Le parc Georges-Valbon, communément appelé Parc de la Courneuve, c’est un peu le Central Park de la Seine-Saint-Denis ! Pas moins de 400 hectares de verdure le composent dont un lac artificiel de 12 hectares qui accueille oiseaux d’eau, poissons, insectes en tout genre et grenouilles, tout cela à cheval sur les communes de La Courneuve, Saint-Denis, Stains, Dugny et Garges-lès-Gonesse (Val d’Oise). Une aubaine pour les collégiens avides de sciences inscrits à l’association Science Ouverte pour un stage d’une semaine sur le thème de la biodiversité. Au programme ce jeudi : la découverte de la biodiversité du parc dans une mare où les collégiens vont devoir attraper quelques insectes et amphibiens afin de les observer.

L’atelier démarre juste devant la maison du Parc où des oies bernaches du Canada, peu farouches, se dorent la pilule à quelques mètres des élèves. Quand Clémentine Cahard, technicienne animatrice patrimoine et environnement du parc précise que la baignade est interdite car les déjections des oies polluent l’eau, un collégien lui demande, tout inquiet : « Ce n’est pas dangereux pour les oies de boire l’eau du lac ? » « Elles sont bien plus résistantes que nous » le rassure-t-elle, avant d’expliquer pourquoi les crottes sont bicolores, vertes et blanches : « Elles n’ont qu’un seul orifice, le cloaque. La partie blanche est celle qui contient l’urine. »

Deux oies bernaches du Canada au parc de la Courneuve

Clémentine enchaîne sur la reproduction des oies, « un échange de spermatozoïdes par contact cloacal« , puis sur celle des canards. « Le canard a un pénis qui peut faire la même taille que son corps. Il est replié en tire-bouchon et se déroule à 140 km/h« . Rires étouffés parmi les adolescents.

Quelques foulques macroules au parc de la Courneuve

Alors que les collégiens apprennent à distinguer les foulques macroules et les poules d’eau, Clémentine décrypte leurs différentes façon de marcher et leurs vitesses dans l’eau. Une histoire de palme en somme : les poules qui n’ont pas de pattes palmées, sont très à l’aise sur terre, grimpent même dans les arbres, alors qu’elles galèrent quelque peu dans l’eau. Quant aux foulque, semi-palmés, elle sont à l’aise dans les deux environnements. Le canard lui, palmipède, est très rapide dans l’eau mais plus lent sur terre, avec son dandinement notoire.

La pouponnière des hérons

Après cette introduction à la biodiversité du lac, le groupe se dirige vers la mare pour passer à l’observation des insectes et amphibiens. Ils le longent, interrogeant Clémentine sur la véracité de l’existence du monstre du Loch Ness, repérant les nids cachés dans les branchages ou encore une cane très bien camouflée dans les hautes herbes. Clémentine en profite pour leur expliquer la différence de couleur entre le mâle et la femelle. « Chez certains animaux, la femelle est en charge de la descendance, il faut qu’elle survive à tout prix. S’il y a un gros rapace qui passe au-dessus du lac et qui veut manger du canard, il va voir les mâles et leurs têtes vertes en premier. » Les jeunes arrivent au niveau de l’héronnière, autrement dit la pouponnière des hérons. Un jeune mâle trône à la cime d’un arbre où sont installés d’énormes nids. Par chance pour cet arbre, c’est un petit groupe de hérons qui y a élu domicile, car lorsque la population grossit, les arbres meurent à cause des déjections très acides.

Jeune héron mâle

En face de ces grands oiseaux territoriaux, un groupe de photographes naturalistes est aux aguets, tous en tenues de camouflage et armés de leurs immenses objectifs. Ça croasse de plus en plus, signe que la mare est proche. Une fois arrivés au bord, Clémentine distribue les clés de détermination qui permettent d’identifier les insectes, en regardant notamment les ailes et les pièces buccales. Puis les collégiens se ruent vers la mare, avec les épuisettes, les plus pressés faisant l’erreur d’utiliser celles pour insectes volants dans la mare.

