écit.

« Twitter je vais te raconter l’histoire d’une agression, la mienne », voici comment débute la série de tweets de Nawel, 38 ans, qui livre un témoignage édifiant de l’agression qu’elle a subie le 23 novembre 2017 dans le 12ème arrondissement de Paris. Ses tweets, partagées par plus de 1740 twittos, font le tour du réseau social et suscitent de nombreuses réactions depuis.

« Il m’a donné un coup de poing au visage en me disant ‘dégage' »

Il est à peu près 16h30, jeudi 23 novembre, lorsqu’elle s’apprête à rentrer chez elle dans le 13ème arrondissement après avoir déposé des courses dans son commerce rue de Reuilly, dans le 12ème arrondissement. Au volant de sa voiture, sa fille de deux ans et demi située à l’arrière, Nawel arrive au croisement du boulevard Diderot près d’une sortie d’un établissement scolaire et de la station de métro Reuilly Diderot. Alors que le feu est au rouge, elle est arrêtée par un agent de la mairie qui se poste au milieu de la route pour laisser passer les piétons. Lorsque le feu passe au vert pour les véhicules, l’agent commence à s’éloigner pour rejoindre le trottoir. « Mais dès qu’il m’a aperçue dans ma voiture, il est revenu sur ses pas et s’est remis au travers de la route, raconte Nawel. Ça ne m’a pas étonnée, je suis habituée à lui. Cet agent, à chaque fois qu’il me voit, il fait la même chose : il se met au milieu de la route alors que le bonhomme est rouge pour les piétons. Alors, je prends sur moi et je patiente« . Mais ce jeudi 23 novembre, il pleuvait et il y avait un peu de circulation. Un bus se trouvait derrière Nawel et n’arrêtait pas de klaxonner. « Ça m’a stressée. Alors, j’ai commencé à faire des signes à l’agent avec mes mains pour qu’il se pousse et qu’il me laisse passer ».

Nawel nous décrit un homme qui portait un masque anti-pollution, un bonnet qui lui tombait sur les yeux, des lunettes et dont on voyait à peine le visage et les traits. « La République se vit à visage découvert, mais pas pour tout le monde apparemment », commente-t-elle. Alors qu’elle essaye de l’alerter en klaxonnant très fort, Nawel raconte. « L’homme s’avance vers ma voiture, pose son genou sur le capot et commence à frapper dessus avec le panneau « Stop » qu’il avait dans les mains et qui lui sert à gérer la circulation« . « Après ça, il se pousse et repart vers le trottoir, il reprend le cours de sa vie comme si rien ne s’était passé« , nous raconte-t-elle, consternée. C’est alors qu’elle se gare en warning sur le côté. « Je descends de ma voiture en panique totale et je lui dis qu’il n’a pas le droit de faire ça, de taper sur ma voiture et que je vais appeler la police« . La jeune femme raconte que l’agent réagit alors violemment. « Il m’a poussée de ses deux mains au niveau du torse. Je l’ai poussé à mon tour. C’est là qu’il m’a donné un coup de poing au visage en me disant ‘dégage' ». Nawel nous montre sa lèvre supérieure, encore légèrement enflée avec une cicatrice. « Hier, c’était pire mais je l’ai soignée, je n’allais pas rester comme ça« .

« Il m’a de nouveau crié ‘dégage‘, m’a mis une claque, a attrapé mon foulard pour le retirer »

Des passants interviennent, maîtrisent l’homme et le mettent sur le côté. Nawel retourne vers sa voiture, téléphone à la main après avoir composé le 17. « Cela a pris 16 minutes 45 avant que je n’arrive à avoir les policiers à l’autre bout du fil« , précise-t-elle. L’homme revient à la charge. « Il m’a de nouveau crié ‘dégage‘, m’a mis une claque, a attrapé mon foulard pour me le retirer. Mes lunettes sont tombées« . Nawel nous montre les branches de ses lunettes, tordues, et le bonnet qu’elle portait sous son foulard dont la couture est déchirée. Les insultes continuent de fuser, raconte-t-elle. « Connasse avec ton voile », « sale arabe ! »

« Ne vous inquiétez pas, Marine Le Pen est arrivée au second tour, la prochaine fois ce sera la bonne« 

La jeune femme témoigne que des élèves de l‘établissement tout proche sont intervenus pour prendre sa défense. Un jeune aurait lancé à l’agent : « Calmez vous monsieur, Marine Le Pen n’est pas passée ». L’agent aurait alors répondu :« Ne vous inquiétez pas, elle est arrivée au second tour, la prochaine fois ce sera la bonne« . L’homme s’apprête à partir, Nawel, aidée par plusieurs témoins, tente de le retenir. « Vous n’irez nulle part monsieur, vous allez attendre la police ici avec moi’. Il lui propose alors de le retrouver au commissariat de police, ce qu’elle refuse. « Il voulait partir, je me suis mise devant lui et les jeunes m’ont aidée. Il me disait avec un ton à la fois provocateur et accusateur. ‘Je dois aller travailler, parce que moi je travaille' ». Nawel insiste. « Je lui ai dit que je ne le laisserai pas partir, que ce serait un délit de fuite, il me dit de le rejoindre au commissariat sauf que je n’accorde pas de crédit à un homme qui frappe une femme ».

