Le Bondy Blog : Vous êtes l’auteur d’un rapport parlementaire sur l’intégration. Sur quoi repose-t-il ?

Aurélien Taché : Ça a été pour moi un moment important parce que ce rapport traite d’un sujet dont on parle mal ou peu, celui de l’intégration des étrangers qui arrivent en France. Je précise bien l’intégration des étrangers qui arrivent en France parce que souvent, quand on parle d’intégration, on y met parfois un peu tout et son contraire et évidemment, l’intégration ne peut se poser que pour des gens qui ne sont pas français. Il s’agit de voir quels sont les moyens et les outils dont disposent ces personnes quand elles arrivent pour apprendre le français, pour accéder à un emploi.

Le Bondy Blog : Combien de temps a pris l’élaboration de ce rapport et avez-vous eu tous les moyens pour mener à bien votre mission ?

Aurélien Taché : Je l’ai commencé fin septembre et je l’ai remis le 19 février. Effectivement, j’ai eu des moyens qui étaient importants puisque j’ai pu avoir trois membres de l’administration à mes côtés pour m’aider dans l’écriture de ce rapport.

Le Bondy Blog : Est-ce que les propositions que vous portez vont-être reprises par le gouvernement dans son projet de loi asile et immigration ? Si oui, toutes ou certaines ? Et lesquelles ?

Aurélien Taché : Je le souhaite. Le Premier ministre m’a dit que certaines des propositions pourraient être dans la loi. Pour d’autres, c’est en discussion vu que le rapport contient 72 propositions. Comme par exemple le fait de pouvoir travailler plus tôt quand on arrive en France et qu’on est demandeur d’asile, que les cours de français démarrent plus tôt, que l’on ait des titres de séjours plus longs. Je trouve scandaleux et totalement injustifié aujourd’hui qu’on continue de donner des titres d’un an à des gens dont on sait qu’ils vont rester et qu’à peine six mois après leur arrivée, ils sont obligés de recommencer d’interminables rendez-vous en préfecture pour obtenir leur titre. Tout ça, ce sont des propositions que je souhaite voir mises dans la loi et je vais les défendre. Le gouvernement m’a déjà dit qu’il trouvait qu’on mettait trop de temps pour avoir le droit de travailler quand on arrive en France ou pour apprendre le français. Pour d’autres propositions, il ne m’a pas encore répondu. On continue de travailler pour faire en sorte qu’elles soient reprises aussi.

Le Bondy Blog : Vous proposez de porter à 60 heures au lieu de 12 la partie civique destinée à mieux « connaître la France et [à] s’approprier les valeurs civiques » dans le cadre du Contrat d’Intégration Républicaine. Est-ce à dire, selon vous, que les étrangers ne s’approprient pas les valeurs civiques ?

Aurélien Taché : Bien au contraire ! Aujourd’hui, dès que vous arrivez en France et qu’on vous donne un titre de séjour, vous êtes tenus de signer ce contrat d’intégration. Vous pouvez avoir droit à des heures de français et vous êtes obligés de passer deux journées de formation civique pour apprendre la France. La première journée est consacrée aux valeurs de la République, la deuxième à des choses beaucoup plus pratiques mais c’est assez mal fichu, je trouve. Très concrètement, je suis allé assister à ces formations sur les valeurs de la république où on vous enseigne Clovis, Charlemagne. On vous enseigne, dans la même journée, ce que serait soi-disant la laïcité, ce que serait toute cette histoire de France et de la République. Je pense que c’est assez inutile de la manière dont s’est fait. Je ne suis pas sûr que quand on arrive en France, la plus important est de savoir si on connait l’histoire de Clovis ou de Charlemagne. Ce que je propose, c’est quelque chose de plus concret et que ce soit plus ouvert qu’aujourd’hui. Qu’on dise vraiment aux gens comment trouver un job en France, comment trouver un logement, qu’on les forme sur des choses très pratiques plutôt que d’être sur des grands principes et des grands discours théoriques qui, à mon avis, sont complètement décalés par rapport à la réalité de ce que vivent les gens. Il faut revenir sur ce qu’est la France mais de manière plus pratique qu’aujourd’hui et pas avec un powerpoint, comme j’ai pu le voir, où on fait la hiérarchie des normes, où on fait l’histoire de France, etc. Il faut faire intervenir des jeunes en service civique, des gens qui sont arrivés en France il y a quelques années, pour qui ça s’est bien passé, qui ont envie de parler de leurs parcours. Des enseignants à la retraite pourraient aussi donner de leur temps dans le cadre de la réserve citoyenne.

