La guerre des sexes est le sujet de l’essai d’Olivia Gazalé. Pour imposer sa domination sur la femme, l’homme aurait construit « le mythe de la virilité ». Depuis la préhistoire, il est difficile d’être une femme mais aussi un homme. Les unes comme les uns sont asservis et soumis à des pressions sociales et culturelles. Les premières vivent toujours sous la domination masculine. Comment en est-on arrivé là ?

Épisode 4 : La diabolisation du sexe féminin

« De la mythologie olympienne aux religions du Livre en passant par le confucianisme ou le bouddhisme, c’est une clameur unanime : la femme est en partie liée avec le démoniaque, elle exerce une suprématie occulte et c’est ce qui justifie son assujettissement et sa domestication ». C’est ainsi que commence le chapitre intitulé « La diabolisation du sexe féminin » dans le livre Le mythe de la virilité. Dans celui-ci, l’auteure, Olivia Gazalé, va entre autre décrire les processus qui, durant l’Antiquité, ont amené dans la mythologie grecque la diabolisation de la femme et du féminin. Des processus qui pourraient être résumés à travers ces mots d’Olivia Galazé : « C’est toujours, les mêmes luttes des Fils contre une Grande Déesse démoniaque qui s’exprime dans les récits mythologiques. Car, à l’image de ces terrifiantes figures maternelles, la femme fait peur, elle terrifie même, surtout quand elle est belle ». Et de la beauté, il en est souvent question dans ces mythologies. Une beauté qui envoûte, une beauté qui dans L’Odyssée a retardé l’arrivée d’Ulysse à cause d’une succession de « séduction maléfique », une beauté qui comme celle d’Hélène va engendrer la guerre de Troie.

Pour la philosophe Olivia Galazé, « le message est sans ambiguïté : la puissance érotique des femmes est le plus grand des dangers ». Ces mythologies et ces récits ont perduré dans toutes les théologies et ont forgé, inconsciemment, des récits diaboliques qui subsistent encore aujourd’hui avec des figures telles que les sorcières ou les sirènes. Dans un article du site MadmoiZelle.com, la journaliste Sarah Bocelli écrit ceci à propos du mythe de la sirène : « Une femme, quoi qu’il en soit, attirante et libre, ce qui en a a étrangement fait quelque chose de dangereux… ». En somme, la femme est dangereuse et il réside en elle un mal profond, un démon qui se tapit dans les abîmes de son vagin. La femme est dangereuse et elle l’est d’autant plus qu’elle est belle.

Légitimer la misogynie

Ce qui est intéressant de voir ici ce n’est pas l’existence des processus de diabolisation du sexe féminin mais ce qu’ils engendrent, ce à quoi ils vont donner vie. Cette diabolisation va être une justification des malheurs qui vont s’abattre sur les femmes. Elle a pour but de légitimer la misogynie. La femme en qui réside le pêché originel (que ce soit celui de Pandore ou d’Ève), ne mérite-t-elle pas tous les malheurs du monde ? Une question à laquelle le patriarcat a répondu par un « OUI » catégorique. Olivia Gazalé l’écrit très bien dans son oeuvre : « Le péril justifie la violence : pour venir à bout du monstre, des armes seront parfois nécessaires ». Ce monstre étant la femme, ou ce qui réside en elle et qu’elle ne peut contrôler. Le patriarcat va donc se construire une armature de logiques pour justifier l’oppression des femmes. La sexualité dans la diabolisation de la femme tient une place importante. Les femmes ne sont pas de simples monstres elles sont des monstres sexuelles, jamais insatiables, jamais assouvis et pourtant voici que les hommes sont obligés de l’assouvir, ils se sentent donc menacés. « Car qui dit femelle insatiable dit mâle en devoir permanent d’érection : la vraie panique de l’homme, c’est celle de l’impuissance ». Et c’est ainsi que le mythe de la virilité a placé les privilégiés, les hommes, dans une position de victime.

Grâce à cette diabolisation, la société qui force l’excision des femmes n’est pas une société sexiste qui mutile les femmes mais une société qui protège les hommes de ce monstre sommeillant dans les vagins des femmes. Exciser, c’est tuer le monstre dans l’œuf, protéger les hommes et les familles de l’adultère féminin car il n’est pas possible pour un simple mortel de combler un monstre insatiable. Ce monstre risque donc d’aller chercher à assouvir ses désirs chez un autre. Pour cette société, l’excision a été la solution.

