Moi c’est Laetitia, Laé quoi. J’ai 17 ans et j’suis en première L, littéraire. J’aime lire, j’aime parler, j’aime les mots et les lettres, puis j’aime en jouer. Et ça m’gène pas d’faire l’aller-retour entre ma verve d’écolière et mon lexique de banlieue. J’suis une Française, française. Babtou de cité, je vie avec ma mère depuis dix-sept piges, dans le fin fond du 7.8. J’ai aussi un grand frère, il a 20 ans, on le voit jamais t’façon, il rentre à des heures de ouf et on se calcule ap. Je connais pas sa life et j’en ai rien à faire.

La daronne taffe tout le temps, elle aussi, elle est jamais là. Elle part à 6h30 du mat’, pour revenir à 21 heures. C’est tellement perdu ici, que c’est compréhensible qu’elle rentre aussi tard, sans parler des heures sup’ et du train de banlieue. Elle est comptable, dans un genre de boite pas connue. Elle s’appelle Véronique, on l’appelle Véro, elle croit que c’est la classe. En réalité, c’est pas très exotique, mais bon, elle assume. Nous on est de Marseille à la base, mais dans ma mifa, c’est tellement la guéguerre, que ma mère a voulu réaliser son « Paris dream », alors elle est montée.

Malheureusement, elle s’est bien loupée. Dix-sept ans qu’on habite là, j’connais tous le monde, c’est l’enfer. Ça m’bouffe, des fois j’le jure, j’aimerais partir un peu. M’aérer l’esprit, quoi. Parce qu’ici, Laé, tout le monde voit qui elle est, ce qu’elle fait, à quelle heure elle rentre du lycée et où elle est. Bref, ça m’vénère à force. Heureusement, y a mes potos Marvin et Heddy, toujours fidèles au poste, depuis l’époque des couches jusqu’à aujourd’hui.

Petits, on partait toujours à l’école ensemble, rien qu’on s’tapait des barres à médire des voisins chelous, des bruits du dessus ou du dessous, quand chez les autres ça criait. Aussi, y avait ce vieux fou, qui savait pas parler, et qui nous coursait dès qu’on lui jetait des pierres. Bref, de vrais bonshommes. A cette époque, ma mère essayait déjà de me féminiser, ou plutôt de me barbie-iser. Elle voulait toujours me caser du rose quelque-part, je suis déjà assez blonde comme ça pour en rajouter.

Ma mère c’est un cas, la pauvre. Déjà dépassée avec mon frère-muet qui entretient une vie de zombie le jour, et d’acteur la nuit. J’en ai rajouté en faisant ma loi très tôt. Peut-être qu’on attendait qu’elle prenne les rênes en main, mais c’est pas ce qu’elle a fait. Si elle est devenue comme açe, c’est parce qu’elle perdait le nord à mon avis. Entre les factures, la sape, la bouffe, seule, elle arrivait pas à joindre les deux bouts. Les gens pensent toujours que comme on est des toubabs, on est riche. Pfff, tu parles ! On est peut-être même plus en galère que la voisine du d’ssous et ses sept gosses ! Bah ouais, qu’est-ce que tu crois ? Pas d’allocs, pas de bourses, pas d’aide, rien ! Elle paye tout plein pot.

Et puis ici, j’suis en minorité mais rien à faire, je suis de France, et fière. Même si, j’avoue, j’aurais préférée venir du Mexique, du Portugal, d’Algérie ou bien du Sénégal. Pourquoi ? J’sais pas trop, mais ce qui m’attire c’est que t’as comme une terre, un endroit où retourner chaque année, quand t’exploses et que t’as envie de respirer. Quand ton cerveau il devient pollué, paraît même que quand t’y r’vas, eh ben t’es soulagé. T’oublies, un petit retour aux sources que j’aurais kiffé tenter. Mais ici, mon retour aux sources, c’est Marseille, à part la plage vite fait, ça change pas des masses.

Je m’égare, là, je disais donc que j’avais réussi à faire ma loi. Au départ je négociais de la sape, je me rendais pas compte que je déplumais ma mère, tout ça pour faire ma belle. Mais j’réussissais quand même car je voulais pas mettre les jupes, les sandales et compagnies. NON ! C’était trop l’affiche pour moi, alors je voulais que des baskets, des trucs comme ace, pour être à l’aise.