Le Bondy Blog : Vous suggérez de réviser les critères d’octroi de la nationalité pour tenir compte de la motivation des candidats, davantage que de la durée de résidence. C’est-à-dire ?

Aurélien Taché : Aujourd’hui, quand vous demandez la nationalité, il y a en moyenne 12 ans entre le moment de la demande et celui de l’obtention. Je trouve que 12 ans, pour obtenir la nationalité,  pour des gens qui vivent là depuis plusieurs années, qui parlent français, qui travaillent, c’est beaucoup trop long. Pourquoi on les fait attendre pour qu’ils obtiennent la nationalité ? Aujourd’hui, il existe encore un critère dans la loi qui prévoit une résidence d’au moins cinq ans pour obtenir la nationalité. Plutôt que la priorité soit de regarder depuis combien de temps ils sont sur le territoire, demandons-nous plutôt ce qu’ils y ont fait, ce qu’ils y font. À partir du moment où ils parlent français, à partir du moment où ils travaillent, si en plus ils sont engagés dans une association, qu’est-ce qui fait qu’on ne leur donne pas la nationalité ? La question que je pose est de se dire « qu’est-ce qui justifie, aujourd’hui, de faire attendre les gens si longtemps ?« . Une fois qu’ils ont vraiment démontré qu’ils avaient envie d’être en France, que leur nouveau pays, c’est la France, qu’ils puissent devenir français.

Le Bondy Blog : Vous voudriez raccourcir ce laps de temps jusqu’à combien d’années ?

Aurélien Taché : C’est forcément du cas par cas. Mais 12 ans, c’est beaucoup trop long ! Aujourd’hui, si ça dure 12 ans, c’est parce que l’instruction des dossiers prend un temps fou. J’ai vu plein de gens qui me disaient qu’ils étaient venus une première fois et qu’ils devaient revenir dans un an ou deux car ils ne sont pas en France depuis assez longtemps. C’est à ça que je veux mettre fin ! Et si quelqu’un a vraiment trouvé toute sa place, a un travail, peut fonder une famille, parle le français, je n’aurais aucun problème à ce qu’en deux ans on lui octroie la nationalité !

Le Bondy Blog Une de vos propositions est de créer une agence dédiée à l’intégration des étrangers. Mais l’Office français de l’immigration et de l’intégration existe déjà et fait ce travail. Pourquoi créer une nouvelle agence aux mêmes missions ?

Aurélien Taché : Très bonne question ! L’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration fait ce travail, vous avez raison mais il ne fait pas que ça ! Précisément, dans le mot Office français de l’immigration et de l’intégration, il y a aussi le mot immigration et l’agence s’occupe surtout d’immigration finalement. Elle s’occupe de gérer les places d’hébergement pour les demandeurs d’asile,  de gérer les aides au retour. Bref, elle s’occupe de ce qu’on appelle la politique migratoire et par définition, c’est soumis à des contraintes conjoncturelles, dans l’urgence de situations où plus de gens arrivent, moins de gens arrivent, des gens restent, d’autres partent. C’est un métier en soi ! L’intégration, c’est aussi un métier en soi. Et quand on a en charge l’immigration, généralement on ne prend jamais le temps de faire de l’intégration parce que le dossier immigration prend trop de temps. L’intégration est un sujet suffisamment sérieux pour qu’on ait une agence qui ne s’occupe que de ça. Par exemple, au sujet du programme des valeurs civiques, j’aimerais qu’on ait des artistes, des pédagogues, des professeurs qui puissent réfléchir sur le contenu. C’est un métier à part entière et dans une agence de l’intégration, on pourrait le faire. Je propose aussi qu’on ait des organismes professionnels qui puissent venir siéger dans cette agence pour qu’on construise des parcours professionnels des étrangers parce qu’il y a des spécificités. Reconnaître les compétences de tel ou tel pays : un architecte en Syrie ou en France, ce n’est pas la même chose. On a besoin d’une agence qui ne fasse que travailler sur l’intégration. Tant que la question de l’intégration sera traitée avec celle de l’immigration, le travail sur l’intégration ne sera jamais fait.

