Sweat violet, chaussettes à paillettes et vapoteuse : Nadia Daam a l’air de la plus cool de nos copines. Encline à tutoyer les blogueurs et à s’émerveiller de chaque but marqué par le Maroc lors du match contre le Portugal, elle n’en a pas que l’air.

Sans surprise, on apprend qu’elle vient de la région la plus cool de France : l’Alsace (selon l’auteure de ces lignes). « Je n’ai pas grandi au marché de Noël », précise la Strasbourgeoise.

« Je n’avais pas conscience de cette image de carte postale. Le marché de Noël, le quartier européen, ce n’est pas le Strasbourg dans lequel j’ai grandi », expose celle qui a grandi à la Cité de l’Ill, une zone d’habitat social construite à la fin des années 1950. « Mon objectif premier était de partir très vite », se rappelle-t-elle.

« Ma famille était obsédée par les études, comme toutes les familles d’immigrés »

Une semaine après son bac, Nadia Daam fait ses bagages pour Paris. Elle rentre à hypokhâgne pour faire plaisir à ses parents. « Ma famille était obsédée par les études, comme toutes les familles d’immigrés. » Elle y reste trois semaines et squatte les bancs de la fac à la place, en licence d’Art du spectacle.

Étudiante, elle enchaîne alors les petits jobs. « J’étais rincée », se remémore la journaliste qui est même passée par la préparation de quiches durant la nuit. « On ne peut pas cartonner en cours dans ce contexte ».

À l’avant poste du « tinder de l’époque »

« Grande lectrice » du quotidien Libération, Nadia Daam décroche un job dans la rédaction au losange rouge. Le travail consiste à gérer la page des petites annonces. À cette époque, Libé met à disposition un encart nommé « Transport amoureux ». L’occasion pour un. usager.ère du métro d’essayer de retrouver la personne sur qui il ou elle a flashé dans la rame. « C’était le Tinder de l’époque », s’amuse la journaliste.

Dans les locaux de Libé, Nadia Daam découvre un monde. « Il y avait une émulation intellectuelle de dingue », se rappelle-t-elle. Au début des années 2000, une place se libère au service web qui vient à peine de se créer. Elle saisit l’occasion. « En gros, on me demandait de changer les cartouches d’imprimante », explique-t-elle. Un travail pas suffisamment épanouissant puisqu’elle s’envole pour le Mexique et y pose ses bagages pour une année.

Un engagement féministe continu

De retour à Paris, Nadia Daam prend une décision déterminante pour la suite. À 26 ans, elle se lance dans une formation à l’EMI CFD (École des Métiers de l’Information). Une formation intensive à l’issue de laquelle elle décroche un emploi chez 20 minutes.

J’ai fait l’expérience de l’incompatibilité du monde du travail avec la vie des mères

Dans le même temps, elle devient mère. « J’ai fait l’expérience, comme plein de femmes, de l’incompatibilité du monde du travail avec la vie des mères », constate-t-elle. Mère célibataire, Nadia Daam travaille jusqu’à tard dans la soirée en tant que secrétaire de rédaction. Après restructuration, on lui demande de passer dans l’équipe du matin (lever 5 heures). Elle demande naturellement un aménagement d’horaire. On le lui refuse. 

À la même période, elle écrit un essai sur les affres de la maternité et ses injonctions contradictoires avec Emma Defaud et Johanna Sabroux en 2008. « Les thèmes féministes se sont naturellement présentés à moi », remarque la journaliste qui reste connue pour ses billets féministes sur Slate notamment.

 

 

« Après cela, j’ai pris une très mauvaise décision : j’ai démissionné pour travailler dans la presse féminine », s’esclaffe la journaliste. Elle rentre au service société d’un de ces grands magazines féminins. « Absolument tous les préjugés qu’on peut avoir sur la presse féminine étaient présents », souffle Nadia Daam. « La ligne éditoriale allait totalement à l’encontre de mes valeurs », poursuit-elle.

