Le 6 février est devenu la journée mondiale de lutte contre les mutilations génitales féminines. Ces violences concernent près de 140 millions de filles et de femmes à travers le monde, dont 60 000 en France. Rencontre avec une militante de la cause.

Dans le cadre du lancement en France de la campagne Excision parlons-en, nous avons rencontré Khady Koita. Née au Sénégal en 1959 et excisée toute petite, elle a écrit un livre (Mutilée, Oh ! Editions, 2005) pour dénoncer cette mutilation sexuelle. Elle participe aujourd’hui activement à l’action du Gams (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles) contre ces pratiques.

A quel âge avez-vous subi l’excision ?

J’ai subi l’excision à l’âge de sept ans et je n’ai eu aucune explication de la part de ma famille, ni avant ni après l’intervention. Je me suis mariée à treize ans et je suis arrivée en France à quatorze.

Quel a été le déclic pour que vous décidiez de lutter contre l’excision ?

En arrivant en France dans les années 1970, j’étais interprète : j’aidais les familles à remplir les papiers de Sécurité sociale, leurs courriers ou j’accompagnais les femmes à la Protection maternelle et infantile. C’est à cette époque que j ai vu et entendu la souffrance chez ces femmes et la violence dans ces familles. Cette lutte contre l’excision est venue à la suite de la mort de petites filles en 1982. Cela m’a révoltée, surtout qu’en plus, à ce moment-là, je subissais moi-même des violences conjugales. Je me suis dit qu’il n’était plus possible que toutes les violences du monde soient tournées contre les femmes, surtout celles qui sont illettrées… Selon une enquête de l’Institut national d’études démographiques (Ined), 60 000 femmes sont excisées en France. Et parmi elles, 11% de ces filles nées dans les années 1970 à 1980 ont été excisées sur le territoire français.

Quel est votre rôle au Gams ?

Je suis entrée au Gams en 1985 en tant que bénévole. Aujourd’hui, je suis formatrice et donc, je forme les personnes qui travaillent dans le domaine social, éducatif ou médical sur la problématique des mutilations sexuelles et des mariages forcés. J’anime également des conférences et des débats sur la vie quotidienne des femmes africaines.

Je vais aussi dans des écoles pour organiser des débats et des animations auprès des jeunes sur cette problématique. Leur réaction est très positive bien que ce soit des sujets difficiles comme le mariage forcé. Le débat est fructueux. Les jeunes se livrent en partageant des anecdotes. En fin de compte, je sens bien que ce sont elles-mêmes ou quelqu’un de très proche qui les ont vécues. A la fin, certaines viennent me voir pour prendre rendez-vous à l’association.

Au Gams, nous faisons beaucoup d’accompagnement en recevant les mères de familles qui viennent demander de l’aide. Elles recherchent un lieu de parole pour parler de leur vécu. Pendant longtemps, les problèmes psychologiques dus à l’excision n’ont pas été traités. Aujourd’hui, on le fait. Il est important qu’un suivi de ces femmes soit réalisé pour pouvoir mieux avancer sur la lutte contre l’excision et de les aider à se reconstruire.

Quelles sont les femmes que vous recevez à l’association ?

Beaucoup de femmes qui ont été excisées et qui ne veulent pas faire subir ça à leurs petites filles. En Afrique, nous avons rencontré aussi des matrones et on a fait un travail avec elles pour les convaincre que cette pratique n’a rien à voir avec la religion. Ce sont des traditions, des coutumes qu’elles doivent abandonner. Nous utilisons des images en montrant les dégâts causés sur le corps de la femme pendant l’accouchement ou dans sa vie sexuelle. On aide certaines matrones à se reconvertir en tant que sages-femmes ou d’autres à créer des savonneries, des groupes de teinturerie. On les aide à être utiles à la communauté.

Que pensent les hommes de l’excision ?

Nous rencontrons aussi les hommes pour en parler, car ce sont eux les instigateurs. Il faut les interpeller, car beaucoup d’hommes pensent que, pour la fille, c’est comme pour le garçon avec la circoncision : juste enlever un petit bout de peau. Lorsque nous leur montrons des images chocs, ils sont très faciles à convaincre. Beaucoup d’hommes sont francs et nous disent qu’avec leurs femmes, durant les rapports sexuels, ils ont l’impression d’être avec un bout de bois.

Pourquoi cette pratique existe t-elle ?

Elle sert à dominer et contrôler la sexualité de la femme, la clouer au rang de la procréatrice… Dans toutes les sociétés du monde, le « sexe faible », comme ils le disent, a toujours traumatisé les hommes car ils en ont une peur bleue. Une femme qui jouit de toutes ses facultés peut être dangereuse pour eux.

Est-ce que vous sentez que votre travail porte ses fruits ?

Je suis fière du travail qu’on a mené jusqu’à présent car avant, l’excision était tabou. Au début de Gams, on faisait le travail dans les pays africains. Aujourd’hui, on arrive à en parler au niveau international. On a réussi à faire voter une résolution à l’Onu. Cela signifie que tous les Etats se sont engagés à sauver ces petites filles, à les protéger et à réparer l’injustice faite à ces femmes.

Quels sont vos projets futurs ?

Il va y avoir des événements autour du 6 février 2013 qui est la journée de la lutte contre l’excision et des conférences sur ce sujet dans les jours à venir. Le Gams participe aussi à un collectif Excision parlons-en, qui prépare un grand colloque international sur cette question pour le 6 février 2014. Mon livre, Mutilée, a généré de l’argent qui m’a permis de construire un centre d’accueil et d’hébergement au Sénégal, pour des jeunes filles victimes de violences, qui fuient un mariage forcé ou une excision. Il est presque fini. Nous voudrions que le centre ouvre ses portes fin mars 2013 mais pour cela nous attendons des fonds.

Hana Ferroudj

 

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