Le Bondy Blog Vous suggérez que les services publics se dotent de « données objectives sur la nationalité«  et que le recensement intègre « une question sur la nationalité des parents ». Pouvez-vous nous expliquer ?

Aurélien Taché : J’aimerais qu’on produise des statistiques sur l’intégration des étrangers. Aujourd’hui, nous n’avons aucun organisme du service public qui est capable de dire si les étrangers ont plus de difficultés que d’autres à accéder à l’emploi, à accéder à des services, à leurs droits et qui analyse ces difficultés. Si je demande ça, c’est parce que c’est le cas mais j’aimerais qu’on puisse le chiffrer, l’évaluer précisément. Ensuite, il me semblerait intéressant qu’on suive sur la durée si les immigrés et leurs enfants ont plus de difficultés que d’autres, ou pas, à trouver un job, à faire des études, à trouver toute leur place en France. On intègre dans le recensement, la question de la nationalité des parents, qui n’existe pas aujourd’hui et qui ne nous permet pas de suivre sur plusieurs générations. Je propose qu’on créé un observatoire pour évaluer cette intégration et qui pourrait faire partie de cette agence de l’intégration pour laquelle je plaide.  

Le Bondy Blog : Cela veut-il dire accepter de faire des statistiques ethniques ? Si oui dans quel but ?

Aurélien Taché : Non. Pas de statistiques ethniques. Ce n’est pas souhaitable. Ce n’est pas la tradition de la France et à mon avis, ce n’est pas utile. La vraie question doit être assez simple : français ou étranger. Si vous n’avez pas la nationalité française, qu’est-ce que ça change pour vous ? Quelles sont les difficultés particulières que vous pouvez rencontrer ? Après, je pense que la question des statistiques ethniques, en tant que telles, ne me parait pas indispensable pour travailler sur la question de l’intégration. Dans les pays où c’est mis en œuvre, il y a des questions qui se posent. Comment définit-on une ethnie par rapport à une autre ? Je pense que c’est une fausse bonne idée. Restons-en à des choses simples.

Le Bondy Blog Vous plaidez pour des reconnaissances partielles de qualifications et un accès plus facile à certaines professions notamment médicales ou dans la fonction publique. Qu’en est-il des professionnels de la santé venus de l’étranger dont les diplômes ne sont pas reconnus ou qui sont payés bien en dessous par rapport à leurs semblables français, les médecins par exemple ?

Aurélien Taché : Justement, j’aimerais qu’on arrive à reconnaitre beaucoup mieux ces diplômes qu’aujourd’hui, où on est obligé, dans la quasi-totalité des cas, de tout recommencer une fois arrivé en France. Vous arrivez en France, avec un diplôme d’infirmier ou d’aide-soignant, par exemple, on vous dit que ce diplôme n’est pas reconnu. Vous allez devoir reprendre vos études de A à Z. Si vous arrivez du Moyen-Orient par exemple, comme c’est le cas de beaucoup de réfugiés aujourd’hui, vous ne parlez pas le français. Vous êtes obligé d’apprendre le français et de recommencer vos études. Or, qu’est-ce qui différencie un infirmier en Syrie d’un infirmier en France ? Il y a certainement des choses un peu différentes, il faut travailler sur l’adaptation mais globalement, le métier est le même. On soigne de la même manière en Syrie qu’en France. Je plaide pour qu’on mette des procédures de remise à niveau, d’équivalence des diplômes en fonction du pays où on arrive. Une fois après, ils doivent être payés de la même manière que leurs collègues français. S’il y a une inégalité de salaire entre les deux, c’est une injustice totale et les statistiques que j’évoquais tout à l’heure, sur les différences entre étrangers et français qui vivent sur le sol français, doivent permettre de mettre fin à ce type de situation inacceptable.

Le Bondy Blog :  Un certain nombre de professions sont aujourd’hui clairement réservées aux Français et/ou Européens, validant dans notre droit la notion de préférence nationale. Faut-il en finir avec ce système discriminant ?

