« Je les condamne fermement, je ne les cautionne pas, je défends trop justement le métier des gardiens de la paix […] de ces ouvriers de la sécurité comme je les appelle», a affirmé Fabien Roussel, secrétaire national du Parti Communiste Français (PCF), député de la 20ème circonscription du Nord, et candidat à la présidentielle de 2022, lors de la Fête de l’Humanité, pour se désolidariser des spectateur·ice·s du concert du rappeur Soso Maness, qui ont repris en chœur un slogan classique des manifestations : « Tout le monde déteste la police ».


Les images du concert de Soso Maness, captées pendant la fête de l’Huma, le weekend dernier. 

Il y a quelques mois, il avait aussi annoncé sa participation à la manifestation de policiers, appelée par plusieurs syndicats de police, devant l’Assemblée Nationale, et tenu ces propos sur la gestion des flux migratoires sur un plateau de CNEWS : « Quand on ne bénéficie pas du droit d’asile, on a vocation à rentrer chez soi ». Des positions politiques qui ne représentent pas l’idéologie communiste pour certain·e·s jeunes militant·e·s.

À une époque ça n’aurait pas été imaginable qu’un secrétaire général du PCF se déplace à une manifestation de policiers.

Pour l’historien et ancien membre du PCF, Alain Ruscio « à une époque ça n’aurait pas été imaginable qu’un secrétaire général du PCF se déplace à une manifestation de policiers ». Il rappelle que « la culture communiste en France a eu comme fondation l’hostilité à la police, ainsi qu’à l’armée et la religion. Ce sont des traditions libertaires constitutives du PCF à sa naissance. Au moins jusqu’au Front Populaire la police était considérée comme un rouage de l’Etat répressif ». « Un vrai parti communiste devrait marquer sa différence de façon extrêmement forte contre toute l’idéologie dominante. Dans les circonstances actuelles, jouer avec ce sentiment d’insécurité et cautionner me parait assez contestable. »

Des cadres déconnectés des réalités de terrain défendues par les militant·e·s

Lucien, 21 ans, étudiant en communication politique à Créteil, adhérent au PCF et secrétaire général du mouvement des Jeunes Communistes du Val-de-Marne précise tout de suite ne pas militer pour le parti mais militer localement dans la ville où il vit, Villejuif (dirigée par un maire communiste) et dans son département. De parents communistes, il adhère à 14 ans aux Jeunesses Communistes et se politise plus intensément à travers les mobilisations pour la Palestine en 2014, et va commencer à militer concrètement en 2016 dans deux événements militants marquants : La campagne contre les contrôles au faciès qui a fait condamné l’État pour discriminations, et la lutte contre la loi Travail.

Au niveau national le parti je ne m’y reconnais plus. Que ce soit dans les positions de Fabien Roussel, ou d’autres élu·e·s. Ce qui m’a vraiment dégouté c’était leur abstention sur la loi séparatisme.

« Au niveau national le parti je ne m’y reconnais plus. Que ce soit dans les positions de Fabien Roussel, ou d’autres élu·e·s. Ce qui m’a vraiment dégouté c’était par exemple leur abstention sur la loi séparatisme. Même s’il y avait déjà une rupture, ça ça m’a vraiment marqué », explique Lucien. « Je fais une différence carrément entre jeunesse communiste dans le Val-de-Marne et tout le reste du mouvement, parce que localement il y a des choses qui se font. »

Alors que le Val-de-Marne, était le dernier département dirigé par le PCF, il a été perdu au profit de la droite aux dernières élections départementales, une campagne à laquelle Lucien avait activement participé. Pour le jeune communiste, aux « élections départementales, il y a quelque chose à défendre : « Quand je parle aux gens, je leur parle de la carte navigo remboursée pour les jeunes et les retraités, du dispositif Ordival qui met à disposition un ordinateur à chaque élève en 6e par exemple. » Le maire de Villejuif, Pierre Garzon, a aussi décidé de créer une brigade « de cadre de vie« , et de désarmer en partie la police de la ville, « c’est-à-dire de leur retirer les LBD et les tasers, mais pas les armes à feu » précise Lucien.

 Les déclarations de Fabien Roussel sont une insulte à l’engagement des communistes. Ce sont des positions hors sol qui se plient à l’agenda de l’extrême-droite.

Pour le jeune militant de terrain « les déclarations de Fabien Roussel sont une insulte à l’engagement des communistes. Ce sont des positions hors sol qui se plient à l’agenda de l’extrême droite ». Malgré ces oppositions idéologiques, il continue à s’engager concrètement dans son département : « Je choisis où je milite. Quand je milite localement, pour les départementales c’est utile aux gens, je ne le fais pas pour rien. Par contre c’est hors de question que je milite lors de la campagne présidentielle pour Fabien Roussel. »

C’est hors de question que je milite lors de la campagne présidentielle pour Fabien Roussel.

