Nassim, étudiant à Sciences Po Paris et Sarah, diplômée de l’ESSEC, ont tous les deux bénéficié d’un programme « Égalité des Chances ». Aujourd’hui, ils veulent transmettre aux plus jeunes leur savoir et leur permettre d’intégrer à leur tour ces prestigieuses écoles. Reportage.

Ils sont une trentaine, en ce premier lundi des vacances de la Toussaint, dans une des salles de la prestigieuse école de Sciences Po Paris. Venus de toute l’Île-de-France, ces lycéens n’ont pas hésité à venir pour un stage de trois jours. Au premier étage des locaux de la rue Saint-Guillaume, ils s’installent et sortent de leurs sacs de quoi prendre des notes. Ces élèves de Terminale devraient être en vacances et en profiter pour faire une pause avec les cours, mais ils ont décidé de prendre en main leur avenir universitaire dès maintenant.

A seulement 21 ans, Nassim Larfa mène le stage. Cet élève brillant de Master de politique publique de la célèbre école du 7e arrondissement parisien, est surtout, ici, le vice-président de l’association « Ambition Campus ». « En 2007, un lycéen de Drancy a rencontré une étudiante de Sciences Po grâce à un entrepreneur. Il lui a alors demandé d’être accompagné pour sa préparation au concours d’admission. En contrepartie, il a été convenu qu’il lui donnerait des cours de boxe« . Cet échange donnant-donnant s’est étendu et a donné naissance à cette association qui inscrit son action dans le cadre du projet Convention d’Éducation Prioritaire, lancé en 2001 par le directeur de Sciences Po de l’époque Richard Descoings. Son objectif : diversifier les profils d’une grande école minée par la reproduction sociale et culturelle. A Ambition Campus, on fait de la transmission une priorité : des lycéens donnent des cours d’arabe, de cuisine ou encore de traditions sénégalaises et sont, en échange, épaulés par un étudiant de la prestigieuse école parisienne pour préparer les concours pour intégrer Sciences Po.

Pousser les jeunes à tenter les grandes écoles

C’est via ce dispositif « Égalité des Chances » que Nassim Larfa intègre Sciences Po Paris en 2013 après avoir obtenu son bac au lycée Gaston Bachelard à Chelles. Conscient des difficultés qu’ont les jeunes notamment en banlieue à s’orienter vers ce type de formation, il décide de s’investir au sein d’Ambition Campus pour transmettre tout ce qu’il a appris. « Le premier constat que j’ai fait au lycée, c’est que beaucoup de jeunes s’autocensuraient, explique l’étudiant. Ils disaient ‘Sciences Po ce n’est pas fait pour moi, soyons réalistes’. Ces phrases m’ont donné envie de leur prouver que si, c’était également fait pour eux et qu’ils devaient mettre des écoles d’excellence dans leurs premiers vœux sur Admission Post-Bac« .

Cette année-là, Ambition Campus s’associe à neuf lycées classés ZEP dans chaque département de la région francilienne et intervient, dès la rentrée, dans les ateliers Sciences Po mis en place dans le cadre de la convention. Ils sensibilisent les élèves de Terminale à l’orientation et aux différents métiers, proposent un coaching sous forme de binôme tuteur-lycéen pour les épreuves d’admission et plus particulièrement la constitution du dossier de presse à présenter au jury. Mais tout ne se concentre pas sur le bachotage en tant que tel.  Ambition Campus propose aussi aux lycéens des visites culturelles notamment dans les grandes institutions françaises et enfin des masterclass. Ce lundi soir, Nassim accompagné de Hichem et Lewis, respectivement en 1ère et 2ème année, reçoivent ces lycéens pour la présentation officielle de l’établissement. Après un tour complet des différentes formations dispensées par Sciences Po, les questions fusent, s’enchaînent. « Dans quel pays peut-on faire notre 3e année ?« , « Peut-on faire une pause entre la licence et le master ?«  Nassim, Lewis et Hichem répondent du tac-au-tac, chacun partageant son expérience personnelle.

Sciences Po à tout prix

Chaïma, 17 ans, habitante du 18e arrondissement, a longtemps hésité entre médecine et une formation sciences politiques/économie. Au lycée Rabelais où elle est scolarisée, elle entre un jour par pur hasard dans une salle où Ambition Campus était venu faire une présentation. L’idée d’intégrer Sciences Po lui donne alors envie de suivre le dispositif mis en place par l’association. « Mon père est banquier et ma mère professeur de français. Beaucoup de membres de ma famille sont dans le domaine médical. C’est pour cela que j’hésitais. J’avais juste envie d’être quelqu’un et de leur prouver que je peux faire quelque chose de grand. Grâce à Ambition Campus je vais m’améliorer à l’oral et je vais tout faire pour entrer dans cette école pour construire mon projet« , confie-t-elle.

Soukaïna, 17 ans, vient de Clichy-sous-Bois. Son lycée, Alfred Nobel est partenaire de Sciences Po Paris mais pas d’Ambition Campus. C’est un étudiant de la grande école, venu la présenter dans sa classe, qui les a informés de l’existence de l’association. « L’étudiant nous a expliqué qu’elle aidait à préparer les lycéens. Le problème c’est que mon lycée n’a pas de convention avec ambition Campus, je ne suis donc pas prioritaire pour avoir un tuteur. Je l’ai alors moi-même contactée car je voulais vraiment profiter de ces ateliers pour intégrer Sciences Po. J’ai peur de ne pas être prête pour mon oral et je sais qu’elle peut m’aider« .

