Avez-vous appris par la presse le transfert de votre secrétariat d’Etat au ministère du Travail et des Affaires sociales, tenu désormais par Brice Hortefeux, ex-ministre de l’Immigration ?

Bien sûr que non, je l’ai su avant l’officialisation du remaniement. Le changement de tutelle et le fait de voir arriver Brice Hortefeux ne me gêne pas. Les Affaires sociales, c’est pour moi un cadre extraordinaire, qui va me permettre de construire, avec Brice Hortefeux, un véritable bouclier social. Cela va contribuer à accélérer la dynamique de la mise en place du plan Espoir banlieues. Comme nous sommes dans un ministère important, pour le coup, nous avons beaucoup plus de moyens et de possibilités de toucher à tous les leviers.

Au moment de la polémique sur l’amendement ADN proposé par le député Mariani dans le cadre du regroupement familial, vous aviez crié votre mécontentement. On se demande quel sera votre rapport avec votre nouveau ministre de tutelle. L’ambiance ne promet-elle pas d’être électrique ?

Brice Hortefeux est un homme politique, je suis une femme politique. Il connaît mes convictions et mon parcours de femme de gauche dans un gouvernement de droite. Il sait que je suis très attentive aux questions de l’immigration, nous en avons beaucoup discuté ensemble. A l’époque, j’avais effectivement montré mon désaccord, il se trouve que l’ADN heurte mes convictions, je considère qu’il n’a pas lieu d’être dans la France que j’aime et que je défends. Aujourd’hui, je n’ai pas changé d’avis. Sur la question des expulsions, je n’ai jamais caché que j’étais pour la régularisation des travailleurs sans-papiers. En tant que femme de gauche, j’ai été longtemps mal à l’aise avec cette posture faussement généreuse de ma famille politique qu’est l’ouverture des frontières, qui conduit souvent à des dérives.

La droite, au moins, n’est pas faussement généreuse…

La posture de la droite, la tolérance zéro, extrêmement répressive, quand on y réfléchit, c’est quelque chose de totalement irréalisable. Quand le président de la République a chargé Brice Hortefeux de la question de l’immigration, il affirmait qu’elle était une richesse pour l’Europe. Donc, je soutiens le Pacte de l’immigration qui a été signé au niveau européen. Je suis très attachée à ce que les politiques publiques en la matière respectent l’immigré dans sa dignité : logement décent, emploi décent, et surtout apprentissage de la langue. Mes parents, qui sont toujours immigrés, n’ont pas eu cette chance.

Etes-vous favorable à un assouplissement de la politique d’attribution des visas, vis-à-vis, en particulier, du Maghreb ?

Oui. La France a l’obligation, de par son histoire, d’entretenir des relations particulières avec certains pays. Je pense notamment aux pays de Maghreb.

Si l’on vous avait proposé le ministère de l’Immigration, occupé par Eric Besson, auriez-vous accepté le poste ?

Tout le monde est assez intelligent dans ce pays, et notamment les personnes au pouvoir, pour comprendre que je ne pourrais pas accepter un ministère comme celui-ci. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils savent que c’est difficile pour moi de dire non à une demande de carte de séjour ! Plus sérieusement, je ne suis pas assez « politique » pour diriger un tel dossier. J’ai un rapport à l’immigration qui est à la fois politique et affectif. J’ai du mal, je le reconnais, à voir les enfants et les parents sans-papiers reconduits à la frontière, même si dans l’ensemble, je peux comprendre qu’il est nécessaire de maîtriser ce dossier sensible.

A l’occasion de la passation de pouvoirs du 15 janvier, Brice Hortefeux a déclaré à votre sujet : « C’est une compatriote », ajoutant que « ce n’est pas forcément évident ». Vous avez ri jaune. Vous êtes-vous sentie blessée ?

Les journalistes ont voulu faire de la chose un esclandre. L’histoire est très simple. Il se trouve que souvent, Brice et moi, nous nous amusons sur nos origines communes auvergnates. Lorsque Brice Hortefeux a tenu ces propos, il a présenté ses trois secrétaires d’Etat, Nadine Morano, Valérie Létard et moi-même. Il a complété : « La compatriote, même si ça ne se voit pas. » Ça ne se voit pas, pourquoi ? Parce que lui est blond aux yeux bleus et moi brune avec des cheveux en l’air ! Ça ne m’a pas gênée du tout. Mais si Brice Hortefeux avait tenu ces propos sur un ton méchant, avec la volonté de faire du mal, comment peut-on imaginer un instant que, loi, fille d’immigrés, j’aurais pu être humiliée en conférence de presse sans réagir ?

