A Bondy, il n’y a que le curé, les femmes et les chatons qui croient en l’Amour. Un mec de chez nous qui fête la Saint-Valentin, c’est comme un trader qui plante un arbre : ça sonne faux. Les progressistes et les drogués à « Plus belle la vie » essayent quand même de s’y mettre un peu, histoire de ne pas mourir idiot, mais une soirée Saint-Valentin qui commence dans un Kebab et finit par un foot en salle, ça fait pleurer les nanas, il paraît. C’est culturel : les Anglaises, elles ne font pas mannequin, nous, à Bondy, on ne fait pas Saint-Valentin. Et puis, on a déjà notre fête dédiée à l’amour : la Saint-Ventgadin.

Pas l’amour comme dans les films, attention, non, l’amour du pauvre, l’amour remboursé par la Sécu. Celui auquel tout le monde a droit : l’amour à sens unique. A La Saint-Ventgadin, nous célébrons les vents, les stops, les vestes et les bâches. C’est la fête des jardiniers ou plutôt de leurs râteaux. La ville est jumelée avec Leroy Merlin tellement on s’en mange à la pelle.

C’est que le Bondynois commence tardivement et de façon catastrophique sa vie sentimentale. Il va généralement au charbon après avoir subi des années durant l’influence satanique de « Beverly Hills » ou de la série « Dawson ». Mais là les acteurs américains sont beaux, lui, il est moche. Un poulpe aurait plus de chances de mettre sa langue dans la bouche d’une fille. Et même si Dame Nature se lasse un jour de faire marrer ses copines en leur montrant les gueules qu’elle nous a faites, c’est pas dit tout de suite qu’on goûte à l’élixir.

Quand une femme nous plaît, ça fait transpirer, on n’aime pas ça, alors dans le doute, on lui tire les cheveux. Et puis on est des rats, merde ! Le pique-nique en amoureux, c’est devant Lidl que ça se passe, avec une bouteille de Toxi-Cola posée sur les marches et un saucisson halal découpé avec son coupe ongle, le tout pour 1,15 euros. Le rat de Bondy n’a ni les fonds ni la forme. Pour lui, c’est foutu avant d’avoir demandé.

Même les beaux gosses, comme moi, fêtent la Saint-Ventgadin. C’est qu’on a tous eu des volcans d’acné, des fruits du potager qui poussent sur la gueule ou des corps qui grandissent à la transversale de l’axe de rotation de la terre quand on était ado. Durant cette fête, l’usage veut qu’on se retrouve entre couilles, pour se prodiguer conseils et soutien en ces heures sombres de détresse amoureuse. Triste est le cœur du Bondynois qui s’épanche sur sa douleur, poignant est son cri dans la nuit quand il pleure l’être aimé. Mais dans son malheur ses amis l’écoutent, le consolent et lui caressent la tête. L’amitié bondynoise est comme une ondée bienfaitrice venue éponger son chagrin, un arc-en-ciel de couleurs qui éclaire les cœurs meurtris.

Bon, retournez sur votre nuage en chocolat, les Bisounours ! Quand tu te manges un stop à Bondy, on te piste, on te traque et quand t’es à porté, on te jette des pierres en visant la tête jusqu’à ce que tu tombes, puis on te pisse dessus, et avec la boue que ça fait, on t’enfonce la tête dedans à coup de bottes ! Ici, dans le barrio bondyno, les amis c’est pas fait pour faire des câlins. C’est fait pour t’apprendre la vie. Qui a été assez sot pour donner à une meuf l’occasion de l’humilier, doit subir en bonus la vindicte populaire. Une leçon administrée de main de maître par les cadors du verbe gras et de la vanne qui pique.

Être Bondynois c’est un métier. Baisser sa garde dans ce monde où on n’attend qu’une chose, rire de tes malheurs, est une faute professionnelle. Avant, il y avait toujours un idiot qui nous faisait un beau gadin, l’histoire qu’on se raconte des années après au coin du feu. Mais les gens ont retenu la leçon. Car depuis dix ans, c’est la même casserole qui cuit à Bondy. Un stop tellement phénoménal qu’il efface tous les autres.

Allez, je vous raconte. A l’époque j’adorais la vie. J’étais au lycée, j’étais populaire et j’en pinçais un tantinet pour une jolie fille. Mais les clowns, ce n’est pas parce qu’on les aime bien qu’on les épouse. Vint la boum de fin d’année, ses slows entrainants, le printemps et l’espoir, mon cœur d’ourson brun s’engluait lentement dans la guimauve de Sucre d’Orge. Avec un peu trop de bulles de coca dans le sang, j’attire la belle en dehors de la fête dans un coin à l’écart, vers un petit bosquet de verdure. Je devais avoir beaucoup bu, car j’avais l’impression étrange que les buissons me regardaient…

Erreur de gros débutant, je lui dis : « Est-ce que tu veux sortir avec moi ? » Elle est géniale cette question… Imaginons qu’elle dise oui, je réponds quoi derrière : super ! À demain ! La la la schroutmpf la la ? De toute façon comme j’ai râpé, à cause du stress, c’est plutôt ça qui est sorti : « Tu…euh….sortir… bien non ?… sur bouche… toi plus moi ? »

Je vais mettre toute suite fin au suspens : elle a dit non. La foudre ne m’est pas tombée sur la tête pour autant, mais j’aurais préféré : tous mes amis ont assisté au massacre cachés dans les buissons qui m’entouraient. Ils pointent maintenant leurs index vers moi, les visages déformés par un affreux rictus, mélange de dédain et d’euphorie. Dans la panique, je m’enfuis comme un lâche. Inutile : quand le destin a décidé de te courser, tu es à pied et lui prend l’avion.

Je ne maitrisais pas très bien mon corps en ce temps là. En me retournant à la volée, ma tête a cogne violemment contre quelque chose et je chois. Des rires fusent autour de moi de plus belle, je vois des gens qui tombent par terre, hilares, les mains sur le ventre, déracinant dans leurs chutes les arbrisseaux qui les cachaient. Dans ma fuite, j’ai heurté un panneau STOP.

Idir Hocini

Paru le 26 février 2010

Idir Hocini

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