« À l’époque, on m’a même traitée de folle »

L’aventure dans la presse féminine est de courte durée. Nadia Daam enchaîne ensuite les chroniques sur l’émission de France 5 Les Maternelles, 28 minutes d’Arte et les articles sur Slate.fr. Sa plume se consacre aux sujets qui lui tiennent à cœur. Maternité, publicités sexistes ou encore parité : « Je produisais tout simplement ce que j’aurais aimé lire en tant que lectrice », détaille-t-elle.

« C’est assez vertigineux de voir à quel point ces questions occupent l’espace médiatique aujourd’hui, alors qu’à l’époque on m’a même traitée de folle », pointe-t-elle.

Si elle salue les avancées, Nadia Daam reste critique envers la profession, sa lenteur à évoluer sur les questions de diversité et de mixité sociale. Et sur la difficulté d’être une femme dans ce milieu, surtout à la télé où le corps est exposé. « Je me suis coupé les cheveux il y a deux mois. Je reçois encore des remarques sur ça », hallucine-t-elle.

Le harcèlement « te coupe les jambes et te coupe la voix »

2017, Nadia Daam commence à percer et sa carrière se stabilise. « Je commençais à faire des trucs, on me proposait du taff, ma mère était trop fière», se rappelle la journaliste, alors chroniqueuse sur Europe 1, 28 minutes et Slate.

Le 1er novembre 2017, la journaliste consacre sa chronique au forum 18-25 hébergé sur le site jeuxvideos.com. Les utilisateurs de ce site, proches de la mouvance masculiniste, ont saboté une plateforme féministe quelques jours plus tôt. Nadia Daam les étrille.

Mais le backlash (retour de bâton) de cette chronique sera sans commune mesure. La chroniqueuse essuie un raid numérique d’une violence terrible : menaces de mort, de viol, tentatives de piratage… Cette haine n’est pas cantonnée aux réseaux sociaux puisqu’elle subira même un cambriolage.

« Cela a été un bouleversement. J’ai déménagé trois fois depuis cette histoire », indique-t-elle. Elle a même vécu pendant un temps sous protection policière. « Ça te coupe les jambes et la voix », témoigne Nadia Daam qui a été contrainte d’abandonner des projets professionnels pour gérer la crise et protéger les siens.

Si les affaires de cyberharcèlement ne sont pas toujours prises au sérieux, Nadia Daam a reçu le soutien de la profession. Un soutien indispensable mais qui ne résout pas tout. « Pas mal de choses dans ma trajectoire professionnelle se sont cassées », constate-t-elle.

« Il n’est plus du tout question de dire Je ou de prendre des positions »

« Après ce harcèlement, j’ai démissionné d’Europe 1 et de Slate donc ils ont eu ce qu’ils voulaient : la silenciation », ajoute-t-elle. Sa manière de faire du journalisme a également changé. « Il n’est plus du tout question de dire Je ou de prendre des positions », lance Nadia Daam. Encore récemment, lors de l’émission radiophonique Modern Love qu’elle anime sur France inter, le standard a été inondé d’appels malveillants. « On a dû arrêter le direct et l’émission marchait moins bien après cela. »

Nadia Daam continue à faire du journalisme : sur ce point, ses harceleurs n’ont pas gagné. Chaque soir, à 20h05, elle est en plateau de 28 minutes d’Arte. « C’est une émission que je regarderais même si je n’y travaillais pas », assure-t-elle.

À l’heure des journaux télévisés, cette émission consacré un temps long à un fait d’actualité, souvent sur l’international. Un pas de côté salvateur pour éviter les biais médiatiques. « On s’en est toujours bien sorti, même quand le pays faisait une fixette sur le burkini ». Peut-être qu’un jour les autres médias s’en inspireront. Nadia Daam, elle, a toujours un train d’avance.

Méline Escrihuela

Articles liés