Laissons, par pure forme, le bénéfice du doute à Brice Hortefeux. Admettons que ses propos, « Il en faut toujours un. Quand il y a en a un, ça va. C’est quand il y a en a beaucoup qu’il y a des problèmes », ne visaient pas les Arabes, mais, comme il s’en est expliqué laborieusement, les photographes présents le week-end dernier à l’université d’été des jeunes UMP, à Seignosse, dans les Landes. Le reste des paroles prononcées ce jour-là, reproduites dans une vidéo postée par lemonde.fr devrait nous renseigner sur le mauvais état, en France, des rapports entre « Français » et « Arabes ». D’une logique communautaire – le « eux » et le « nous », interchangeables selon le groupe auquel on appartient, par choix ou à son corps défendant –, nous sommes passés à une logique de fronts.

Propos choisis, extraits de la vidéo : « Il est beaucoup plus grand que nous en plus, lui il parle arabe » ; « Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière » ; « Il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça » ; « C’est notre petit Arabe » ; et pour finir : « Quand il y a en a un, ça va. C’est quand il y a en a beaucoup qu’il y a des problèmes ».

Que disent ces mots, couverts par des rires apparemment bon enfant ? Ils disent que l’« Arabe » n’est « français » qu’à la condition de boire de l’alcool et de manger du porc, marqueurs identitaires incroyablement sommaires, mais qui dénotent un durcissement des critères d’appartenance à la communauté nationale. Comme si les conditions d’entrée dans cette dernière supposaient la perte de ce qui constitue, théoriquement, l’identité, non moins sommaire, de l’individu arabo-musulman français : l’interdit du porc et de l’alcool. Nous en sommes réduits à cela aujourd’hui. Comprendre : les « Français » ne sont plus disposés à faire d’efforts pour intégrer les « Arabes », dont il leur semble que les exigences en matière d’aménagement du droit et des coutumes dépassent ce qu’ils peuvent supporter.

Qui blâmer ? Le pouvoir politique, d’abord. Depuis la déclaration de Nicolas Sarkozy aux « 4000 » à La Courneuve sur le Kärcher, suite à la mort d’un garçon tué d’une balle perdue, en 2005, l’enjeu électoral est devenu un enjeu sécuritaire, les faits d’insécurité étant imputés, explicitement ou implicitement, aux « Arabes ». Ces derniers, n’admettant pas cette réduction, se sont soudés contre le « pouvoir UMP », dont la police, force armée, est apparue comme l’incarnation. Un article publié hier sur le Bondy Blog, relatant la mort d’un Algérien de 69 ans lors d’un contrôle de police à Argenteuil, dit bien le peu de cas qu’accordent en certaines occasions les forces de l’ordre aux « Arabes ». C’est inadmissible.

Qui blâmer ? Les « dominants ». Soit ceux qui occupent des positions « visibles » dans les médias ou les structures académiques, l’université par exemple. Ils perçoivent comme une menace, non tant pour leurs postes que pour les codes dans lesquels ils se reconnaissent et qu’ils qualifient de « républicains », l’émergence d’une « diversité » essentiellement arabe, porteuse, selon eux, d’une dénaturation desdits codes. Ils craignent une implosion du système. Parmi eux, des juifs. Ils sont passés par toutes les étapes de la méritocratie républicaine et n’admettent pas qu’on facilite par des mécanismes d’une discrimination positive qui ne dit pas son nom, l’accès au « poste de pilotage » d’une vague « arabe » qui risque de les submerger.

Plus enfoui, le sentiment, chez une partie d’entre eux, fils et filles de juifs du Maghreb, essentiellement d’Algérie et de Tunisie, contraints au départ en raison des guerres israélo-arabes ou de l’indépendance algérienne, d’être en train de revivre le même « plan ». La peur de la dimmhitude les saisit et ils se raccrochent aux branches de la République laïque. C’est pourquoi un certain nombre de juifs français, venus de la gauche, ont épousé les vues de la droite, seule capable à leurs yeux d’enrayer ce processus d’inversion de la domination. Cette fuite en avant, ou en arrière, participe à la création de fronts.

Qui blâmer ? Les « Arabes ». On peut être ou se sentir dominé, cela n’empêche pas qu’on soit « tactique ». Les Arabes – un mot que Jean-Marie Le Pen a malheureusement rendu péjoratif, au point d’en dégoûter parfois les intéressés eux-mêmes – ont vu un avantage politique à se concevoir comme minorité, un statut qui confère des droits ou dérogations en démocratie. Or, objectivement, ils ne sont pas une minorité. Ils sont une composante à part entière de la France, avec d’autres, Français d’origine italienne, polonaise, basque ou bretonne.

Que subjectivement, ils s’estiment minoritaires sur beaucoup de plans, ce qu’ils sont, ne justifie pas un enfermement dans la posture minoritaire. Etre minoritaire est un statut qui peut être pratique, car il exonère en certaines situations d’un devoir de responsabilité qui est l’apanage du majoritaire. Oui, le retard, en termes de présence dans l’« élite », est considérable, rapporté, justement, aux millions d’Arabes en France. Mais pour le rattraper, la revendication coutumière ou religieuse n’est pas ce qui convient. Cette revendication est parfois perçue par certains de ceux qui la portent comme une manière d’exister dans la République, faute de pouvoir exister autrement. Mais pour d’autres, elle est une fin en soi.

Les Arabes font donc partie de la majorité, et à ce titre, ils sont responsables de l’état de la France, de son histoire, de sa marche économique, de ses intérêts dans le monde et des minorités qui composent la France, juive comprise. Il n’est pas normal que ceux qui ne partagent en rien, croyants ou non croyants, le combat de quelques-uns et quelques-unes pour le port de la burqa – un cas dont on n’a pas, hélas, fini d’entendre parler – se joignent artificiellement à cette plainte au nom de la « cause ».

« Français » et « Arabes » donnent l’impression non seulement de vivre, mais de vouloir vivre séparément, en dépit de nombreux contre-exemples. Au point que, sortis de leur résidence pavillonnaire ou cités de banlieue, beaucoup se sentent complètement perdus dans le « monde français », l’inverse étant vrai, sauf que le « Français » a plus rarement besoin de se rendre dans le « monde arabe ». Tout devient motif à séparation : la nourriture, la boisson, les sorties au cinéma (« les films français c’est nul »), le sexe. On en serait presque à inventer des prétextes de non-fréquentation.

Ce que dit la vidéo de l’université des jeunes UMP sur l’état des relations entre « Français » et « Arabes » est extrêmement préoccupant. Le fait même d’écrire « Français » et « Arabes » est désespérant.

Antoine Menusier, rédacteur en chef

Antoine Menusier

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