Aurélien Taché : Je le pense, oui. Quand on entend un certain nombre de personnes, notamment au Front national où chez ceux qui flirtent aujourd’hui avec ses idées, dire qu’il faudrait une préférence nationale en France, je leur réponds qu’elle existe déjà, pour partie en tout cas. Quand vous avez tout un tas de métiers qui ne sont pas ouverts aux étrangers, quand vous avez des patrons, des chefs d’entreprises, qui sont obligés de payer des taxes supplémentaires quand ils recrutent un étranger qui a des papiers, qui s’est vu octroyer le droit d’asile, qui a eu un titre de séjour car il y a des procédures particulières pour se faire autoriser le travail. Même si vous avez un titre de séjour, ça ne vous donne pas automatiquement l’autorisation de travailler. Je souhaite qu’on mette fin à la préférence nationale dans le travail. À partir du moment où on dit à quelqu’un qu’il peut venir en France, il doit avoir les mêmes possibilités que les autres d’y travailler, d’y faire sa vie. Il ne doit pas y avoir, dans la loi, des verrous qui l’empêchent de travailler parce que le travail est fondamental quand on parle d’intégration, d’autonomie, de pouvoir construire sa vie.

Le Bondy Blog Certaines de vos propositions suggèrent de traiter des demandes plus vite ou d’ajouter des nouvelles missions aux agents publics, par exemple un entretien professionnel dans le cadre du Contrat d’intégration républicaine. Pourtant le gouvernement actuel et sa majorité LREM à laquelle vous appartenez prévoit de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires. Comment faire ?

Aurélien Taché : J’entends votre question. Pour moi, les choses ne sont pas binaires. On peut dire « ici, on a besoin de plus d’agents« , puis ce ne sera pas forcément des fonctionnaires qui feront cet entretien professionnel. On peut imaginer que ce soient des agents qui sont dans un organisme comme l’AFPA, qui travaille sur la question de l’accompagnement à l’emploi. C’est une proposition que je fais dans mon rapport. Pour répondre à votre question, je n’ai pas de problème à ce qu’on dise que sur les 5,5 millions de fonctionnaires en France, il y a peut-être des endroits où on n’a finalement plus besoin d’autant d’agents publics. Il y a peut-être des doublons, il y a peut-être des missions qui, demain, vont évoluer parce qu’on va dématérialiser un certain nombre de prestations comme par exemple, dans la Sécurité sociale, où l’on va faire évoluer un certain nombre de métiers. Mais dans d’autres domaines, il faut réembaucher des fonctionnaires parce qu’on en a pas assez. C’est le cas des professeurs, de la justice. On sait très bien le temps que mettent les délais de rendu de la justice procès aujourd’hui parce que les tribunaux sont engorgés. Il faut regarder là où on a besoin d’agents et là où il y a peut-être moins besoin qu’auparavant. En tout cas, pour la question de l’intégration des étrangers, on a besoin de monde.

Le Bondy Blog : Aujourd’hui une centaine de travailleurs sans papiers sont en grève et demandent à être régularisés. Ils sont présents sur le sol français depuis plusieurs années, travaillent. Faut-il répondre à leur demande ?

Aurélien Taché : Il faut en tout cas l’entendre et regarder quelle est exactement la situation de ces personnes. Je ne dis pas qu’on peut, comme ça, d’une manière générale, dire à tout le monde qu’on va donner un titre de séjour. Ce n’est pas mon propos. Mais, à l’inverse, des gens qui sont là depuis des années, qui ont commencé à construire leur vie, à travailler, on ne peut pas faire comme s’ils étaient invisibles. Aujourd’hui, il y a beaucoup trop d’étrangers qui sont dans l’impasse : soit ils ne relèvent pas de l’asile, soit ils n’avaient pas de famille en France. Mais pour une raison ou pour une autre, ils sont venus travailler en France. Il faut regarder ces situations parce qu’on ne peut pas tolérer que des gens restent pendant des années sur le territoire, qu’ils ne repartiront pas parce qu’ils ont construit leur vie ici. S’ils travaillent, s’ils ont une famille, c’est que finalement, ils sont bien ici et que la France n’a pas de raison de leur dire de repartir, ou du moins si elle devait le faire, ce serait plus tôt. Il faut regarder dans certains cas et régulariser ces personnes, je n’ai pas de difficultés à vous dire cela.

Le Bondy Blog : Aujourd’hui en 2018, des mineurs étrangers sont mis en centre de rétention administrative. La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme à ce sujet. Faut-il en finir avec la rétention administrative des mineurs selon vous ?

