« Allez, dehors ! », chambre Schnider depuis le bord du terrain. Croyant avoir aperçu une faute, il reprend à son compte le gimmick du rappeur belge Fresh La Peufra, vainqueur de l’émission Nouvelle École. 

« Vous pourrez dire dans votre article que je suis titulaire indiscuté et indiscutable ? », s’enquiert le jeune homme. Chiche ! À deux pas de la Gare de l’Est, dans le nord parisien, le jeune défenseur central passe son été à jouer au football.

Alors que les activités associatives connaissent un sérieux coup de mou en cette période de l’année, le club RC Paris 10 participe à la convention « Sport Découverte de Proximité » (SDP), organisée par la mairie de Paris à chaque vacance scolaire pour faire passer le temps, découvrir ou poursuivre une activité sportive aux jeunes du quartier.

Tout l’été, le RC Paris 10 a accueilli entre 10 et 30 joueurs sur un petit terrain situé près de Gare de l’Est.

Le 20 juillet dernier, des jeunes profitent d’une journée fraîche, perdue au sein d’un été caniculaire, pour retrouver leurs copains et leur coach. Cette après-midi là, c’est Dylan, le secrétaire administratif du club, qui s’y colle après s’être fait (lui aussi) vanner. Une ambiance bonne enfant d’apparence seulement car, « les jeunes sont impatients d’avoir leur sort fixé », partage Barbara, joueuse professionnelle et coordinatrice de projet au sein du RC Paris 10.

74 joueurs sans terrain à la rentrée

Schnider, Joachim et 72 autres enfants sont encore dans le flou : à la rentrée, ils ne savent pas où ils pourront jouer. À raison d’une heure et demie, deux fois par semaine, les jeunes s’entraînaient jusqu’alors sur le Stade de la Porte de Bagnolet (Paris 20e) qui sera détruit dans le cadre du réaménagement du quartier Python-Duvernois, en périphérie de Paris. À la place, le programme de rénovation, piloté par la Semapa, prévoit trois hectares de parc. Un coup dur pour les 16 clubs de foot de la capitale qui s’y entrainaient, dont le RC Paris 10.

Dans le quartier Python-Duvernois, un parc devrait être accessible en 2024. Les travaux de rénovation s’étaleront jusqu’en 2028.

Le club de Gare de l’Est affirme n’avoir été prévenu officiellement de ce projet qu’en mai 2022, par mail. Mais la mairie de Paris réfute : « Le club a été prévenu [de la démolition du stade] par écrit en décembre 2021. À cette occasion, il a obtenu un premier créneau de relogement. Puis la mairie du 20ème arrondissement lui a proposé oralement un schéma plus global de relogement en avril 2022, avant que le club ne reçoive un mail de confirmation le 5 mai 2022 », soutient Pierre Rabadan, adjoint à la mairie de Paris en charge du Sport.

« Le stade va être démoli : cette phrase, on l’entend depuis cinq ans. C’est une rumeur qui courait mais qui n’était jamais une annonce officielle », nuance Kader Chaouch, le fondateur du RC Paris 10. Arrivé d’Algérie en 1982, Kader Chaouch, « l’enfant adoptif de Paris », a souhaité fonder le RC Paris 10 pour donner une chance aux jeunes du quartier de gare de l’Est.

Par conséquent, les inscriptions ont fondu comme neige au soleil : une petite vingtaine de non-renouvellement au début de l’été ; pratiquement le double à l’approche de la rentrée, forçant le club parisien a réduire de moitié les équipes U14 et U16 au début du mois de septembre.

«On risque de mourir à petit feu», alerte le club.

À cause de l’instabilité de la situation, nombre de parents ont préféré inscrire leur enfant dans un autre club.

« On nous a bien proposé de les accueillir sur un stade du Parc des Sports Interdépartemental de Bobigny (Seine-Saint-Denis), raconte Kader Chaouch. Mais nous avons calculé : cela représente 45 min de trajet minimum pour seulement une heure d’entrainement, et cela, à des heures impossibles pour des enfants », poursuit-il.

Certains parents n’ont évidemment pas les moyens financiers de payer quelqu’un afin d’être disponible pour chercher les gosses à la fin de l’entraînement

« Certains parents n’ont évidemment pas les moyens financiers de payer quelqu’un afin d’être disponible pour chercher les gosses à la fin de l’entraînement », souligne Joey Ada Nkomo, le Président du RC Paris 10.

Chez les adolescents, l’alternative à Bobigny provoque des cris d’effroi. Joachim, un jeune ado les yeux vissés sur le terrain, souffle pourtant « avoir confiance en Victor ». Son coach est l’un des éducateurs sportifs officiant bénévolement au sein du club. « Je trouve ça beau, la vérité. Je trouve ça bien que les jeunes veuillent rester au RC Paris 10, même dans ces conditions », chuchote Barbara.

« Nous sommes appréciés car on fait partie du tissu associatif et qu’on assume pleinement notre rôle », plaide Kader Chaouch.

Les parents de joueurs font bloc derrière le club

« Le RC Paris 10 reflète la réalité du 10ème arrondissement », pour le papa de deux jeunes joueurs qui ont fait leurs gammes au sein du club parisien. « On y retrouve la mixité sociale, le côté Black Blanc Beur dont tout le monde était fier en 1998 et qui s’étiole aujourd’hui, mais qui se maintient ici », avance-t-il.

Face aux rumeurs de destruction du stade de la Porte de Bagnolet, et à l’incertitude quant à la poursuite des entraînements, « une solidarité et une prise de conscience se sont rapidement manifestées entre parents », décrit ce père de deux garçons. « Nous avons créé un fil WhatsApp dédié, où nous échangeons régulièrement avec au moins sept parents de joueurs », évoque-t-il.

