Ce n’était pas conçu pour faire éternellement tapisserie au ministère dont Eric Besson est aujourd’hui l’ardent titulaire. C’était destiné à servir, l’identité nationale. On en a la preuve depuis que le ministre a annoncé l’ouverture d’un « grand débat sur les valeurs de l’identité nationale ». Personne n’est dupe : en agitant le concept de nation, Nicolas Sarkozy a en tête les élections régionales de mars 2010, et ce questionnement d’Etat sur ce qui fonde l’appartenance à la France est censé bénéficier à l’UMP.

C’est reparti comme en 2007, ou comme en 14, tant qu’on y est. Là, la sécurité, ici, la patrie. Piégeant, le débat. Qui n’est pas favorable à la sécurité ? Qui s’oppose à la patrie ? Pas grand-monde, même si la rhétorique patriotique peut sembler vieillotte. Pas grand-monde, donc, et surtout pas le Parti socialiste, que l’Elysée, par cette manœuvre, tentera dans les prochains mois de prendre en défaut d’attachement auxdites valeurs. Pour réveiller un électorat lessivé par la crise économique, il fallait du lourd. La nation et son dérivé l’identité nationale valent leur pesant de cacahuètes électoralistes.

Le clivage idéologique voulu par Nicolas Sarkozy n’est pas tant un traditionnel « droite-gauche » qu’un « Français-non Français », ou, plus crûment dit, un « Français-Arabes ». La ficelle est grosse et le non-dit, transparent. Le président de la République et son ministre se défendront de cette représentation ethnico-culturelle, arguant que le débat désormais ouvert, porte sur deux questions : la première, « qu’est-ce qu’être français ? », la seconde, « l’apport de l’immigration à l’identité nationale ».

Mais c’est la première qu’on retient, d’autant plus que les « pistes de réflexion » tracées par Eric Besson sont à sens unique : un contrat avec la Nation ; l’obligation pour l’ensemble des jeunes Français de chanter, au moins une fois par an, la Marseillaise ; la place des symboles et emblèmes nationaux.

Qu’est-ce qu’être français ? La question mérite d’être posée. Quantité de jeunes Français « issus de l’immigration », se la posent. Ou ne se la posent pas. Nombre d’entre eux ne se sentent pas français au sens plein du terme. Ils s’estiment exclus du corps national et excluent d’en faire partie. Il importe peu que des données objectives démentent ce ressenti. En matière de symboles, c’est le ressenti qui compte.

Ils prennent des nations d’adoption, celles de leurs parents le plus souvent : Algérie, Maroc, Tunisie, Sénégal, Mali, etc. Et développent, à l’occasion des matchs de foot généralement, un chauvinisme des plus banals qui tient lieu d’appartenance nationale. Une identité de substitution, en somme. Beaucoup aussi, investissent le champ religieux et l’islam en particulier. Ils s’engagent dans une course au mieux-étant  « halal » : plus halal que moi, tu meurs. La base théologique est rarement solide, mais la posture y est. Certains donnent dans le « french bashing », dénigrement de tout ce qui est ou évoque la France.

Jeunesse qui passe ? Refus de l’ordre français comme autrefois refus de l’ordre bourgeois ? S’il y a de cela, ce n’est pas une raison pour sous-estimer l’importance du phénomène. Car d’autres, à l’image de Nicolas Sarkozy se découvrant une passion pour la terre (des champs), entendent capitaliser les effets négatifs qu’opèrent ces manifestations de désamour dans l’opinion.

Quelle idée d’avoir donné le nom d’« identité nationale » à un ministère ! L’intitulé sonne comme un bulletin de propagande. Il permet peut-être de ravir des voix au Front national, mais il agit sur les consciences telle une sommation et fait fuir plus qu’il ne convainc. L’identité nationale, si l’on veut bien lui reconnaître des vertus, est un sentiment qui ne peut être mis en boîte ministérielle. Elle est l’affaire de tous et doit être envisagée sans angélisme ni crainte des tabous.

Antoine Menusier, rédacteur en chef

Antoine Menusier

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