Aurélien Taché : Je ne suis pas très à l’aise avec l’idée qu’on mette des mineurs en rétention. Peut-être que, parfois, il peut arriver que des gens soient avec leurs parents et qu’on passe par ce type de cas. Je souhaite que ce soit vraiment le moins de cas possible parce que ce n’est pas neutre la rétention, c’est un régime de privation de liberté. Certains collègues de La République En Marche sont allés visiter des centres de rétention. C’est important que des députés fassent ça, voir, concrètement, dans quelles conditions les gens sont retenus. On a des progrès à faire ! On sait bien que la France est souvent condamnée pour l’état de ses prisons, mais on parle un peu moins des centres de rétention des étrangers. Très sincèrement, il y a des centres où vraiment les conditions ne sont pas bonnes. Il faut vraiment que tout cela change. Et quand on a ça en tête, il est évident que la place d’un enfant n’est pas dans un centre de rétention. Si on peut en finir avec la rétention des mineurs, alors oui, ce serait une très bonne chose. À titre personnel, la rétention n’est pas quelque chose qui me satisfait.

Le Bondy Blog : Quelles seraient ces alternatives ?

Aurélien Taché : Des aides financières par exemple. Je vais vous raconter une anecdote. Dans le cadre de ma mission, j’ai rencontré une association qui travaille dans le Nord de la France et qui me disait savoir à 99% si des gens auront l’asile ou non. Il y avait une famille arménienne hébergée dans le centre. De par leur histoire, leur parcours, je voyais bien qu’ils auraient peu de chance d’avoir l’asile puisqu’ils n’étaient visiblement pas persécutés en Arménie. Ils vivaient une situation difficile, sinon ils ne seraient pas venus en France. Mais pas persécutés au sens de la convention de Genève. Dès le départ, l’association leur a dit qu’ils auraient très peu de chance d’avoir l’asile. Et cette famille s’est demandé ce qu’elle va faire une fois de retour en Arménie. À ce moment-là, ils ont eu l’idée d’ouvrir une boutique de souvenirs et ils estimaient que ce serait plus simple pour eux s’ils parlaient français. Donc, l’association a appris le français à cette famille. Les gens ont appris à parler français couramment. Ce qui fait que, dans mon rapport, je propose qu’on apprenne le français dès le départ, quand bien même il n’y a pas eu de décision d’asile, parce que je considère que s’ils restent en France, c’est du temps gagné, et que s’ils doivent repartir, ils ne soient pas venus pour rien. Pour cette famille, la décision d’asile est tombée, négative. Elle est repartie en Arménie. Quelques mois plus tard, elle a envoyé des photos de la boutique de souvenirs qu’elle a ouverte à Erevan, avec marqué sur la vitrine « ici, on parle français« . Je ne dis pas que ça peut se passer comme ça à chaque fois, mais je dis qu’à chaque fois que ça peut se passer comme ça, ça évite des drames humains. C’est une manière parmi d’autres de travailler sur le retour.

Le Bondy Blog : Ne craignez-vous pas que votre rapport serve de caution humaniste à une politique migratoire française extrêmement restrictive ?

Aurélien Taché : D’abord, je ne crois pas que la politique migratoire que mènera ce gouvernement et cette majorité sera extrêmement restrictive. Je pense qu’elle pose des questions sur ce qui se passe une fois qu’on a eu l’asile ou qu’on ne l’a pas eu. Aujourd’hui, très peu de gens qui n’ont pas eu l’asile repartent et c’est un sujet soulevé par ce gouvernement. Je le comprends parce que si on veut bien faire en matière d’asile, en matière d’intégration de manière générale, il faut aussi qu’à un moment, on soit en capacité de dire à quelqu’un qui n’a pas eu l’asile qu’il ne peut pas rester. Après, est-ce que je suis une caution, la réponse est non, mais si mon travail peut vraiment enrichir, compléter ce qu’on fera par ailleurs sur des sujets plus difficiles comme le retour et permette d’avoir une vraie politique de l’intégration qu’on n’a pas dans ce pays depuis 30 ans, alors oui. Chaque fois qu’on parle d’intégration, c’est instrumentalisé politiquement. Quand ce sont des gens qui se placent du côté de la droite réactionnaire, on utilise cette question pour dire qu’il y a un problème avec l’immigration. Quoique les étrangers fassent, même s’ils ont leur titre de séjour, tant qu’ils ne connaissent pas l’histoire de France sur le bout des ongles et qu’ils ne chantent pas la Marseillaise trois fois par jour, ce ne sera jamais suffisant aux yeux de certains. Je pense à des gens du Front national et même à des gens comme Laurent Wauquiez : j’aimerais voir s’ils la connaissent par cœur, la Marseillaise. Mais à gauche, ce n’était pas toujours mieux non plus ! Dès que vous parliez d’intégration, on vous disait : « Mais attendez, les étrangers. Il n’y a pas plus de problème que les autres. Qu’est-ce que ça veut dire ? L’intégration, finalement, c’est pour tout le monde pareil, une fois qu’on a les papiers« . Et bien non, ce n’est pas pour tout le monde pareil ! On a un étranger sur deux qui suit des cours de français à l’OFII et qui atteint le premier niveau de français. C’est bien qu’il y a un problème et qu’il faut faire quelque chose. Si ce que je propose permet de pouvoir apporter des réponses à ces questions-là, j’en serais absolument heureux et je me dis que cette majorité aura vraiment fait quelque chose que jamais une autre aura fait auparavant.