C’était pas tout de suite les Puma, Nike, etc. Mes premières c’était des Tex, de la marque carouf, mais vraiment j’m’en fichais. Les filles en fait, c’était pas trop mon truc. J’sais pas, ça collait pas elles et moi. Y avait une période où j’aimais jouer à la corde à sauter, à l’élastique avec Aissatou, Lilia, Marie, Emilie, Gulum et Sabrina. Et même que j’me rappelle jouer encore avec en CM2, mais on s’voyait moins. Marie et Emilie faisaient bande à part. On était devenues toutes trop différentes, je crois. Tempis. Heddy dit que c’est le destin. J’vois pas trop ce que c’est, mais c’est un bail qu’il dit que voilà, c’était écrit et que tu peux pas y échapper.

Dix-sept ans maintenant, que les années passent vite ! Ma vie sentimentale ressemble à un désert, mon seul amoureux, c’était Mike en 6e, un Antillais mais ça n’a pas duré. Un jour, il parlait avec Mélanie, et pour moi être un couple, c’était avoir l’exclusivité ou rien. Alors je lui ai mis une bastos dans la tête meskine ! Cette histoire me fait rire, j’réalise aujourd’hui que j’étais complètement gue-dine. Depuis, rien, nada, welou bref le néant. C’est pas faute d’avoir troqué le t-shirt Nike par des débardeurs du ché-mar.

Assise en bas de mon porche, je regarde la cité. Dans le square des p’tits jouent au foot. A ma gauche des teneurs de mur professionnels, ils sont tellement là H24, que j’commence à croire qu’y a un CAP spécial. Si ça paye, pourquoi pas, j’te mets casquette, sacoche Lacoste, chignon bien caché et obligé j’passe incognito. En tout cas, ça aiderait bien ma mère, qui galère et n’a plus de vie depuis dix-sept ans. A ma droite, rien, un terrain vague où dort une voiture blanche, toute destroy qui ressemble à rien. Y a quand même des petits bancs où les daronnes parlent. Comme d’hab y a la daronne à Mahamadou et sa glacière, elle kiffe trop distribuer des glaces, elle. Elle discute avec Michelle la gardienne (qui joue sans cesse avec ses clés), puis la daronne à Youssef et celle de Nicolas le guesh.

En face de moi, un arrêt de bus avec un seul bus, tu t’rends compte ou pas ? Et en plus, il vient toutes les 15 mins, si tu le loupes c’est la crise pour toi. Et imagine, si y a les contrôleurs et que t’as pas de thunes, eh ben garde la pêche tu peux retourner chez toi. D’ailleurs, la dernière fois j’rentre dedans et tout, et le boug il me dit quoi ? « Le ticket c’est 1€80 ! » J’sais pas si t’imagines ma tête, j’étais en panique, j’me suis dis : c’est encore un teu-bé qui m’fait une blague ou c’est quoi l’délire là ? A mon époque, c’était 1€40 les tickets, ils étaient violets et tout le monde était content.

Aujourd’hui mes copines, non, ex-copines de primaires, sont devenues des filles bizarres. Pas toutes quand même, y a Aissatou qui est devenue l’intello d’sa mifa. C’est la grande sœur de tout le monde on va dire, le samedi elle coiffe des têtes de renoises, 10€ une tête, de l’argent pépère, quoi. Elle a aussi sauté la cinquième, là elle est en terminal S. Elle veut être médecin et partir en renfort-hôpitaux dans son bled ou peut-être ouvrir un cabinet ici. Elle dit que ça ferait chelou un médecin renoi.

Marie et Emilie sont des filles plutôt bien, elles sont en ES cette année. Elles ont quitté rapidement la cité, elles habitent une zone pavillonnaire près du RER maintenant. Le père de Marie, s’est posé avec la mère à Emilie, c’est genre des demi-sœurs carrément ! Mais va savoir pourquoi ils ont choisi de vivre séparément. Selon eux, ne pas se voir souvent, ça fortifie un couple. Elle est marrante leur vison, j’dirais plutôt que ça laisse de l’espace pour aller voir ailleurs, mais bon j’y connais rien t’façon.

Les gars et moi c’est « wesh tranquil bien ou quoi ? » et ça s’arrête là. Le jour où je serai amoureuse, déjà je m’assurerai de ne pas tomber. Et puis, je serai partie d’ici, j’aurai au moins 20 piges. Comme ça j’aurai moins de chances de tomber sur des tordus et de devenir le sujet de convers’ de toute la tèce. Maman a jamais eu d’gars après mon père. Pfff, celui-ci si j’le croise, je vais lui taper un speech devant tout le monde, y a pas moyen. Ou j’pleure au choix, j’fais pas trop ma grande car on sait pas en fait. C’est la gamberge dans ma tête, genre les deux extrêmes, j’suis un paradoxe à moi-même.

