Construire la loi Immigration comme le point d’inflexion du macronisme c’est dire, par la même occasion, que tout ce qui la précédait ne constituait pas une politique d’extrême-droite. Par conséquent, c’est se tromper sur la réalité de la politique d’Emmanuel Macron et de ses différents gouvernements.

Rappelons qu’une autre loi concernant l’immigration a été portée par un ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron. En 2018, Gérard Collomb défendait la loi Asile et Immigration et on y retrouvait déjà l’idéologie raciste et xénophobe qui est à la source de la loi portée par Gérald Darmanin.

On se demande alors comment il est possible d’être ahuri devant le fait que la loi Immigration mette fin à automaticité de l’acquisition de la nationalité dans le cadre du droit du sol. En 2018, la loi disposait qu’à Mayotte, seuls les enfants dont au moins un des deux parents séjournait de manière régulière sur l’île depuis plus de trois mois avant la naissance pourraient demander la nationalité française. Désormais, il est nécessaire que les deux parents aient résidé de manière régulière sur le territoire depuis au moins un an au moment de sa naissance, c’est aussi le cas en Guyane.

La rétention de mineurs devrait se poursuivre

D’autre part, si Emmanuel Macron et ses ministres se félicitent aujourd’hui d’avoir interdit la rétention des mineurs dans les centres de rétention administrative, il faut se remémorer que le gouvernement de 2018 s’y était opposé. Et concernant cette interdiction, Mayotte fait encore une fois exception. La rétention des mineurs y est possible. L’exception que constitue Mayotte n’est pas surprenante quand on se rappelle du commentaire raciste qu’avait proféré le Président de la République en 2017 :« Le kwassa-kwassa pêche peu ! Il amène du comorien ! », avait-il dit, faisant ainsi référence aux immigrés comoriens arrivant à Mayotte par kwassa-kwassa (type de canots).

Quand le Président fait allusion aux Comoriens qui migrent comme à des animaux ou à des déchets ramenés par kwassa-kwassa, il n’est pas surprenant que la rétention à Mayotte des mineurs comoriens soit une chose possible. Quand on ne considère pas des individus comme des êtres humains, leur reconnaître des droits devient une tâche beaucoup plus difficile.

En outre, l’interdiction d’enfermement des mineurs devrait se voir annuler par une disposition défendue par la France dans le cadre du Pacte asile et immigration européen.

Faut-il aussi évoquer la circulaire Collomb ? Pour rappel, cette circulaire ministérielle, signée le 12 décembre 2017 par Gérard Collomb et Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires de l’époque, permettait à des « équipes mobiles », d’« évaluer » la situation administrative des personnes hébergées au sein des hébergements d’urgences. En d’autres termes, ces équipes pouvaient entrer au sein des hébergements d’urgences et exclure les personnes notifiées d’une obligation de quitter le territoire. Fort heureusement, grâce à la mobilisation d’associations, le Conseil d’État a encadré cette circulaire. Ainsi, pour reprendre les mots de l’article du Monde de l’époque : « les agents de l’OFII n’étaient pas autorisés à pénétrer dans [les hébergements d’urgences] et les fichiers contenant des indications confidentielles ne pouvaient être transmis ».

La prétendue « mollesse » de l’extrême droite

Un autre exemple, loin d’être anecdotique, est celui du débat entre Gérald Darmanin et Marine Le Pen en 2021 sur France 2. Cette dernière déclarait à propos du livre du ministre de l’Intérieur, Le séparatisme islamiste : manifeste pour la laïcité : « J’en reviens à votre livre, parce que je l’ai lu avec beaucoup d’attention, et objectivement, à part quelques incohérences, j’aurais pu le signer », affirmait-elle. Dans ce même débat, le ministre de l’Intérieur assurait que Marine Le Pen était « dans la mollesse » du fait de sa stratégie de dédiabolisation. « Vous êtes prête, si je comprends bien, à ne même pas légiférer sur les cultes, et vous dîtes que l’islam n’est même pas un problème », l’accusait-il.

Au vu de ces quelques exemples, il serait difficile de déterminer quand le macronisme serait devenu d’extrême-droite, ou pour le dire autrement : on serait bien en peine d’établir le moment où le macronisme a été autre chose que le racisme et la haine des étrangers. Assurément, Emmanuel Macron apparaissait moins pire que Marine Le Pen en 2017 et en 2021. Il serait faux de nier qu’il existe une différence de degré entre eux, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’appartiennent pas aux mêmes cadres théoriques.

Si Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont les mêmes problèmes – à savoir l’immigration, les mouvements anti-racistes, l’islam et les pauvres – c’est qu’ils partagent la même vision du monde.

Au-delà de la question de migratoire, le macronisme n’a-t-il pas cessé de parler de « séparatisme », à la manière dont on parlait de « communautarisme » par le passé, pour attaquer les personnes racisées et les mouvements anti-racistes ? Le macronisme n’a-t-il pas cessé de participer à la construction d’un « problème musulman » ? Avons-nous aussi oublié toutes les fois où le macronisme s’est fait le défenseur de la police. À chaque fois qu’il était question des vies que cette institution ôtait et cela de manière plus virulente lorsque que les vies ôtées étaient celles de personnes non-blanches ? A-t-on déjà oublié la mort de Nahel ?

Si Emmanuel Macron et Marine Le Pen problématisent le monde de la même manière, s’ils ont les mêmes problèmes – à savoir l’immigration, les mouvements anti-racistes, l’islam et les pauvres – c’est qu’ils partagent la même vision du monde. Emmanuel Macron et Marine Le Pen partagent les mêmes schèmes mentaux. La phrase de Marine Le Pen criant sa victoire idéologique n’a donc que peu d’importance, cela fait un moment que sa victoire est actée.

Miguel Shema

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