A la chasse aux insectes volants et aux grenouilles

Dès le moindre insecte attrapé, parfois difficile à repérer parmi la vase, les élèves accourent vers Clémentine, certains sursautant au moment d’attraper l’insecte, si minuscule soit-il, pour le mettre dans la boîte-loupe.

Béatrice, 12 ans, élève du collège Aime Et Eugénie Cotton au Blanc-Mesnil et Mouna, 11 ans, au collège de la Fraternité à Sevran ont passé la matinée ensemble à galoper après les libellules, elles ne se connaissaient pas avant le stage.

Mouna et Béatrice, collégiennes et élèves du stage biodiversité au parc de la Courneuve

« C’était un peu fatigant, mais c’est drôle de voir plein de petits insectes« , s’extasie Mouna. Assises au bord de la mare, elles ont suivi la technique préconisée par Clémentine : rester calmes au bord pour que les grenouilles reviennent. On les entend d’ailleurs davantage croasser dès que l’agitation baisse. Les deux nouvelles copines étaient déjà venues au parc mais c’est la première fois qu’elles voyaient le lac, la mare et tous ces petits insectes auxquels elles ne prêtaient pas attention. Elles comptent bien revenir y pique-niquer en famille.

La fin de l’atelier approche. Les collégiens entourent Clémentine pour observer leur butin, avant bien évidemment de libérer tous les insectes. « La mare est un écosystème hyper riche« , résume l’animatrice environnement, avant de diffuser ses connaissances sur chacun des insectes. « Je ne sais pas si vous avez déjà vu des documentaires sur la savane, avec le lion, les zèbres. Et bien la larve de libellule et la larve de dytique, qui est une grosse larve de coléoptère aquatique, ce sont des prédateurs, ce sont les lions de cet écosystème« . Les jeunes sont tout ouïe lorsque Clémentine parle de la technique de chasse de la libellule. « Vous avez vu le film Alien, la scène avec les dents qui s’ouvrent et la deuxième bouche qui sort ?, demande-t-elle. Et bien, la libellule a aussi une mandibule qui peut avancer comme un bras articulé pour attraper ses proies et c’est comme ça qu’elle chasse. Donc c’est un gros gros prédateur ».

Alors que les croassements reprennent, Clémentine est interrompue par un élève un peu désespéré : »Dès qu’on s’assoit, les grenouilles nous narguent« . Elle continue en leur montrant la boîte-loupe où flotte un gerris, communément mais improprement appelée araignée d’eau. « Les gerris sont des punaises. Ils ont un rostre au lieu d’avoir des mandibules. Donc vous ne pouvez pas vous faire mordre mais vous pouvez vous faire piquer. Et ils ont des petits poils sous les pattes, poursuit-elle, ça leur permet de se maintenir à la surface de l’eau. Par contre s’il y a des produits chimiques dans l’eau, ça va casser cette petite pellicule d’eau sur laquelle les gerris se maintiennent« , expliquant alors que la présence de gerris dénote une qualité de l’eau pas si catastrophique.

Un parc classé Natura 2000 grâce au Blongios nain

Seule plante au programme, la menthe aquatique. Les élèves se mettent à en humer les feuilles, délicatement, pour qu’Anaëlle Soulebeau, animatrice de Science Ouverte, puisse en faire une bouture. L’animatrice repart aussi avec un échantillon d’eau de la mare pour que les jeunes puissent l’observer au microscope et voir s’il y a des micro-organismes.

Pour Clémentine, la technicienne du parc, l’objectif de ces ateliers est que les enfants se souviennent qu’il faut respecter la nature. « Je veux vraiment qu’ils nouent une relation d’empathie avec la nature. Je ne peux pas les emmener de l’autre côté du parc. Et pourtant j’aimerais bien parce qu’il y a tout le vallon écologique« , citant le Blongios nain, le plus petit héron européen, un oiseau emblématique du parc puisqu’il est à l’origine de son classement Natura 2000, qui désigne des sites à protéger pour leurs habitats et leurs espèces représentatifs de la biodiversité européenne.