Yanis, lui, n’en pouvait plus d’attendre de commencer enfin les ateliers. C’est lors d’une réunion à Paris sur le thème « Comment intégrer Sciences Po », qu’il a appris l’existence de l’association. Le lycéen de 18 ans du lycée Simone de Beauvoir à Garges-les-Gonesse a passé tout l’été à se renseigner sur les concours et la grande école qu’il souhaite intégrer à tout prix. « J’étais prêt dès la rentrée à participer à leurs activités. Je suis content aujourd’hui d’être entre ces murs pour ce stage de trois jours. Mais je serai heureux le jour où je passerai la porte en tant qu’étudiant. Ce sera ma plus belle réussite et je prouverai alors qu’on doit me juger sur mes capacités plutôt que sur le fait d’avoir bénéficié de la convention ». Yanis a l’âme d’un battant. Il rêve de faire bouger les choses et surtout, de transmettre. « Si j’intègre Sciences Po, je m’investis aussitôt dans Ambition Campus. Ne pas le faire serait égoïste« .

121 admis à Sciences Po grâce à Ambition Campus

C’est pour ces profils ultra-motivés que Nassim s’investit à fond. « Sciences Po nous apporte un soutien logistique. Notre partenaire, l’entreprise Orange, nous fournit des locaux pour nos masterclass et les ateliers. Pour le reste, on répond aux entreprises qui lancent des appels d’offres pour des projets d’égalité des chances ou dans l’éducation« . Les chiffres sont encourageants. « L’année passée, nous avons pu former 80 binômes. Soixante ont rendu leurs dossiers pour intégrer Sciences Po. Cinquante ont été admissibles et quinze ont pu intégrer l’école via notre tutorat« . Depuis la création d’Ambition Campus, 121 lycéens ont été admis. L’association aide également ceux qui n’y entrent pas à poursuivre leurs études dans les meilleures universités. Certains se dirigent finalement vers le lycée de renom Henri IV pour une prépa,  vers des cursus de double-licence ou encore des écoles de commerce.

C’est justement pour aider à intégrer une l’école de commerce de l’ESSEC que l’association « Ahmed et Adèle » est née début 2015. Comme Nassim Larfa, sa fondatrice et présidente, au parcours d’excellence, a eu envie de redonner ce dont elle avait bénéficié dans ses études. Sarah Khamassi a aujourd’hui 27 ans. Bénéficiaire de programme « égalité des chances » notamment à l’ESSEC d’où elle est diplômée, elle obtient également un Master Management des Médias à l’ESCP et participe à la Chaire Entreprise et Pauvreté de HEC. Rien que ça ! « J’ai eu envie de prolonger aussi ce concept en proposant mon aide aux jeunes, explique-t-elle. Le réseau des anciens de ces programmes grandissait, nos profils étaient vraiment variés. J’ai eu envie de couper le cordon avec l’Essec et de faire entendre nos voix« .

« Nous faisons un travail sur l’autocensure »

Composée exclusivement de bénévoles, l’association accueille toutes les bonnes volontés. Son réseau aide notamment à trouver des salles pour les différents événements. Actuellement, Sarah essaye de mettre en place un système de cotisation auprès des bénévoles. Le principe ? S’engager à donner 5 euros et 5 heures de son temps à l’association « Ahmed et Adèle ». Parmi les 1 700 anciens du programmes « Égalité des Chances » de l’ESSEC, des ambassadeurs se portent volontaires pour apporter leurs expériences et surtout ouvrir leurs réseaux. « Nous faisons un travail sur l’autocensure en présentant aux jeunes aspirant à intégrer l’ESSEC des profils qui leur ressemblent, et qui ont réussi. A l’ESSEC, nous faisons vivre les différents métiers par des rencontres avec des professionnels, des tables rondes, des afterworks de ‘création de réseau’. Aujourd’hui, nous avons 20 ambassadeurs qui accompagnent des groupes de jeunes« . Un système de tutorat est également mis en place : deux ambassadeurs, un étudiant de l’Essec et un ancien désormais dans la vie active, prennent en charge les lycéens par groupe de huit. Ils travaillent alors sur l’actualité, la culture générale ou leur argumentation pour préparer les différents concours et oraux.

L’association « Ahmed et Adèle » demeure cependant ouverte à tous avec un réseau très large. Parmi les 20 ambassadeurs, on y retrouve ainsi un étudiant Sciences Po Paris, un en pharmacie, des créateurs d’entreprises, des ingénieurs et un seul étudiant de l’ESSEC. Ils interviennent dans des collèges et lycées, parfois à la demande des proviseurs des écoles en partenariat avec l’ESSEC. « Ahmed et Adèle » a pour projet de lancer un événement « petit frère/petite sœur » en janvier, pour aider les plus jeunes, comme les collégiens, à préparer leur brevet. « Nous aimerions inviter des personnalités connues avec leur petit frère ou petite sœur pour motiver les jeunes à venir ».

Inès EL LABOUDY

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