Un enjeu de santé publique

La diabolisation des femmes, de leur corps et de leurs plaisirs a aussi changé de forme au fil du temps. En Occident du moins, elle s’est muée en une « pathologisation ». L’homme est dans la maîtrise de son corps, de ses sens, un être de raison qui est dans l’abstraction. Tandis que la femme, elle, ne serait plus un monstre mais un être qui est physiologiquement destiné à des comportements, des humeurs, qui le met dans tous ses états. La femme est rattachée à la chair, à la terre, elle subit son corps. La preuve ? Elle perd son sang. Michel Foucault dans Histoire de la sexualité I : La volonté de savoir décrit ce qu’il appelle « l’hystérisation du corps de la femme ». « C’est le triple processus par lequel le corps de la femme a été analysé – qualifié et disqualifié – comme corps intégralement saturé de sexualité; par lequel ce corps a été intégré, sous l’effet d’une pathologie qui lui serait intrinsèque, au champ des pratiques médicales; par lequel enfin il a été mis en communication organique avec le corps social (dont il doit assurer la fécondité réglée), l’espace familial (dont il doit être un élément substantiel et fonctionnel) et la vie des enfants (qu’il produit et qui doit garantir, par une responsabilité biologico-morale qui dure tout au long de l’éducation): la Mère, avec son image en négatif qui est la « femme nerveuse », constitue la forme la plus visible de cette hystérisation ».

On n’est donc bien loin des mythologies et des théologies qui perçoivent la femme comme un monstre démoniaque, ou un être qui possède en lui quelque chose de mal, qu’il faut tuer. Ici, la femme est considérée comme un enjeu de santé publique. Pour le philosophe Michel Foucault, le pouvoir a fait du sexe un enjeu de savoir qui toucherait au plus profond le corps social, qui relève de sa survie. La sexualité, et plus particulièrement celle des femmes, est devenue lieu où s’exerce un pouvoir des institutions médicales. Nous devons connaître la vérité du sexe, et la vérité qu’il dit de nous, la vérité qu’il dit des femmes. Le plaisir féminin est passé de monstre à pathologie.

L’invisibilisation du plaisir féminin

Malgré cette volonté de savoir, de faire un savoir sur le sexe et de la vérité qu’il dit de nous, il a existé une méconnaissance importante de la part de la médecine de cette organe qu’est le clitoris. Après l’excision physique des femmes, voici l’excision psychologique. Alors qu’on veut la vérité sur le sexe, on a en même temps construit le plaisir féminin comme quelque chose de complexe, de mystérieux et d’incompréhension à la limite du mystique.

« C’est que dalle ! ». C’est par ces mots que la gynécologue Odile Buisson décrit le clitoris en 1998. Le clitoris a été invisibilisé, car faute de ne plus pouvoir l’excisé on l’a rendu imperceptible. « L’Occident a complètement excisé le clitoris ! », tranche Odile Buisson. Car dire vrai du plaisir féminin, dire vrai sur le clitoris c’est faire des femmes non plus des femmes désirés mais des femmes désirantes, faire des femmes consciente de leur plaisir et faire ça, ça ce serait réveiller ce monstre qui sommeille en elle et qui est prêt à se réveiller à tout moment.

Pour conclure cet épisode 4, je vais citer les mots de la chanteuse Bonnie Banane qui dit dans son titre L’appétit : « Encore à me justifier d’une pomme que j’aurais croquée ». Car les mythologies et théologies d’antan de la femme diabolique ou de la première pécheresse forgent encore aujourd’hui nos imaginaires. Quoi qu’elles fassent les femmes doivent se justifier. Il réside en elles quelque chose de mauvais, que ce soit un démon ou une pathologie. Les diabolisations ou la pathologisation servent à légitimer l’oppression des femmes. Les femmes, elles, doivent se justifier de vouloir prendre du plaisir. Un plaisir diabolique ou qui met en péril le corps social. Elles doivent se justifier d’être présente dans l’espace public, se justifier de tout et à tout jamais.

Miguel SHEMA

(Re)Lire l’épisode 1, l’épisode 2 et l’épisode 3

À suivre « Épisode 5 : De l’importance de la déconstruction »

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