Clémentine Cahard, technicienne animatrice patrimoine et environnement du parc de la Courneuve

Il ne faut pas donner de pain aux oiseaux

Avant de clôturer l’atelier, dernier conseil et non des moindres pour ces adolescents qui seront amenés à revenir en famille. « Il ne faut pas donner de pain aux oiseaux. Ça provoque la maladie des ailes d’anges. Les parents qui ne vont manger que du pain vont avoir des carences alimentaires. Les petits vont être malformés et avoir les ailes complètement repliées dans le dos. Et ils ne pourront plus voler. Il vaut mieux leur donner des graines, car le sel est très mauvais pour leurs reins et le pain peut gonfler dans leur estomac et le faire exploser« .

Je ne savais pas qu’il y avait des araignées sur l’eau

Devant les croassements qui deviennent de plus en plus forts, Clémentine cède aux petits urbains un dernier coup d’épuisette. Bingo pour Lathursan, 13 ans, élève du collège Paul Langevin de Drancy et Zakaria, 14 ans, du collège Jean-Baptiste de la Salle à Saint-Denis. « On a eu du mal à l’attraper, reconnaît Zakaria. On était vraiment frustrés au début, parce qu’on les voyait« , explique celui qui « aime bien la nature« , très content de ce stage « au soleil« . Son compère Lathursan, qui n’était jamais venu au parc, est aussi ravi de ces découvertes. « Je ne savais pas qu’il y avait des araignées sur l’eau« . Les deux champions libèrent la grenouille verte après l’avoir observée. C’est le clou de l’atelier, les autres les félicitent, avant de plier bagage pour pique-niquer puis rentrer au quartier Avenir Parisien de Drancy poursuivre leur stage biodiversité. Au programme de cette semaine : observation des oiseaux et insectes en ville, construction de mangeoires pour oiseaux et d’hôtels à insectes, étude des vers de terre du Château de Ladoucette, encadrée par Vigie Nature ou encore initiation au dessin naturaliste par des dessinateurs du Muséum national d’histoire naturelle.

Zakaria et Lathursan, collégiens, fiers d’avoir pu attrapé une grenouille verte qu’ils relâcheront quelques minutes plus tard

« On veut développer les activités pour les collégiens« 

Ce stage biodiversité est destiné aux collégiens, public de plus en plus recherché par l’association Science Ouverte. « Dans l’attrait pour les sciences, il y a des choses qui se jouent beaucoup au collège« , explique Julien Rastegard, directeur pédagogique de l’association. A bon entendeur : « Pour développer ces activités pour cette tranche d’âge, il faut des profs-relais dans le département et des bénévoles qualifiés, chercheurs ou étudiants, qui peuvent encadrer, animer, préparer des stages« . Les activités proposées sont en majorité liées aux mathématiques, discipline de François Gaudel, fondateur de Science Ouverte en 2005, au lendemain des révoltes après le décès de Zyed Benna et Bouna Traoré dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois. Nous avions d’ailleurs suivi le stage de Maths avec le généticien Pierre-Henri Guyon, dans les murs du prestigieux Institut Henri Poincaré dirigé à l’époque par le mathématicien Cédric Villani, aujourd’hui député E Marche. Avec le recrutement en octobre 2017 d’Anaëlle Soulebeau, docteure en botanique, les sciences de la vie et de la terre seront davantage présentes dans les stages organisés pendant les vacances scolaires, aux côtés des maths, des météorites, du graphisme 3D et peut-être même du cerveau. Les jeunes inscrits aux différents stages sont majoritairement intéressés par des vacances scientifiques. Mais selon Julien Rastegard, l’implantation de l’association permet d’attirer aussi vers les sciences des jeunes du quartier Avenir Parisien qui ne partent pas en vacances. « Plus que d’apprendre la différence entre les foulques et les poules d’eau, ce stage biodiversité, c’est aussi pour leur montrer la richesse de leur territoire. »

Rouguyata SALL

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