« On ne va pas faire de discours », « cet après-midi est un point de départ, pas d’arrivée » : il est 15h30 et des poussières ce lundi, c’est par ces phrases que Brice Hortefeux et Fadela Amara ouvrent la grande table ronde baptisée « jeunes-police ». Le ton est donné et l’envie de bien faire semble ancrée dans les pensées de chacun, responsables associatifs et éducateurs. Face à eux, en plus des quelques membres du gouvernement s’ajoutent des responsables des services de police assez discrets, et qui ne prendront pas la parole malgré quelques attaques les visant durant les débats. Il y a là Alain Gardère, directeur de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), la nouvelle force de police chargée de lutter contre les « petites et moyennes » délinquances à Paris et en petite couronne. Ou encore Michel Gaudin, préfet de police à la ville de Paris et « ami fonctionnel » du président de la République comme il aime se définir.

Passées les notes d’intention de chacun des membres du gouvernement présents – Xavier Darcos souligne les malentendus entre la police et les « jeunes », Martin Hirsch pose la question des relations entre les institutions et ces mêmes « jeunes » – la parole est donnée aux invités de la maison Beauvau. Mais personne ne la prend. Finalement, c’est Siham Habchi, présidente de Ni Putes Ni Soumises qui ouvre le bal des invités. Elle aborde deux thèmes qui reviendront plusieurs fois dans les différentes prises de paroles : l’importance de maintenir les Cadets de la République qui sont « un signal fort envers la jeunesse » et l’idée de faire des stages au sein de la police, même pour le personnel associatif.

Les Cadets de la République sont une institution mise en place en 2005 pour faire la promotion de la diversité au sein de la police, et qui donne le droit à une formation alternée d’un an en école de police et en lycée professionnel, en vue de passer le concours de gardien de la paix. Dernièrement cette mesure a été remise en cause, et on a craint pour son maintien. Brice Hortefeux en a profité pour s’expliquer sur cette « erreur » qu’aurait constitué sa disparition : « Le directeur compétant à l’époque était en fin de fonction et de plus il y avait le changement de gouvernement », au final avec toutes ces perturbations, il y a eu un « problème budgétaire ». Le problème a été résolu et le statut de Cadets de la République sera maintenu.

La discussion se poursuit et chacun semble avoir préparé son petit commentaire, son anecdote ou ses statistiques. Jamel de l’association Changement de regard qui tient une salle de sport où des policiers et gendarmes viennent s’entraîner, raconte que « ces jeunes qui viennent dans la salle ne savent pas que ce sont des policiers. C’est uniquement durant les patrouilles que les jeunes les reconnaissent. Et un respect s’est installé. »

Le représentant de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) fait un exposé d’un sondage réalisé avec son organisme auprès de 30 000 adhérents issus des quartiers populaires, et d’où ressort des problèmes de logements et d’insécurité, ainsi que le fait que « ces jeunes voient uniquement le côté répressif de la police ». Rien de nouveau sous le soleil, direz-vous… La discussion est assez posée jusqu’au moment où Théodore Yamou, le président de Banlieue sans frontière en action, prend la parole sur un ton énergique en tapant du point sur la table : « Il faut que l’Etat prenne ses responsabilités. » Un coup de fouet qui réveille tout le monde.

Deux gaillards réputés pour ne pas garder habituellement leur langue dans leur poche sont restés silencieux tout au long de la table ronde. Ne réagissant que par des froncements de sourcils de temps à autre. Almamy Kanouté de l’association 83ème avenue de Fresnes, et Larsen, rappeur dit « underground », qui a mis son chrome (du micro) de côté pour s’investir dans l’associatif. Au sortir de la réunion, la déception semble dominante chez ces deux responsables associatifs. « J’ai senti plus de sincérité chez les politiques que chez les membres associatifs qui ont pris la parole », déclare Larsen. « On est resté sur notre faim », ajoute Almamy, accompagné de son ami Bakary de l’association Les Braves enfants d’Afrique : « On a compris que certaines associations étaient ancrées dans le maillage et je pense qu’elles mènent déjà des travaux avec Fadela Amara », « on veut passer à l’action ».

Larsen va plus loin dans l’analyse de cette table ronde : « On a tourné autour du pot et on a fait les commères de la République. Les jeunes et les flics sont pareillement victimes de la galère. Pour les flics, y’a la pression hiérarchique et du quartier. Rien à voir avec le manque d’expérience. » Le manque d’expérience, élément qu’avait mis en avant Dominique Sopo de SOS racisme pour expliquer les humiliations infligées par certains gardiens de la paix durant les contrôles. Argument qu’Almamy et Bakary réfutent également : « Le problème vient de la hiérarchie, on les fait flipper avant qu’ils arrivent dans ces quartiers. Cette hiérarchie ne cherche qu’à faire du chiffre, du chiffre, du chiffre ! »

A la fin de la réunion, Brice Hortefeux a annoncé la mise en place de cinq groupes de travail dédiés à la problématique « territoire, comportements et pratiques professionnelles », au respect réciproque entre « policiers et jeunes »,  aux attentes de ces « jeunes » sur la sécurité, à l’égalité des chances et un dernier au dialogue en cas de crises lors d’un incident. Didier Chabrol, inspecteur général de l’administration au sein de l’inspection générale de l’administration aura la charge de ces groupes.

Brice Hortefeux a donné rendez-vous dans deux mois aux différents participants. D’ici là, il a indiqué plusieurs points de son action avant la prochaine réunion : rappel des règles de courtoisie dès mercredi lors de sa rencontre avec les différents responsables départementaux des services de police et de l’importance du dialogue. Et création avant la fin septembre d’une équipe de conciliation pour intervenir sur le terrain.

Interrogé à la sortie de la réunion, Brice Hortefeux a insisté sur le fait que « cette table ronde n’est pas une perte de temps ». Impression que tous les participants ne semblent pas partager pour le moment… Peut-être en sera-t-il autrement dans deux mois.

Aladine Zaiane

Aladine Zaiane

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