Tout a déjà été dit en 2001 après le match France/Algérie, ensuite en 2007 après France/Maroc, notamment sur la protestation victimaire de la part des jeunes d’origine maghrébine, leur situation socio-économique, les discriminations qui plombent leur destin, les blessures de l’histoire et les problèmes d’identité. Des élections présidentielles, législatives, municipales et deux émeutes plus tard, on pédale encore dans la semoule.

Après France/Tunisie, en guise de réponse pour l’acte 3 de ce feuilleton, Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, propose d’arrêter les matches sans se poser la question des conséquences de ce genre de décision. Je pense que notre ministre va trop vite en besogne. En tant que docteur en pharmacie, elle devrait savoir que si le malade a quarante de fièvre, ce n’est pas la faute du thermomètre. Elle devrait s’appuyer sur les conseils d’experts avant de décider de ce type de mesures. Le problème mérite une réflexion plus profonde.

D’abord le monde du football échappe aux politiques. Le football est une planète à part entière, avec ses propres règles économiques, son droit propre, son calendrier, ses rois, sa corruption, son racisme ambiant et ses violences de toutes sortes. Le stade reste un exutoire incomparable où prospèrent les insultes, le patriotisme local et toutes les déviances de la société. Certaines manifestations publiques deviennent aussi de véritables plateformes de la contestation où se mélangent toutes sortes de revendications. La gare du Nord à Paris, les manifestations lycéennes ou étudiantes sont bien souvent le théâtre de batailles rangées entre des bandes de jeunes et la police. Le mouvement de foule crée l’anonymat et sert aussi de protection collective, on se sent poussé des ailes et certains voyous s’en donnent à cœur joie. Ce mode d’expression tend à se banaliser.

Nous sommes en présence d’une génération qui connaît parfaitement la mécanique médiatique. Paradoxalement, il suffit d’un match de foot pour faire réagir les plus hautes autorités du pays, alors que des groupements divers, des lobbys, des organisations structurées n’arrivent même pas à décrocher le moindre rendez-vous au niveau d’une préfecture. Le cocktail jeunes, banlieues, islam fonctionnent à merveille et suscite l’intérêt des médias. Et comme les politiques se répondent par voix de presse, chaque partie se retrouve sous l’injonction de prendre position en donnant son avis sur l’affaire. Le moindre incident peut prendre des proportions gigantesques puisque légitimé par des personnalités politiques de haut niveau. 

En réalité, cette génération est un ovni dans le débat politique. Ces jeunes sont absents des lieux de pouvoir, des partis politiques, des syndicats, des médias. Ils n’ont d’ailleurs pas d’identité politique, leur parole n’est pas relayée. Leur seul pouvoir est la nuisance, le coup de force, l’éclat pour exister alors que le constat est posé depuis longtemps : lorsque la politique est absente, il ne reste que la violence pour la remplacer.

Il suffit d’un dérapage de quelques écervelés pour ouvrir la vanne de l’opprobre sur toute une partie de la population. Toute la journée d’hier, les membres du gouvernement, des personnalités diverses ont participé allègrement à la fanfare médiatique sur le thème de la république meurtrie par des coups de sifflets. Chacun a improvisé une solution en faisant une fixette sur les conséquences, oubliant que les réponses se situent, sans doute, du côté des processus. 

Nordine Nabili

 

 

Nordine Nabili

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