La loi Immigration portée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a été adoptée mardi au Parlement. « Une victoire idéologique » pour le Rassemblement national. Ce texte, largement durci en Commission mixte paritaire (CMP), consacre la préférence nationale et avalise les thèses de l’extrême-droite, même si ces dernières ne résistent pas à l’épreuve du réel.

Le département de la Seine-Saint-Denis, ainsi que 31 autres départements de gauche, ont annoncé leur refus de faire une distinction entre Français et étrangers dans le versement de l’allocation personnalisée d’autonomie. Le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, dénonce une loi « écrite sous la dictée de l’extrême droite ». Interview.

Vous comptez parmi les premiers présidents de conseils départementaux à avoir publiquement affiché votre refus d’appliquer la restriction d’accès aux prestations sociales aux étrangers. Pourquoi ?

Je conteste cette loi, je considère qu’elle est écrite sous la dictée de l’extrême droite qui a contaminé les esprits de la droite, anciennement républicaine, et qui, elle-même, a contaminé la majorité présidentielle et le gouvernement.

Cette loi est d’abord et avant tout une loi d’exclusion, de haine, de rejet, qui est dans la surenchère liée aux préjugés racistes et xénophobes qui font de l’étranger le bouc-émissaire. Notre contrat social est fracturé par cette loi en instaurant la préférence nationale.

Je ferai tout pour mettre en œuvre une sorte de bouclier républicain

Moi, je ne peux pas accepter cela. Chacun doit prendre ses responsabilités, il faut construire un rapport de force politique. En politique, chacun est responsable de ses actes. D’ailleurs, on l’a vu avec la démission du ministre de la Santé, Aurélien Rousseau. Il n’a pas transigé sur ses valeurs.

Je ferai tout pour mettre en œuvre une sorte de bouclier républicain. Puisque cette loi a expressément cité une prestation versée par les départements, on fera tout pour mettre en place une prestation volontariste, extra-légale, qui permettrait de compenser l’aide destinée aux personnes âgées qui l’auraient perdue.

L’allocation personnalisée d’autonomie que vous allez donc faire perdurer…

Les rédacteurs de cette disposition concernant l’APA n’y connaissent strictement rien. L’APA est une allocation personnalisée d’autonomie pour des personnes âgées qui sont en situation de dépendance, qui ont de faibles ressources et qui ne peuvent plus accomplir des gestes de la vie quotidienne.

En Seine-Saint-Denis, comme les gens ont souvent des ressources plus faibles et ont eu des vies, y compris professionnelles, plus dures, leurs corps sont souvent plus abîmés plus tôt et plus fortement.

L’âge moyen des bénéficiaires de l’APA en France, c’est 82 ans et 70 % des bénéficiaires sont des femmes. En Seine-Saint-Denis, comme les gens ont souvent des ressources plus faibles et ont eu des vies, y compris professionnelles, plus dures, leurs corps sont souvent plus abîmés plus tôt et plus fortement. 88 % des bénéficiaires de l’APA en Seine-Saint-Denis ont 75 ans ou plus. Cette disposition méconnaît la réalité des bénéficiaires de l’APA. La réalité, ce sont des Français et des étrangers qui ont travaillé dur et qui, à un moment de leur vie, ont besoin d’être accompagnés.

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a condamné cette initiative, déclarant que la loi devait s’imposer à tous…

J’aimerais que les mêmes qui nous qualifient de séditieux, aient les mêmes mots quand il s’agit de faire respecter les lois de la République sur la construction de logements sociaux par leurs amis de l’ouest francilien. J’aimerais que les mêmes ministres de la République mettent autant d’énergie pour faire appliquer la loi et pour faire en sorte que la pauvreté ne soit pas concentrée dans un seul territoire. Je n’ai aucune leçon à recevoir de leur part. Qu’ils gardent leurs conseils pour eux.

La loi Immigration portée par Gérald Darmanin comporte de nombreuses mesures qui vont considérablement durcir le quotidien d’une population déjà en proie à la précarité…

Malgré les dénégations du gouvernement, cette loi instaure la préférence nationale. Cette ignominie de l’extrême-droite est bien dans la loi Immigration. La réalité est que, avec ce texte, une infirmière qui est dans notre pays depuis seulement quatre ans pourra se voir priver des allocations familiales. C’est une véritable bombe sociale à retardement avec davantage de précarisation. Ça va priver d’allocations de rentrée scolaire, de droit à l’hébergement, d’allocations familiales, un certain nombre de familles.

Ce texte consacre le renoncement à un principe fondateur : l’inconditionnalité et l’universalité de notre sécurité sociale

Toutes les professions du soin, du lien, (infirmières, aides à domicile…), ces métiers exercés par des femmes, en particulier de nationalités étrangères, seront affectées. Ces femmes pourront se voir priver des APL alors qu’elles contribuent tous les jours à faire tenir debout l’hôpital public. Ces femmes qui paient des impôts en France, ce texte va les précariser encore plus.

Ce texte consacre le renoncement à un principe fondateur : l’inconditionnalité et l’universalité de notre sécurité sociale. D’ailleurs, la Défenseure des Droits a alerté sur le caractère contraire à notre Constitution et à nos engagements internationaux, notamment la convention internationale des droits de l’enfant.

Il y a des mesures qui visent les mineurs étrangers…

Oui, les mineurs non accompagnés au travers l’hébergement pour ceux qui seraient frappés d’une OQTF (obligation de quitter le territoire) de manière totalement contraire à une décision du Conseil d’État qui enjoignait les départements à maintenir l’accompagnement en dépit d’une OQTF.

Après le vote de la loi, largement durcie en CMP, la cheffe de fil des députés RN, Marine Le Pen, s’est réjoui d’une « victoire idéologique » de son camp. Comment en est-on arrivé là ?

On en arrive par la bataille culturelle, disons-le, qui n’a pas été menée. La préférence nationale, c’est le fonds de commerce de la famille Le Pen depuis 50 ans dans ce pays. Et de renoncement en renoncement, on en arrive à ce qu’un président de la République, élu pour faire le barrage républicain à l’extrême droite, cède sur ce qui est fondement de l’idéologie de l’extrême droite.

De renoncements de la gauche aussi…

De renoncement en renoncement… Il faut dire aux Français et aux étrangers, à tous nos concitoyens, que cette loi ne va apporter aucun nouveau droit aux Français. Elle ne va pas régler le pouvoir d’achat, les problèmes d’insécurité, d’accès au soin, de la situation de l’éducation. Elle n’apporte aucune réponse ni aucun nouveau droit. Par contre, elle retire des droits aux étrangers.

Propos recueillis par Héléna Berkaoui 

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