L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, mardi 3 octobre, le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Un dispositif dénoncé comme faisant inscrire dans le droit commun des dispositions de l’État d’urgence selon plusieurs organisations comme le Syndicat des Avocats de France. Un de ses membres, Me Florian Borg, avocat au barreau de Lille, tire la sonnette d’alarme auprès du Bondy Blog. Interview.

Le Bondy Blog : Quelle est votre réaction à l’adoption du projet de loi anti-terroriste par l’Assemblée nationale ?

Florian Borg : Ce projet de loi, s’il devait être adopté de manière définitive, va inscrire des mesures de l’État d’urgence dans le droit commun, c’est-à-dire, de manière continue et sans exception. Ce sont des mesures qui sont attentatoires aux libertés, notamment dans la manière dont les personnes mises en cause seront considérées et sans possibilité d’avoir une réelle défense. Ce sont également des mesures en partie discriminatoires, tant sur les contrôles qui seront élargis, avec un risque de contrôle systématique de tous les migrants entrant en France et de contrôles au faciès de tous les migrants, que sur l’appréciation des mesures qui sont prises, en général, sur la base de comportements. Et bien souvent, ces comportements sont liés à la pratique d’une religion.

Le Bondy Blog : En quoi ce projet de loi serait de nature liberticide ?

Florian Borg : Ce projet de loi vient transférer ce qui appartenait auparavant au juge judiciaire, c’est-à-dire, la lutte contre le terrorisme, au ministère de l’Intérieur et au préfet. Or, le juge judiciaire est un pouvoir indépendant de l’exécutif, du législatif et donc du politique. Avec ce projet de loi, on va donner un pouvoir très important à l’administratif, pour le contrôle des personnes, la perquisition de leur domicile, les assignations à résidence. Avec ce projet de loi, on donne du pouvoir de manière définitive à l’autorité politique et donc, nous n’avons plus de garantie d’indépendance de la justice.

Le Bondy Blog : Peut-on comparer cette période avec la loi des suspects de 1793 ou les lois scélérates de 1892 ?

Florian Borg : Toute période est distincte. Il faudrait faire une analyse de comparaison historique et juridique. C’est un peu complexe. Mais c’est une évolution qui n’est pas propre à la France. On la retrouve dans d’autres pays dits occidentaux, c’est-à-dire, à la fois dans tous les pays d’Europe et les États-Unis qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme notamment le terrorisme de nature islamiste, vient donner un pouvoir extrêmement important aux exécutifs, avec des risques de dérive politique, de dérive policière. Donc, c’est vraiment très particulier. C’est pour ça que la comparaison est très délicate à faire d’un point de vue historique, parce que les situations ne sont pas du tout les mêmes.

Le Bondy Blog : Vous parlez justement des États-Unis. Y a-t-il un parallèle à faire avec le Patriot Act, appliqué après les attentats du 11 septembre 2001 ?

Florian Borg : Oui, même si on n’est pas au même niveau de débordement, notamment par rapport à ce qui s’est passé à Guantanamo. Mais il y a des parallèles quand même, sur des logiques administratives, politiques, et de renseignement policier. Ainsi, on va mettre en cause des personnes avec une vraie difficulté pour elles de se défendre. Même si la défense existe, la difficulté est que les pièces qui leur sont opposées sont des pièces qui ne permettent pas d’avoir un vrai débat contradictoire devant un juge. Ces pièces ce sont des notes blanches avec mise en cause du comportement des personnes, contrairement à ce qui se passe devant un juge, où on va qualifier avec des faits non pas un comportement mais des actes. Quant au comportement qui sera apprécié, cela pourra être le simple fait de connaitre quelqu’un, d’être en relation de manière régulière avec une personne. Le simple fait d’être en relation avec elle vient contaminer la personne qui va être elle-même mise en cause. On va avoir, comme ça, des successions de mises en cause juste parce que les gens sont proches, et même s’ils ne sont pas proches pour des raisons liées au terrorisme. Ca peut être des voisins, des frères et sœurs par exemple…

Le Bondy Blog : Ce projet de loi est-il un instrument de défense nationale ou pas ?

Florian Borg : Le problème, c’est qu’on nous dit qu’on est en guerre contre le terrorisme, mais le terrorisme, on ne sait pas si c’est une nation ou pas. On nous dit que Daech n’est pas un État, mais ce serait Daech derrière tout ça. En réalité, c’est difficile d’y répondre parce que tous les concepts ne sont volontairement pas définis. Le concept de guerre est utilisé à tort et à travers. La défense nationale, ça signifie qu’on serait en guerre contre un autre État. Je ne crois pas que ce soit une question de défense nationale. Nous sommes dans des mesures d’ordre intérieur, ici et de contrôle intérieur des populations.

Le Bondy Blog : Comment comptez-vous vous opposer à l’application du projet de loi s’il est définitivement adopté ?

Florian Borg : C’est d’abord se défendre quand on est mis en cause. Ça veut dire qu’on va devoir s’organiser pour améliorer les moyens de défense, pour essayer de faire bouger les juges pour faire en sorte qu’ils vident une partie de la loi de son sens, pour avoir une interprétation plus stricte que ce qu’il y a dans la loi. On va enfin essayer de la contester au niveau international, notamment devant la Cour européenne des Droits de l’homme.

Propos recueillis par Jonathan BAUDOIN

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