La mairie de Paris n’a même pas attendu la fin de la saison pour déloger les équipes de foot

Rapidement, les échanges de messages teintés d’inquiétude se muent en démarche concrète pour tenter de trouver une solution pour les enfants. Un mail est envoyé à la mairie du 10ème arrondissement. Il restera sans réponse.

« Nous avons été mis devant le fait accompli », s’insurge encore ce papa. « La mairie de Paris n’a même pas attendu la fin de la saison pour déloger les équipes de foot », observe, amer, le père de famille.

« Il y a avait déjà trop d’équipes affectées sur le terrain de Porte de Bagnolet et maintenant, on nous annonce qu’on va le raser. J’ai du mal à comprendre la logique ».

Un club ancré dans le quartier de Gare de l’Est

Créée en 2006 à la demande des habitants, le RC Paris 10 est « plus qu’un club de football », glisse son fondateur. En 2001, le quartier de Gare de l’Est se retrouve alors sans structure, après le départ en retraite du créateur du FC Paris 10. « Je recevais des messages de joueurs qui ne comprenaient pas qu’il n’y ait pas de club dans le quartier », raconte Kader Chaouch.

Décidé, Kader Chaouch lance en avril 2006 le RC Paris 10, qu’il façonne de manière « quasi familiale ». « Le club fédère 16 à 18 éducateurs sportifs, qui donnent de leur temps bénévolement. Nous avons réussi à créer une véritable osmose entre les classes sociales », décrit-il fièrement.

Plusieurs dizaines d’adolescents n’ont toujours pas de terrain pour s’entraîner à la rentrée.

« Le 10ème arrondissement n’est pas le quartier le plus aisé de Paris », note Kader Chaouch. « C’est pourquoi nous croyons en la répartition sociale. On essaye d’être conciliants avec les parents qui ont des difficultés de paiement. Aucun enfant n’entendra : vos parents ne payent pas, vous ne pouvez plus jouer au foot », annonce le fondateur du RC Paris 10.

En plus des cours de football, pour les joueurs de 6 à 35 ans, les adhérents du club participent deux fois par mois à des maraudes sociales organisées par l’association La Rue Tourne. « Le grand cœur du club, je l’ai vu dès mon arrivée », remarque Barbara, en poste depuis quelques semaines.

Un club refuge pour les jeunes du quartier

Joachim, le collégien, finit par admettre qu’il a « un peu le mort » face à la situation. À la rentrée, il espérait assister son coach, pour apprendre les bases d’entraîneur. Il souhaitait même « racheter le club » ou bien alors « prendre la place de Dylan », glisse-t-il pour rire. Des rêves de gosse qui devront attendre.

Le jeune garçon a fait plusieurs structures avant d’atterrir, il y a cinq ans. « Il y a une bonne ambiance ici, par rapport à d’autres clubs de football. Dans mon précédent club, on ne m’a jamais laissé ma chance, évoque-t-il. On choisissait toujours les mêmes joueurs pour les matchs. »

 Chez les filles, c’est encore pire : on doit toujours faire de la place aux garçons

« On essaie de divertir les enfants au-delà de l’école. Pour certains, le foot est un échappatoire », remarque Barbara. « Pour les parents, cela va être difficile de les canaliser », ajoute-t-elle.

Une carence structurelle en terrain de foot

« Je pense qu’il n’y a pas assez de terrains à Paris, poursuit la jeune femme. « Même pour les équipes qui ont un terrain attitré, il y a toujours des questions : est-ce qu’on aura assez d’espace ? Chez les filles, c’est encore pire : on doit toujours faire de la place aux garçons », souffle-t-elle.

La ville de Paris compte 70 terrains de football au total mais, « les 11 premiers  arrondissements ne disposent presque pas de stades ou terrains d’éducation physique configurés football », décrit Pierre Rabadan, adjoint à la mairie. « La quasi-totalité des terrains de grands jeux sont situés dans les arrondissements périphériques », explique-t-il.

De fait, « avec une moyenne de 14,2 aires sportives pour 10 000 habitants pour une moyenne française de 42 », la ville de Paris « est structurellement sous-doté en aire sportive », admet-il.

Une situation qui contraste avec les ambitions de la ville. « Paris organise les Jeux Olympiques en 2024, mais le reste ? », s’indigne un parent de jeunes sportifs. « Si c’est pour détruire les stades existants » , ajoute ce père de famille, « c’est une absurdité ».

Méline Escrihuela

Articles liés

  • En quête des vendeurs de ballons lumineux

    Sur les lieux touristiques, mais aussi aux abords d’un carrefour de Bondy, des hommes vendent des ballons lumineux. Malgré quelques flops, nous sommes allés à leur rencontre. Reportage et rebondissements.

    Par Thidiane Louisfert, Selim Krouchi
    Le 22/11/2023
  • Wesh le travail, ça dit quoi ?

    Dans le milieu professionnel, les jeunes de quartiers sont souvent amenés à supprimer toute trace d’appartenance à leur classe sociale. Ceci implique de masquer une certaine manière de s'exprimer, largement stigmatisée dans notre société. Nous en avons parlé avec les principaux concernés et des sociolinguistes.

    Par Ambre Couvin
    Le 05/10/2023
  • Kady : la cuisinière qui a mis Franc-Moisin sur la carte

    Aux pieds des immeubles, Karidia Sanogo fait vivre le quartier du Franc-Moisin à Saint-Denis (93), depuis 12 ans grâce à ses grillades et sa cuisine de rue. Passage obligé, les anciens du quartier sont nombreux à revenir pour déguster ses mets.

    Par Meline Escrihuela
    Le 31/08/2023