La guerre des sexes est le sujet de l’essai d’Olivia Gazalé. Pour imposer sa domination sur la femme, l’homme aurait construit « le mythe de la virilité ». Depuis la préhistoire, il est difficile d’être une femme mais aussi un homme. Les unes comme les uns sont asservis et soumis à des pressions sociales et culturelles. Les premières vivent toujours sous la domination masculine. Comment en est-on arrivé là ?

Épisode 2 : La rhétorique de la nature

Écouter Kid d’Eddy de Pretto en lisant Le mythe de la virilité d’Olivia Gazalé ou la mise en abyme de la déconstruction de ce monde viriarcat. Les pages s’enchaînent et mes yeux tombent sur ces mots qui résonnent encore en moi : « L’idée fondatrice commune est que la nature a créé deux pôles dialectiquement opposés, l’un étant fait pour se soumettre inconditionnellement à l’autre ». Cette phrase met en exergue ce que j’appelle la rhétorique de la nature. Celle-ci consiste à dire que les rapports hommes-femmes ne sont pas régis par des constructions sociales et historiques et des représentations genrées qui forment nos imaginaires, et que nos actions procèdent de ces représentations, mais que l’ordre social dans lequel nous vivons n’est que l’œuvre de la nature et bien évidemment la nature a toujours raison.

Cette rhétorique consiste donc dans un premier temps à justifier les oppressions qui sont en place. Il faut leur donner un sens, un rôle, un but pour que personne ne les déconstruise et ensuite tenter d’établir un argument d’autorité, ici la nature. Un petit exemple avec Tugdual Derville, médaille d’or de la justification à deux balles et aussi délégué général de l’association Alliance VITA, connue pour ses positions contre l’avortement, et contre le mariage et l’adoption des personnes de même sexe. On le voit ici sur le plateau de Pascal Praud (CNews) en septembre 2017 dans un débat intitulé « Pour ou contre la théorie du genre » face à Caroline de Hass.

Son intervention est, selon moi, représentative de la manière dont le monde viriarcat/patriarcal tente de se justifier aux autres et à lui-même. Tous les moyens sont bons. Tugdual Derville parle ici de « l’ADN mitochondrial« . Quésaco ? Selon une définition de Futura santé, « l’ADN mitochondrial est une molécule d’ADN circulaire que l’on retrouve dans la mitochondrie. Cette molécule d’ADN code pour une partie des protéines et des ARN spécifiques au fonctionnement de la mitochondrie. L’avantage d’utiliser l’ADN mitochondrial pour l’analyse de la diversité génétique de nos ancêtres, réside dans le fait que les mitochondries sont transmises uniquement par la mère. Cela permet donc de suivre des populations en comparant le degré de similarité de leur ADN mitochondrial ».

Tugdual Derville a donc raison de dire que l’on hérite cet ADN de notre mère car lors de la fécondation, l’ovocyte mature contient plus de 100 000 mitochondries alors que le spermatozoïde n’en contient que 100. Mais après avoir déclaré que nous héritions l’ADN mitochondrial de nos mères, il affirme : « Nous sommes différents biologiquement et ça… c’est du déni de réalité que de ne pas voir que ça peut avoir des différences sur le fonctionnement des êtres« . Le militant tente d’établir un élément de causalité entre l’ADN mitochondrial que nous héritons de nos mères et les comportements des individus, alors que d’après les éléments que la science nous donne, il n’y a aucun lien entre les comportements des êtres sexués que nous sommes et l’ADN mitochondrial.

Dans la même veine, nous avons nos amis du stage masculiniste de France 2, déjà évoqué dans le premier épisode. Voici le reportage en question :

À la troisième minute : « La peau de l’homme est plus épaisse que la peau de la femme (…) comme si l’homme, comme si le corps de l’homme, si vous voulez, le préparait à affronter l’extérieur et les travaux peut-être plus rudes (…) Dans presque toutes les sociétés, on attend de l’homme qu’il ait ce rôle de guide ». L’homme serait donc un être fait pour l’extérieur du fait de sa peau plus épaisse et par opposition la femme, du fait de sa peau moins épaisse, serait donc faite pour le foyer. Le monde viriarcat/patriarcal est prêt à tout pour justifier son existence et Olivia Gazalé nous le dit très bien : « Cette légitimation par la nature (ou naturaliste) des inégalités entre les sexes les renforce considérablement : si la hiérarchie entre les sexes procède d’un ordre cosmique immuable, alors il est impossible (et vain) de la remettre en question ».

Ces deux exemples sont des illustrations flagrantes de la manière dont le monde viriarcat/patriarcal se justifie mais nous avons tous grandi en intériorisant ses règles et ses représentations. Combien de fois avons-nous dit ou entendu lorsqu’il était question des différences hommes-femmes « Non mais c’est les hormones ! » ou alors « Non mais tu sais c’est à cause de la testostérone ! » ?

Prenons les débats sur la « théorie du genre ». Une polémique qui a d’abord commencé par une rumeur : une « théorie du genre » serait enseignée à l’école pour nier les différences sexuelles entre filles et garçons. Le but ? Détruire le modèle traditionnel de la famille et encourager l’homosexualité. Même le Pape François s’y était mis : il avait dénoncé un « sournois endoctrinement à la théorie du genre » au travers des manuels scolaires des élèves français. Ce qui n’était évidemment pas le cas. Puis le débat s’est élargi à la « théorie du genre » dans la société en général.

Il nous faut cesser de donner à la nature des propriétés qu’elle n’a pas. Le déterminisme génétique n’est pas hégémonique et ne peut à lui tout seul rendre compte des oppressions qui se jouent. Il nous faut aussi déconstruire cette idée que la différence entre les sexes reposerait sur une différence fondamentale des cerveaux de ces êtres sexués.

Une tâche à laquelle s’est attelée la neurobiologiste Catherine Vidal au micro d’Ali Baddou (France Inter) : « Il existe dans la société des inégalités entre les femmes et les hommes. Très longtemps, on a avancé l’argument que ces inégalités avaient une origine biologique, et en particulier que si les femmes étaient multitâches et incapables de lire une carte routière, c’était parce que dès la naissance il y avait dans leur cerveau des neurones qui n’étaient pas câblés de la même façon que les garçons, qui eux sont bons en maths et faits pour la compétition et le pouvoir. À chaque fois, on va convoquer et instrumentaliser la biologie pour justifier les inégalités entre les femmes et les hommes dans la société, c’est un sujet qui ne date pas d’aujourd’hui, hélas ! »

Quand ce n’est pas sur les différences génétiques, la rhétorique de la nature s’opère à une autre échelle, une échelle macroscopique. « Lorsque l’on s’interroge sur les origines de la domination masculine – qu’il vaut mieux nommer viriarcat que patriarcat, puisque l’homme détient le pouvoir, qu’il soit père ou non –, on peut vite céder à la facilité de l’explication purement morphologique. C’est l’argument le plus évident, le plus immédiat, le plus communément partagé et pourtant le moins souvent discuté pour rendre compte de la minoration historique de la femme : celui de la force physique. À la question ‘Comment expliquer que les femmes aient accepté de se soumettre à la puissance virile?’, il suffirait de répliquer : ‘Elles n’eurent pas le choix, car les hommes étaient plus grands et plus forts' », écrit Olivia Gazalé dans son livre Mythe de la Virilité. Ces différences anatomiques entre les sexes ne sont pas si naturelles que cela…

Miguel SHEMA

(Re)Lire l’épisode 1

À suivre « Épisode 3 : La déification de la nature »

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