Dans une démocratie saine, un homme vêtu d’un uniforme, un homme qui représente la force publique, l’État, sur la voie publique, devrait être exemplaire. À ce titre, une faute de sa part devrait entraîner une sanction des plus sévères. Dans le monde tel qu’il est, la justice apparaît forte avec les faibles et faible avec les forts.

Le 2 février 2017, la vie de Théodore Luhaka s’est arrêtée. À la barre, le jeune homme de 29 ans qui rêvait d’une carrière de footballeur a décrit sa descente aux enfers. « Depuis ce jour, je ne suis plus pareil (…) Je me considère comme mort. » Tout au long des neuf jours d’audition, Théodore Luhaka s’est tenu droit et digne. De sa parole pondérée, il a déclaré, la veille du verdict : « Tout me convient, tant que [les policiers] sont condamnés ». 

Le 19 janvier, après neuf heures de délibération, la cour a rendu son verdict. Les trois policiers ont été reconnus coupables de violences volontaires. La qualification de violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente n’a pas été retenue.

Le principal accusé était poursuivi pour ces faits avec les circonstances aggravantes de sa qualité de personne dépositaire de l’autorité publique, avec arme et en réunion. Il risquait jusqu’à quinze ans de prison. Mais le mis en cause a écopé d’un an de prison avec sursis.

Cette décision a pour conséquence de requalifier le coup de matraque de ce policier en délit et non plus en crime. Son avocat, Me Thibault de Montbrial, s’est d’ailleurs satisfait d’un verdict, « qui établit le fait, que [son client] n’est pas un criminel ». 

Pour s’en justifier, la cour a laborieusement expliqué qu’elle n’avait « pas la conviction que les lésions organiques présentées par monsieur Luhaka, en dépit de leur caractère particulièrement grave, [aient] entraîné pour lui la privation irrémédiable de l’usage de ses facultés organiques, dépassant de simples gênes ou amoindrissements, seraient-ils permanents tels qu’une incontinence aux gaz. » 

Lors des débats, les experts avaient, eux, affirmé que le sphincter (muscle anal) n’était pas réparable et les séquelles seraient irréversibles. Le sujet n’a d’ailleurs pas sembler faire l’objet de débat durant les neuf jours d’audiences.

« Il y avait un enjeu majeur à dire qu’un policier avait commis un crime sur un citoyen »

Pourtant, il y avait là un enjeu majeur à dire qu’un policier avait commis un crime sur un citoyen. Mais le fait d’écarter l’infirmité permanente préserve l’institution policière de ce précédent.

Faux en écriture publique, coups ni réglementaires ni proportionnés… Tous les éléments évoqués lors des débats n’auront pas suffi à convaincre la cour d’appliquer des peines exemplaires. L’existence même de ce procès relève de l’anomalie tant il est rare que des policiers se retrouvent sur les bancs d’une cour d’assises et encore moins que des condamnations soient prononcées.

Comme le rappelle Mediapart, la dernière condamnation définitive aux assises remonte à 2017. Elle a eu lieu à l’issue du procès du policier, Damien Saboundjian, poursuivit pour des coups mortels sur Amine Bentounsi, tué d’une balle dans le dos. Le gardien de la paix avait été condamné à cinq mois de prison avec sursis. À l’annonce du délibéré, Amal Bentounsi, la sœur du défunt, était présente. Ce verdict envoie un message clair à la police : « Vous pouvez mutiler et vous aurez du sursis », a-t-elle déclaré.

La décision a immédiatement été mise en comparaison avec les peines « rapides, fermes et systématiques » prononcées lors des révoltes urbaines après la mort de Nahel Merzouk, tué par un policier à bout portant. Les instructions du garde des Sceaux avaient été suivies à lettre. La justice avait à cœur, cette fois, d’appliquer des peines exemplaires pour « rétablir l’ordre public » et la paix sociale.

Si l’avocat de Théodore Luhaka a salué « une décision d’apaisement », force est de constater que l’accueil de ce verdict suscite l’incompréhension et la colère.

Emblématique, l’affaire Théo a présenté une partie civile au-dessus de tout reproche et des policiers dont les méthodes ont été remises en cause par la police des polices. Pour le dire prosaïquement, si dans des circonstances comme celles-là, la justice ne reconnaît pas le caractère criminel d’une action policière, il y a peu de chances qu’elle le fasse un jour. Et le slogan « pas de justice, pas de paix » conserve de beaux jours devant lui.

Héléna Berkaoui

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