Une heure plus tard, raconte Nawel, la police finit par arriver sur les lieux. Elle leur livre sa version. « Je leur ai tout raconté. J’ai été appuyée par une dizaine de témoins et pas seulement les enfants. Plusieurs témoins m’ont soutenue, deux ont donné leurs coordonnées à la police ». Selon la version de Nawel, l’homme est interpellé après que l’agent lui a demandé s’il reconnaissait les faits reprochés. « Il a nié une première fois, la deuxième fois, il ne savait plus quoi répondre. A la troisième fois, l’agent lui a signalé la présence d’une caméra dans la rue. Alors, il a commencé à dire que c’est moi qui l’ai agressé et que j’étais totalement hystérique ». Les agents de police prennent alors ses coordonnées. Le soir même, Nawel raconte s’être rendue au commissariat pour déposer plainte mais un agent lui aurait répondu de revenir le lendemain car tous les agents étaient en intervention à l’extérieur. Elle témoigne également s’être rendue à l’hôpital Saint-Antoine. « Mais le médecin m’a dit qu’il ne pouvait rien faire pour moi car selon la procédure, la seule cellule habilitée pour ce genre de cas est à l’hôpital Hôtel-Dieu ».

Ce vendredi 24 novembre, Nawel réussit à déposer plainte au commissariat du 12ème arrondissement à 19h, selon le procès-verbal que nous nous sommes procurés. Nous l’y avons accompagnée. Selon son récit, le dépôt de plainte a été particulièrement difficile. « Ils étaient tout sourire, parlaient entre eux en langage codé. Je leur demandais ce que ça voulait dire, mais ils souriaient et ne m’expliquaient rien. J’ai dû lui faire réécrire quatre fois le procès verbal parce que je n’étais pas d’accord, à chaque fois il me disait ‘ne vous inquiétez pas, personne ne lit sauf que je vais aller au tribunal et il sera lu. J’ai dû insister pour qu’il écrive ce qu’a dit l’homme sur Marine Le Pen, il a fini par le faire ». Nawel découvre également qu’elle pouvait être accompagnée d’une personne tierce lors de son dépôt de plainte, chose qui lui a été refusée. « Je voulais que vous rentriez avec moi, nous dit-elle, et que vous puissiez voir le parcours du combattant d’une personne qui veut porter plainte ». Elle dit avoir insisté auprès de l’officier de police judiciaire pour qu’il le mentionne. Suite à cette plainte, Nawel doit désormais se rendre à l’hôpital Hôtel-Dieu pour voir un médecin et suivre la procédure qui la conduira devant les tribunaux.

« Je suis française j’ai été nourrie au biberon de la République je connais mes devoirs, je connais mes droits et je comptes bien les faire appliquer »

La femme ne compte pas en finir là, « déterminée » dit-elle « à faire valoir ses droits ». « Je n’ai pas dormi de la nuit, aujourd’hui je ne suis pas allée au travail. Ma fille de deux ans et demi a pleuré toute la nuit, elle a fait des cauchemars. J’espère qu’elle ne l’a pas vu quand il m’a frappée« . Et de poursuivre. « Ce n’est pas la première fois que je subis des choses comme ça, quand t’es voilée des fois ça arrive même qu’on te crache dessus. Mais je ne compte pas me laisser faire, j’ai fait des études, je suis Française, j’ai été nourrie au biberon de la République, je connais mes devoirs, je connais mes droits et je compte bien les faire appliquer », dit-elle d’un ton ferme. Nawel a pris contact avec le CCIF, dont elle est adhérente qui lui a proposé de l’aider juridiquement dans ses démarches.

« Je pense également aux autres femmes dans un climat qui est le nôtre et à la veille de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. On ne doit pas laisser ce genre de choses impunies. Mais je comprends pourquoi des femmes n’osent pas aller porter plainte. Elles peuvent avoir peur de revoir leur agresseur, en plus de ça, la police peut essayer de les décourager à déposer plainte. Au commissariat, on m’a demandé 7 fois si je voulais vraiment porter plainte. Je ne comprends pas pourquoi mon agresseur n’a pas été interpellé ou emmené au poste, ils lui ont juste dit qu’ils allaient le convoquer, je ne trouve pas ça normal, il y avait pourtant plusieurs témoins ». 

« J’ai bien vu cet agent agresser physiquement cette dame », Benjamin, 35 ans

Nous avons joint Benjamin, 35 ans, qui a assisté à l’agression. Il ne connait absolument pas la victime. Il confirme en tout point le témoignage de Nawel. « Le métro était bloqué et on a dû tous sortir à la station Reuilly-Diderot. Je suis sorti. Je me suis retrouvé face à la scène. J’ai bien vu cet agent agresser physiquement cette dame à plusieurs reprises, j’ai bien vu que c »est lui qui lui donnait des coups. Il avait l’air de ne pas trop aimer les femmes voilées, c’est en tout cas l’impression qu’il m’a donnée. J’ai même conseillé à la femme de laisser partir l’agent car j’avais peur qu’il continue à la frapper », témoigne-t-il auprès du Bondy Blog.

Nous avons cherché à joindre la mairie du 12ème arrondissement tout au long de la journée de vendredi 23 novembre et durant la matinée du samedi 25 novembre, sans succès.

EDIT samedi 25 novembre, 17h30 : La Mairie du 12ème arrondissement, que nous n’avons jamais réussi à joindre ni par téléphone ni après nos tentatives de contacts par Twitter, a communiqué via ce réseau social en publiant trois tweets vendredi 24 novembre à 18h30. Nous les reproduisons ici.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fatma TORKHANI

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