Etes-vous soulagée de ne plus travailler sous l’autorité de Christine Boutin, avec qui vous entreteniez des relations pour le moins tendues ?

J’ai beaucoup appris aux côtés de Christine Boutin. Mais passer sous la tutelle de Brice Hortefeux me permet d’entrevoir la possibilité d’une accélération de la dynamique du plan Espoir banlieues.

Xavier Darcos a déclaré jeudi être favorable à l’introduction d’un uniforme à l’école, sous la forme d’un t-shirt siglé. Qu’en pensez-vous ?

Cela part d’un bon sentiment. La gauche y avait également songé lorsqu’elle était au pouvoir. Sous la IIIe République, cela a eu le mérité d’effacer la disparité sociale. Mais sincèrement, aujourd’hui, je ne sais pas si c’est opportun. Pour ma part, j’aime voir la jeunesse s’habiller comme elle en a envie.

Y compris les jeunes filles qui se vêtent avec un mini t-shirt, le nombril à l’air et le piercing apparent ?

Ça ne me gêne pas, pourvu qu’on ne leur manque pas de respect et tant qu’elles ne sont pas agressées. Ce qui est important pour moi, c’est que la jeunesse, garçons et filles, vive sereinement dans un respect mutuel. Je pense que Xavier Darcos, avec cette idée d’uniforme, cherche à rendre plus serein le milieu scolaire.

Vous avez créé des agences de coaching dans certaines villes touchées par un fort taux de chômage, avec pour mission de mettre les jeunes désœuvrés au travail, au travers de contrats d’autonomie. N’est-ce pas une réorchestration de la mission locale, qui existe depuis plusieurs années ?

Ce n’est pas la même chose. J’ai souhaité aller plus vite en créant le contrat d’autonomie dévoilé par le président de la République en février dernier. Ce contrat s’adresse avant tout aux 80 000 jeunes qui ne sont inscrits nulle part, ni à l’ANPE, ni à la mission locale, etc. Pour moi, c’est la priorité des priorités. Elle a d’ailleurs été inscrite dans le cahier des charges des organismes tenus de mettre en œuvre les contrats d’autonomie. Ils doivent impérativement aller chercher les jeunes, y compris dans les cages d’escaliers.

L’objectif des 4500 contrats d’autonomie prévus pour 2008 n’a pas été rempli.

L’objectif fixé était en effet de 4500 de ces contrats. A l’heure actuelle, nous avons atteint le nombre de 3600 contrats signés.

Pourquoi pas 4500 ?

Lorsque nous avons lancé le contrat d’autonomie, une procédure juridique et réglementaire d’appel d’offres a été lancée. Il y a une un temps précis, incompressible, qu’on ne peut pas raccourcir. Nous avons donc perdu un peu de temps, mais avec 3600 contrats signés, soit plus de 300 par jour, nous avons tout de même rattrapé notre retard. Nous souhaitons bien sûr aller plus vite. Je pense qu’à la fin de l’année 2009 les objectifs seront pleinement remplis. En revanche, s’agissant des conventions nationales d’engagement des grandes entreprises pour l’embauche des jeunes de quartiers, avec plus de 15 000 CDD ou CDI signés en 2008, nous avons dépassé l’objectif, qui était de 11 000.

Vous irez lundi à Montfermeil (93) pour donner un coup d’accélérateur à la construction d’un tramway, le fameux T4, pour désenclaver la ville. Dieu que c’est long, tout ça.

Les transports relèvent des compétences de la région. Ceci dit, j’ai proposé de faire revenir l’Etat à la table des négociations et d’apporter de l’argent pour mener à bien ce projet. Le problème c’est qu’aujourd’hui, la région, dans le cadre du STIF (Syndicat des transports publics d’Ile-de-France), n’a pas encore choisi le tracé ! Il faut arrêter les égoïsmes territoriaux. Et si lundi je vais à Montfermeil, c’est justement pour donner un coup de pied dans la fourmilière et amorcer enfin le mouvement. Que chacun assume ses responsabilités. L’Etat assume les siennes en proposant beaucoup d’argent dans le projet du T4. Le pire dans tout ça, c’est que ce n’est pas une commune de droite qui freine le processus, mais une commune de gauche.

Livry-Gargan ?

Oui, Livry-Gargan.

Propos recueillis par Hanane Kaddour

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