Heddy va venir me rejoindre, mais il est en retard comme d’habitude. Heddy c’est mon meilleur pote, c’est mon grand frère, quoi. Pourtant en ce moment, c’est moi sa grande sœur, avec ses histoires de meufs, il sait plus où donner d’la tête. Il comprend pas que c’est devenu un canard, le pauv’. Sa meuf elle dit A, il fait A’prime. C’est devenu son ombre, partout où madame va, monsieur suit. La preuve, il est même allé jusqu’à porter des slims, lui a acheté de tout, surtout du n’importe quoi, et se teindre en blond. Blond ? T’imagines ! C’est un ouf, il m’a dit que les gars l’avaientt taillé. Devant eux, il fait genre il s’en fout et tout.

Mais moi j’le connais Heddy, c’est limite mon jumeau. Il a un très grand coeur et il en a eu marre de jouer au gros dur, fallait lâcher la pression. Le problème, c’est qu’il a peut-être un trop grand coeur pour elle. Elle, c’est une calculatrice, elle le prend pour sa CB. Et lui voilà, il réagit comme un idiot. Il fait des trucs pas très nets pour lui offrir tout ça, et des comme lui, tsss, j’en ai vu plein. Le pire, c’est qu’ils ont même oublié leur madre.

Exemple : la mère d’untel demande à son fils : « Ramène deux baguettes », lui, il va rechigner, il va mettre dix ans pour y aller. Pourtant c’est à deux pas, notre boulanger c’est un rebeu, il ferme toujours vers 20h30, y a l’time. Mais monsieur descend à 20h25 en vrai flémard. Par contre quand c’est sa miss qui lui dit : « Ramène-moi à la foire du trône », y a pas de problèèèème ! La seconde qui suit, il fait une étude de marché pour que tout lui convienne : le jour, l’heure, le temps, voiture pas de voiture, glaces, cinéma, macdo, bref la totale, c’est normal, dit-il : « C’est la femme de ma vie. » Raie ! Et le pire dans tout ça, c’est que c’est même pas une disquette, le gars est complètement sérieux.

Quand ils viennent me raconter tout ça sur msn ou autres, je leur fais la morale, pourtant j’suis pas une meuf exemplaire de c’côté-là, t’as vu. Mais on s’connait depuis petit, c’est la famille, et pis, d’ailleurs, si j’leur dis pas qui va leur dire ?

Dans cette univers je m’oublie beaucoup, j’ai pas ma place, ou j’la trouve pas, j’en sais rien en fait. Elle a peut-être décidé de jouer à cache-cache avec moi. Si c’est le cas, franchement elle galère, j’ai pas mon temps à perdre avec elle, moi. Ici c’est trop chaotique. Rêver de partir c’est un luxe trop cher pour moi. Et puis partir où ? Puis fréquenter qui ? Je visiterais bien Paris, c’est magnifique paraît-il. Je traînerais volontiers avec les élites d’intellos, les « gens du haut » comme dit ma mère. Genre les gens qui parlent trop bien, qui ont trop de tact. T’sais, genre ils veulent dire de la méchanceté, ben ça passe trop flex, parce qu’il maîtrise trop bien la manière de s’exprimer. Tu vois les bails ? Ma mère aimerait que je sois comme ça.

Des fois je la regarde, pour rigoler je lui fais : « Wesh Véro, t’as vu ma dégaine de banlieusarde, mon chignon à la walaguène ça part en freestyle, mes faux anneaux du marché, ils deviennent rouge, c’est pas comme eux, hein ! Tu crois je vais les rencontrer comment ? Je veux bien aller à ton Pompidou, ou à ton Beaubourg, mais j’vais m’y trimballer, ils vont dire : elle sort d’où cette babtou qui s’est prise pour une caillera ? »

Bah ouais, qu’est-ce que tu veux ! Y a des trucs dans la vie, ça te colle à la peau, tu peux pas t’en détacher. Avoues m’man, t’aimerais dire de ta fille qu’elle est médecin, ou avocate. C’est mal parti, m’man.
(A suivre)

Silvia Sélima Angenor

« Le roman des blogueurs » est une fiction, elle paraît tous les mercredis.

Silvia Sélima Angenor

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