Lamia, 25 ans, étudiante en sciences humaines à l’université Paris 8, en stage dans un fond féministe, et membre de l’UEC depuis novembre 2020, rappelle que pour elle « le communisme n’est pas fait pour jouer le jeu électoraliste, il est fait pour partir de la base, il n’est pas fait pour draguer les électeurs du FN ou pour draguer la police ». Elle s’oppose aux déclarations de Fabien Roussel particulièrement sur « la gestion de la police et les questions antiracistes » et rappelle que, selon le marxisme, la police est « le bras armé de la bourgeoisie. Ils ne défendent pas juste les intérêts de l’Etat, ils défendent les intérêts de tous les bourgeois. » 

Parfois j’ai honte de dire que je suis au Parti Communiste.

Martin, 25 ans, chargé de mission de lutte contre les discriminations au centre départemental de Seine Saint Denis a commencé à nouer des relations militantes sur Twitter et s’est engagé à l’UEC en 2017, puis au PCF en 2018. Militant à la section du 19e arrondissement de Paris, il explique, comme Lucien, que localement « ça se passait très bien » mais « il y a eu un basculement militant au moment de la stratégie présidentielle qui a éclaté au grand jour. Lorsque j’ai vu la candidature de Fabien Roussel, je me suis dis que je n’allais pas faire campagne pour 2022. Après il y a eu tout le début de campagne de Roussel qui se matérialise aujourd’hui par deux pages dans Valeurs Actuelles qui font presque son éloge, c’est un peu le baiser de la mort. Et puis le point culminant, qui m’a fait partir en grande partie, c’est la participation à la manif des flics de Roussel. »

Rupture générationnelle et idéologique au sein du parti qui n’arrive pas à se renouveler

Le jeune homme de 25 ans a donc décidé de quitter le PCF il y a quelques mois et l’a annoncé sur Twitter : « Je ne voulais plus être associé au parti, j’avais l’impression de défendre l’indéfendable. C’était peut-être aussi pour montrer qu’il y avait un mouvement de jeunes qui partent les uns après les autres. » 


Le tweet de Martin qui a décidé de quitter le parti après quatre ans d’engagement. 

Comme Martin, Lamia, militante à l’UEC a parfois du mal à assumer le fait d’adhérer au PCF : « Je n’ai pas honte de me revendiquer marxiste, communiste, mais parfois j’ai honte de dire que je suis au Parti Communiste ». Pourtant, pour elle, il n’est pas question de quitter l’UEC : « Militer ça fait partie de mon identité. Ayant grandi en Algérie, avec le code de la famille, je sais ce que sais de ne pas avoir les mêmes droits. Et ici aussi, si on ne me donne pas mes droits, je vais les prendre. En tant que féministe, par exemple, on est fatiguées mais on ne peut pas abandonner, si j’abandonne je me trahis moi-même. » 

Une fracture générationnelle sur l’antiracisme, le féminisme post #metoo…

Selon Lamia, il y a deux fractures : « Pour moi c’est d’une part l’âge et d’autre part l’individualisme. Il y a une forme de fidélité, de croyance aveugle dans le parti, une logique dogmatique, où il faut porter le PCF peu importe ses idées ou celui qui le représente. Il y a aussi des dynamiques carriéristes, tu peux avoir des responsabilités et en faire ta carrière et vivre de la politique ce n’est pas donné à tout le monde, donc t’as pas forcément envie de te tirer une balle dans le pied en t’opposant. Le renouvellement ne se fait pas.»

Au-delà de la fracture entre la direction nationale et les organisations locales, pour Martin aussi il y a « une fracture générationnelle sur l’antiracisme, le féminisme post #metoo, les sujets type cause animale, les luttes LGBTQI+ dans certains aspects, par exemple quand on leur a parlé de transidentité, on les a perdus ».

Nous on va être plutôt sur une ligne intersectionnelle donc il n’y a pas de lutte prioritaire, au contraire les luttes se croisent et les discriminations se cumulent.

Tout·e·s ont déjà eu le débat devenu classique à gauche sur la priorisation des luttes, où lutte des classes et luttes antiracistes sont mises en opposition. Pourtant, pour Martin qui y voit l’une des fractures idéologiques « nous on va être plutôt sur une ligne intersectionnelle donc il n’y a pas de lutte prioritaire, au contraire les luttes se croisent et les discriminations se cumulent. »

C’est aussi sur ces bases que Lamia a rejoint ses camarades de l’UEC Paris 8 qui portent trois axes : « Féminisme, antiracisme et écologie ». Pour elle « la lutte communiste englobe tout, sinon ce n’est pas une lutte communiste. Le PCF porte un héritage de terrain, pendant longtemps il a financé des associations par exemple. Mais c’est vrai que Roussel à partir du moment où il a marché avec la police c’était fini. Il y a aussi ce qui s’est passé par rapport à Guillaume T. (jeune militant communiste retrouvé mort à Nanterre en février 2021, après avoir accusé de viol deux cadres du parti) , c’était inacceptable. Quelques mois après son suicide, rien n’a été fait au sein du parti. » 

Pour les jeunes militant·e·s communistes, il devient de plus en plus difficile de manœuvrer sur tous les fronts entre engagement dans le parti, et adéquation à leurs valeurs. La militante à l’université Paris 8, Lamia, résume ainsi ce dilemme : « Est-ce que tu lâches un organe historique, un parti de terrain, ou tu restes, tu te bats et tu le conserves ? »

Anissa Rami

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