il y a deux éléments importants dans le dossier de candidature de Paris 2024. Il y a un sous-dossier qui s’appelle l’héritage ou génération 2024 où on insiste sur plusieurs points comme par exemple que tous les sites sportifs prévus pour les Jeux, créés en Seine-Saint-Denis, soient tous accessibles aux personnes handicapées. Un autre axe, c’est de mieux sensibiliser la population au handicap et donc au sport handicapé. Enfin, autre axe : sur les toits du centre des médias qui sera localisé vers le quartier Pleyel, il est prévu de faire pousser des produits agricoles sur presque trois hectares. Est-ce que tous ces projets seront exactement réalisés ainsi ? Personne ne le sait. Ce sont des objectifs. Faire de l’économie verte, du développement durable, en Seine-Saint-Denis, s’occuper des personnes handicapées. Il n’y a rien à dire. Il faut simplement vérifier si tout va bien se passer comme ça.

Le Bondy Blog : Que vont devenir les structures construites, spécialement pour ces JO ? Pourront-elles profiter à la population ?

Wladimir Andreff : Il y a deux catégories. Il y a les petites structures démontables qui seront donc démontées et même, pour certaines, prêtées à Los Angeles 2028. C’est quelque chose d’un peu nouveau. Puis il y a les structures lourdes. Le prototype, c’est la piscine olympique qui sera installée à Saint-Denis. Il est prévu de la réaménager parce qu’une piscine olympique de cette taille-là, c’est quasiment inutilisable pour les petits gamins de Seine-Saint-Denis. Il faut qu’ils sachent nager 50m et retour. Ce n’est pas adapté. J’ai compris qu’elle allait être raccourcie après les Jeux pour qu’elle soit accessible, au minimum, à des nageurs normaux, aux clubs de natation. Ça pose quand même une question à l’économiste. Est-ce que l’accès à cette piscine sera gratuit, payant ou très légèrement payant ? Vous voyez tout de suite le problème. Si on dit « c’est gratuit », la piscine ne sera jamais amortie. Ce ne sera jamais remboursé. Ça, c’est un vrai problème. Si c’est payant et très cher, les petits gamins de Seine-Saint-Denis n’iront jamais. Et ça n’est pas un arbitrage qui est encore fait ! La candidature dit « ça va servir beaucoup aux gamins » de la Seine-Saint-Denis. Ils ont raison de dire ça, c’est vendeur. Après, il faudra voir comment cela géré.

Propos recueillis par JONATHAN BAUDOIN

Crédit photo : Julien AUTIER

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