Le Bondy Blog : Au sein de la République en marche, vous vous occupez également de la question de la laïcité. Est-ce que laïcité et immigration sont liées, pour vous ? Si oui, pour quelle(s) raison(s) ?

Aurélien Taché : Pour moi, elles ne sont pas directement liées. Sur les 200 pages du rapport et les 72 propositions, il n’est pas du tout question de la laïcité parce que cela n’a rien à voir pour moi. Le fait de parler d’intégration c’est de se demander comment les étrangers peuvent être autonomes en France, comment ils peuvent avoir les mêmes chances que les Français, y construire leur vie. La laïcité n’a pas grand-chose à voir là-dedans. Il y a, peut-être, un point commun, c’est que quand on parle d’intégration, on parle de tout sauf vraiment d’intégration, en fait. On parle de laïcité, de religion, on parle des quartiers populaires, des droits des femmes. Bref, autant de sujets qui n’ont strictement rien à voir avec l’intégration. Mais la laïcité, c’est souvent la même chose. On parle d’intégration pour dire qu’il y aurait une forme de problème avec l’immigration et on parle de la laïcité pour dire qu’il y aurait une forme de problème avec la religion. On ne sait pas bien quoi, mais quand on en parle, c’est ça. Le point commun est peut-être là. Je m’intéresse à ces questions parce que si elles ne sont pas directement liées, elles répondent à une forme de malaise en France. On a une droite qui les agite pour faire peur, pour séduire un électorat et on a une gauche qui ne s’y est jamais intéressée, qui pense que tout se résume à la question sociale et qui ne s’est jamais dit qu’en fonction d’où l’on vient, de notre genre aussi, de notre religion, en fonction des milieux fréquentés, des écoles qu’on a pu suivre, il y a plein de choses qui sont extrêmement différentes et qui ne se règlent pas uniquement par des questions de redistribution de richesses. C’est pour ça que je m’intéresse à ces questions-là. Je pense qu’elles correspondent à des fragilités dans la société française et qu’il faut pouvoir travailler sur ces fragilités. La France est dans une situation où elle s’interroge beaucoup sur elle-même. Il y a eu les événements terribles en 2015, les attentats. Il y a eu des choses qui font que le pays est plus que jamais dans le doute. Et pour qu’on continue de faire France, de faire société, il faut interroger toutes les questions qui se posent. Sans tabou, sans complexe.

Le Bondy Blog : Une fois qu’on a dit que ce n’est pas lié, la laïcité c’est quoi?

Aurélien Taché : Si on revient à la notion de laïcité, c’est d’abord la liberté, celle de ne pas croire, mais aussi de croire. Et les deux sont à égalité ! Certains essaient de lui faire dire ce qu’elle ne dit pas comme par exemple le fait que la religion doit se faire la plus discrète possible, que vous n’avez pas le droit de porter un voile. La laïcité ne dit pas tout ça ! Elle dit simplement qu’il y a des gens qui croient et qui ne croient pas. L’État et la religion sont séparés, mais après, les citoyens sont libres de croire ce qu’ils souhaitent, dans le respect des lois, cela va sans dire. Voilà pourquoi je m’intéresse aussi à ces questions et que je souhaiterais continuer ce travail dans La République En Marche parce que nous portons l’idée d’une société ouverte, où on ne juge pas les gens pour ce qu’ils sont, pour ce qu’ils croient, l’idée d’une société où les gens sont libres de faire leur choix.

Le Bondy Blog : Quand la laïcité est évoquée dans l’actualité, c’est souvent par rapport à l’islam. Est-ce que cela induit une vision discriminante de la laïcité à la française selon vous ?

Aurélien Taché : La laïcité à la française, si on en revient sur ce qu’elle est, c’est la neutralité de l’État. Il ne finance pas de culte. C’est la loi en France et c’est très bien comme ça. C’est aussi la liberté du citoyen. C’est ça, la laïcité à la française ! Ceux qui veulent lui faire dire autre chose, ils ont une vision bien précise de la laïcité qui ne correspond pas à la laïcité à la française. Une conception particulière qui n’a rien à voir avec la laïcité. Ceux-là s’engagent sur le terme de l’identité. Ils ont une conception identitaire de la République qui peut être discriminante, notamment sur l’islam, puisque si vous avez choisi de croire en Allah, si vous avez choisi de porter un voile, ce n’est pas à la France ou à l’État français de venir porter un jugement de valeur là-dessus. Ils mènent un combat politique qui n’est pas celui de la laïcité, qui est un autre combat politique.

Le Bondy Blog : Comme Manuel Valls ?

Aurélien Taché : La conception de la laïcité que je défends rejoint celle d’Emmanuel Macron. Et Emmanuel Macron a dit que la laïcité ne devait pas être une nouvelle religion qui se substitue aux autres, une forme de religion républicaine. Il a dit qu’on doit pouvoir, dans ce pays, dialoguer avec les cultes sans qu’on se voit reprocher au prétexte de la laïcité. Cela n’a strictement rien à voir. Pourquoi les cultes seraient les seuls à ne pas avoir voix au chapitre dans une société démocratique ? Si Manuel Valls est d’accord avec tout ça, très bien. Mais c’est vrai que quand on entend certaines de ses déclarations, parfois, et notamment quand il prône l’interdiction du voile à l’université ou autre, j’ai le sentiment qu’il s’éloigne d’une vision qui est, pour moi, celle de la laïcité française qui est une laïcité de liberté, pour être dans un combat politique que je respecte mais qui est tout autre.

Le Bondy Blog : Comment décrisper toutes les tensions développées autour de la laïcité ces derniers temps, selon vous ?

Aurélien Taché : En revenant à des choses très concrètes. En allant sur le terrain, rencontrer des responsables associatifs, des professeurs, des chefs d’entreprise, et même au-delà de la laïcité parce que ce qui est en creux est la question du rapport avec la religion en France. Il faut décrisper cette question. On est dans une tradition française depuis les Lumières, où les philosophes rationalistes s’inscrivaient dans une sécularisation de la société, où la religion devait tenir le moins de place possible. Ce n’est pas partout comme ça. En Allemagne, en Angleterre, il y a eu aussi les Lumières au 18e siècle et on n’a pas forcément considéré que ça allait de pair avec un recul de la religion. Quand les débat sur la laïcité sont revenus à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, avec la loi de séparation de l’État et de l’Église, il y a une tradition anticléricale qui s’est construite. Et tout ça a conduit, quelque part, à une forme de malaise avec la religion en France. Il faut pouvoir réaffirmer que la laïcité est simplement la neutralité de l’État et la liberté de culte du citoyen et décrisper ce rapport à la religion, en allant voir des prêtres, des imams, des rabbins, en allant voir des professeurs sur le terrain, des associations, des gens comme la Ligue de l’enseignement qui font un travail remarquable qui démontrent que ça peut tout à fait bien se passer, à partir du moment où on ne fait pas dire à la laïcité ce qu’elle ne dit pas et à partir du moment où on est ferme sur certains principes. A l’école, par exemple, tout doit pouvoir être enseigné On sera d’autant plus à l’aise pour dire ça si les gens sont absolument certains qu’il n’y a pas de problème avec leur religion par principe, mais que c’est bien juste une question de vivre ensemble, une question de trouver les bonnes manières pour assurer la vie entre croyants et non-croyants. Il y a un gros travail à faire pour décrisper ce rapport à la religion en France et pour mieux réaffirmer notre laïcité ensuite.

Propos recueillis par Jonathan BAUDOIN

Crédit photo : Robin GORET

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